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De Djibouti à l’Ouganda, Oxitec et ses moustiques OGM s’étendent
Oxitec, l’entreprise qui modifie génétiquement les insectes et, en particulier, les moustiques, s’est installée à Djibouti l’année dernière. Quelques dizaines de milliers de moustiques transgéniques (OGM) ont été disséminés dans l’environnement en mai 2024. Ces lâchers, soutenus par la Fondation Gates, sont censés réduire la population d’un des vecteurs du paludisme. Oxitec accélère son déploiement et vise désormais l’Ouganda…
En mai 2024, Oxitec disséminait à Ambouli, une banlieue de la ville de Djibouti, des dizaines de milliers de moustiques mâles Anophele Stephensi génétiquement modifiés. La modification génétique opérée consiste, comme pour le moustique OX5034 disséminé au Brésil et aux États-Unisi, à faire que les mâles transgéniques n’aient qu’une descendance mâle lorsqu’ils s’accouplent avec des femelles sauvages. Le but affiché de ces lâchers serait de réduire le nouveau vecteur du paludisme dans ce pays. D’après la communication officielle commune entre Oxitec et les autorités de Djibouti, le paludisme était sur le point d’être éradiqué dans ce pays en 2012, avec alors seulement 27 cas. L’arrivée d’Anophele stephensi en provenance d’Asie (a priori par bateau) aurait relancé la maladie. En 2020, 70 000 cas auraient été renseignés sur une population de 1,1 million d’habitants avec 190 morts.
D’autres lâchers sont d’ores et déjà prévus.
Malgré plusieurs relances, impossible d’avoir des informations plus précises sur le nombre de moustiques qui ont été ou seront disséminés, ni les lieux, ni la date des prochaines étapes… Il nous a été simplement répondu : « Nous avons fait notre première libération pilote du moustique ami à Djibouti à petite échelle et nous nous préparons à des projets pilotes complets dans le domaine du terrain plus tard cette année et au début de l’année prochaine, où nous commencerons à produire des données sur son efficacité ».
Dans ses communications, Oxitec ne parle donc plus de moustique génétiquement modifié mais de « moustique allié »ii et d’une solution « biologique et durable ». Le moustique transgénique d’Oxitec est donc, pour eux, un produit de « biocontrôle », la dernière rhétorique à la mode chez les entreprisesiii.
Interrogée également sur les résultats du lâcher réalisé l’année précédenteiv, à Djibouti, avec des moustiques non génétiquement modifiés, Oxitec nous répond, citant toujours ce même document de communication : « ces premiers lâchers pilotes […] constituaient une première étape importante qui nous permettra d’en savoir plus sur la façon dont les Friendly™ Anopheles stephensi interagissent dans la nature. En tant qu’équipe, nous avons l’intention de publier de nouveaux résultats scientifiques dans des revues scientifiques à comité de lecture ». Ont-ils déjà analysés ces données ? Les ont-ils déjà transmis aux autorités de Djibouti ? Toujours est-il que la communauté scientifique, elle, ne peut pas se pencher dessus. En tout cas, en un an, Oxitec n’a semble-t-il pas traîné pour réussir à obtenir une autorisation pour un lâcher avec des moustiques OGM…
Alors, en 2023, quand Oxitec nous disait ne pas avoir l’intention, « à ce stade », de lâcher de tels moustiques transgéniques, était-ce vraiment le cas ? Savait-elle déjà qu’elle aurait les coudées franches pour aller de l’avant ?
Un financement de Bill et Melinda Gates
Ce nouveau projet d’Oxitec est, comme de nombreux autres auparavant, financé par un don de la Fondation Bill et Melinda Gates. Quant à savoir le coût exact du projet, là encore, aucune réponse précise. Sur le site de la Fondation Gatesv, il est simplement précisé qu’elle a accordé à Oxitec un peu plus de 18,3 millions de dollars [16,1 millions d’euros] sur 42 mois à partir de mars 2022 pour intervenir sur le paludisme en Afrique et en Amérique. On ne sait donc pas quelle somme est allouée précisément à Djibouti. La Fondation Bill et Melinda Gates est un des bailleurs principaux d’Oxitec depuis une quinzaine d’années. Cette fondation est aussi derrière le projet Target Malaria, qui vise à produire des moustiques issus du forçage génétique, pour lutter contre le paludisme au Burkina Fasovi.
Des projets en Ouganda ?
Un article paru dans Nation, un journal ougandais, nous apprend également qu’Oxitec « a reçu, au début de cette année, une invitation et un engagement du gouvernement ougandais par l’intermédiaire du président Yoweri Museveni et de son équipe pour aider à développer un moustique amical Anopheles funestis. […] Nous allons utiliser la même technologie que celle que nous avons utilisée avec Anopheles stephensi à Djibouti. Pour la première fois dans notre histoire, un pays africain – l’Ouganda – financera le développement d’une technologie avec notre plate-forme ». Cette information a été confirmée par un communiqué d’Oxitecvii et du gouvernement ougandaisviii. Ce dernier, d’après le Financial Times, aurait dédié cinq millions de dollars à ce projetix.
Oxitec se déploie dans le monde depuis plus de 20 ans
Seul le Brésil a obtenu une autorisation commerciale. Ainsi, tout à chacun peut y acheter sa « boîte » remplie d’Aedes transgénique.
Pays | Années | Insectes | Maladie | Remarque |
îles Caïmans | 2009 → janvier 2019 | Aedes aegypti (OX513A) | dengue | Les autorités parlent d’une méthode inefficace. |
Malaisiex | Décembre 2010 | Aedes aegypti (OX513A) | dengue | Le ministère déplore une méthode coûteuse et inefficace. |
Brésil | 2011 – 2024 | Aedes aegypti (OX513A, puis 0X5034) | dengue | Autorisation commerciale en avril 2014. Oxitec vend désormais des petites boites avec des moustiques OGM pour les particuliers. |
Brésilxi | 2020 – 2024 | Spodoptera frugiperda (OX5382G) | Parasite du maïs | Lâchers réalisés en partenariat avec Lagoa Bonita Sementes (État de Sao Paulo) et avec Fundação MT (État du Mato Grosso). |
Etats-Unisxii | 2017 | Plutella xylostella (OX4319) | Parasite des brassicaes (chou, colza) | Essai en champs dans l’État de New York |
Etats-Unis (Floride) | Avril 2021xiii et mai 2022xiv | Aedes aegypti (OX5034) | Dengue | Les essais prévus en Californie et au Texas n’ont jamais obtenu d’autorisation. |
Panama | 2014 | Aedes aegypti | Dengue | |
Panamaxv | 2024 | Anopheles albimanus | Phase d’étude en cours | |
Djibouti | Mai 2024 | Anophele stephensi | Paludisme | |
Ouganda | Programmé | Anophele funestis | Paludisme | |
Indexvi (Dawalwadi) | 2017 | Aedes aegypti (OX513A) | Dengue | Uniquement des essais dans des cages en plein air |
Espagnexvii | 2013 et 2015 | Bactrocera oleae (OX3097D-Bol) | Parasite de l’olivier | Abandonné |
i Christophe Noisette, « Moustique OGM : échec technique mais succès économique pour Oxitec ! », Inf’OGM, le journal, n°158, janvier-mars 2020.
iiEn anglais, Friendly Mosquitoes.
En portugais « Aedes do bem » ou « mosquito do Bem ».
iiiInf’OGM, le journal, n°177.
iv Christophe Noisette, « Moustique OGM : Oxitec s’implante à Djibouti », Inf’OGM, 9 mars 2023.
v Gates Foundation, « Comitted Grants – Oxitec – To trial self-limited mosquito technology for malaria elimination », mars 2022.
vi Irina Vekcha, « Burkina Faso – Le projet Target Malaria continue malgré les irrégularités », Inf’OGM, 1er février 2022.
vii Oxitec, « Oxitec to Partner with the Ugandan Ministry of Health and the Uganda Virus Research Institute to Fight Malaria », 16 janvier 2024.
viii Uganda Virus Research Institute, « Oxitec to Partner With MoH And UVRI In Malaria Fight ».
ix David Pilling, « Djibouti looks to genetically engineered mosquitoes to quell urban malaria wave », Financial Times, 23 mai 2024.
x Christophe Noisette, « La Malaisie abandonne le « moustique OGM » contre la dengue », Inf’OGM, 26 mars 2015.
Christophe Noisette, « Première mondiale en Malaisie : des moustiques OGM secrètement lâchés sur le continent », Inf’OGM, 27 janvier 2011.
xi Christophe Noisette, « Brésil : des insectes OGM au secours du maïs Bt », Inf’OGM, 23 mai 2023.
xii Christophe Noisette, « États-Unis – Des papillons OGM pour sauver choux et colzas », Inf’OGM, 5 février 2020.
xiii Christophe Noisette, « États-Unis : les lâchers de moustiques OGM ont débuté », Inf’OGM, 4 mai 2021.
xiv Christophe Noisette, « États-Unis – Nouveau lâcher de moustiques OGM malgré une évaluation faible », Inf’OGM, 17 juin 2022.
xv Christophe Noisette, « Moustiques OGM : Oxitec de retour au Panama », Inf’OGM, 26 septembre 2023.
xvi Patil, Prabhakargouda B., Gorman, Kevin J., Dasgupta, Shaibal K., Reddy, K. V. Seshu, Barwale, Shirish R., Zehr, Usha B., « Self-Limiting OX513A Aedes aegypti Demonstrate Full Susceptibility to Currently Used Insecticidal Chemistries as Compared to Indian Wild-Type Aedes aegypti », Psyche: A Journal of Entomology, 2018, 7814643, 7 pages, 2018.
xvii Christophe Noisette, « ESPAGNE – Une mouche OGM pour sauver les oliviers ? La Catalogne n’en veut pas », Inf’OGM, 6 août 2015.