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Des députés français contre la déréglementation des OGM/NTG

Par Eric Meunier

Publié le 13/02/2024, modifié le 15/02/2024

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Alors que le Parlement européen a adopté sa position sur la proposition de déréglementation des OGM le 7 février 2024, des députés français se mobilisent pour faire adopter une résolution s’y opposant par l’Assemblée Nationale. Deux projets de résolution sont sur le bureau de la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée, qui doit maintenant se prononcer sur la suite à leur donner. Une première réponse est attendue le 27 février prochain.

Le chemin peut être encore long, mais la dynamique est lancée. Et dans le débat actuel sur la déréglementation proposée par la Commission européenne, la démarche est d’importance. Suivant la procédure définie par l’article 88-4 de la Constitution, des députés et sénateurs ont décidé de ne pas laisser le gouvernement seul décisionnaire de la position de la France sur le sujet. Leur démarche suit néanmoins une procédure non contraignante pour Matignon et l’Élysée.

Début janvier, des députés écologistes ouvrent le bal

Le 8 janvier 2024, Lisa Belucco, Sébastien Peytavie, Nicolas Thierry et Marie Pochon, tous quatre députés du groupe Ecologiste – Nupes, déposaient un projet de résolution opposée à la déréglementation des OGM/NTG, telle que proposée par la Commission européenne en juillet 2023 et discutée depuis par les eurodéputés et gouvernements des États membres [1].
Par ce projet de résolution, les quatre députés proposent à leurs collègues de l’Assemblée Nationale de demander au gouvernement français qu’il se mobilise « diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin que les plantes produites via les nouvelles techniques génomiques demeurent au moins aussi encadrées que le sont aujourd’hui les OGM », qu’il s’assure que ne soit pas « entravé l’échange de semences entre paysans et paysannes » et enfin de « bannir les OGM ainsi que les variétés rendues tolérantes aux herbicides du territoire européen, s’agissant des productions comme des importations ».

Ces demandes sont appuyées d’une analyse et prise de position des députés sur la proposition de déréglementation en discussion. Rappelant que les plantes obtenues par de nouvelles techniques de modification génétique sont juridiquement définies comme des OGM réglementés, encadrés par la directive 2001/18, les quatre députés considèrent que cette proposition déroge aux principe de précaution et d’action préventive. Des principes qui sont pourtant inscrits dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans la Constitution française, soulignent-ils.
Ils considèrent qu’une absence d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage de ces plantes n’est pas concevable. Comme ne le sont pas les brevets détenus par les entreprises, qui poseraient des problèmes sérieux aux paysans « cultivant des plantes obtenues via des NTG sans le vouloir, [qui] seraient alors, ou bien hors‑la‑loi en produisant des aliments qu’ils n’ont pas choisi de faire pousser, ou bien obligés de verser des royalties aux multinationales pour s’acquitter du droit de cultiver ce qui était auparavant leurs propres semences ».

Ces députés n’en restent pas au seul texte proposé sur les OGM puisqu’ils abordent également la proposition de règlement sur l’encadrement du matériel de reproduction végétal. Ils considèrent que la concomitance des deux propositions n’est pas un hasard. Pour eux, « d’un côté les plantes obtenues via des NTG vont ouvrir la voie à davantage d’accaparement du vivant, et de l’autre ce règlement menace l’autonomie semencière des paysans et paysannes en répondant à la seule demande des multinationales ». Au final, ils actent que les deux textes, s’ils étaient adoptés, aboutiraient à être « le cheval de Troie d’une transformation débridée du vivant ».

D’autres députés, notamment socialistes, se mobilisent à leur tour

Trois semaines plus tard, ce sont 51 députés, membres de sept groupes politiques différents, qui déposaient leur projet de résolution [2]. Selon ce texte, ils proposent à l’Assemblée Nationale d’enjoindre « la Commission européenne à revoir sa proposition de règlement pour y inclure une évaluation complète des risques des plantes nouvelles techniques génomiques ». Ils souhaitent également inviter « le Gouvernement à intervenir auprès des États membres de l’Union européenne et de la Commission européenne afin qu’une clause de sauvegarde soit ajoutée au texte ». Dans une dernière demande, les députés souhaitent que la législation actuelle sur les OGM soit appliquée aux « nouvelles techniques génomiques afin de garantir que le principe de précaution soit bien appliqué dans l’ensemble de l’Union européenne et qu’aucune variété d’organismes génétiquement modifiés ne puisse être commercialisée ou cultivée sans s’être assuré en amont de son impact positif sur la durabilité des écosystèmes et sur la santé des citoyens ».

Cette dernière demande est enrichie d’une demande sous-entendue du maintien des obligations de détection et traçabilité puisque les députés concluent en précisant que « cette vigilance doit être conservée au‑delà de la mise sur le marché et permettre, le cas échéant, le retrait de plantes qui se révéleraient en contradiction avec l’impératif de sécurité alimentaire et environnementale ». Un tel retrait éventuel n’est en effet possible que si la traçabilité des produits est assurée. Cette traçabilité est justement jugée indispensable par treize organisations paysannes et de la société civile françaises qui, le 25 janvier dernier, écrivaient que « la suppression de la traçabilité des  » nouveaux OGM  » brevetés fera des semences paysannes et traditionnelles qui contiennent naturellement le caractère génétique revendiqué dans le brevet des contrefaçons interdites ou soumises au paiement de royalties » [3].

Pour les députés signataires de ce second projet de résolution, la brevetabilité du Vivant est bien un des problèmes majeurs posé par la déréglementation éventuelle des OGM. Ils estiment en effet « que le modèle proposé par la Commission amplifie le brevetage du vivant, la privatisation de l’usage des plantes et l’accaparement des semences par quelques multinationales de l’agrochimie au détriment de nos agriculteurs et de notre souveraineté nationale ».

Le Sénat a conduit des auditions

En 2023, la Commission des Affaires européennes du Sénat avait estimé inutile de formuler une résolution quant à un éventuel non respect du principe de subsidiarité qui prévaut dans l’Union européenne. Il s’agissait alors d’une autre procédure, définie par l’article 88-6 de la Constitution, que celle suivie par les députés aujourd’hui. A l’époque, le groupe de travail formé par la Commission des Affaires européennes avait « décidé de ne pas proposer à la commission des affaires européennes d’intervenir plus avant sur ce texte », selon le service presse du Sénat. Ils avaient en effet estimé que le gouvernement ayant, en 2023, « demandé explicitement le maintien d’un opt out pour les NTG de catégorie 2, ainsi qu’une évaluation des risques fiable et rigoureuse », il n’y avait pas lieu d’intervenir plus avant [4].

Malgré cette décision, des sénateurs travaillent actuellement sur un possible projet de résolution en suivant, cette fois, la même procédure, selon l’article 88-4 de la Constitution. Les sénateurs Karine Daniel, Jean-Michel Arnaud et Daniel Gremillet ont ainsi tous trois été mandatés par la Commission des affaires européennes pour conduire des travaux avec « diverses auditions et […] contributions écrites des parties prenantes » [5]. Comme nous le précise le service presse du Sénat, « les travaux des [trois sénateurs] devraient aboutir à la rédaction d’une proposition de résolution européenne (PPRE), qui pourra devenir, à l’issue de son adoption en commission des affaires européennes, puis en commission permanente, résolution du Sénat ». Le travail des trois sénateurs est, à ce jour, toujours en cours.

A l’Assemblée Nationale, la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale se prononcera, le 27 février prochain, sur le premier projet de résolution déposé, celui des quatre députés écologistes. Devrait ensuite suivre le second projet déposé, sauf à ce que les députés se mettent d’accord pour joindre les deux textes en une seule procédure. En cas d’adoption, ce ou ces projets, ainsi que celui des sénateurs, continueraient leur chemin dans les procédures internes de l’Assemblée nationale et du Sénat, jusqu’à arriver au gouvernement. Ce dernier pourrait ensuite être invité par les élus des deux chambres à venir rendre compte du sort qui a été réservé aux résolutions européennes qui lui auront été transmises.

[2Assemblée nationale, « Proposition de résolution n°2105 relative à la proposition de règlement présentée par la Commission européenne sur les nouvelles techniques génomiques », 24 janvier 2024.
Les 51 députés sont membres des groupes politiques suivants (par ordre alphabétique) : Démocrate (MoDem et Indépendants), Gauche démocrate et républicaine – NUPES, Horizons et apparentés, La France Insoumise – Nupes, Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires, Renaissance, Socialistes et apparentés.

[5Communication du service Presse du Sénat

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