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Canada – Des contaminations par des OGM aux conséquences désastreuses
Plusieurs associations canadiennes ont rédigé un rapport qui présente l’état des contaminations de l’agriculture par des variétés transgéniques. Les contaminations concernent des variétés autorisées mais aussi des variétés ou des races animales encore au stade expérimental. La coexistence des filières OGM et non OGM semble décidément bien difficile à maintenir.
Le Canada est un des leaders mondiaux des variétés OGM et des plantes transgéniques. Dans ce pays, les premières cultures transgéniques ont été introduites en 1996. La présence de transgènes a été retrouvée dans de nombreuses filières : colza, lin, blé, porc. Ces contaminations ont une double conséquence : environnementale en diffusant dans la nature des transgènes (comme ceux impliqués dans la résistance à certains herbicides) et économique. En effet les produits des filières bio et « sans OGM » contaminés peuvent être déclassés, et perdre ainsi le bénéfice d’une labellisation.
Colza : une contamination généralisée
Le colza GM est tellement développé, et se dissémine sur de telles distances, que la présence de colza transgénique dans des champs de colza bio ou conventionnel n’est pas du tout mystérieuse. La contamination par le colza GM était si élevée en 2002 que la plupart sinon la totalité des producteurs de semences du Saskatchewan ne pouvaient garantir que leurs stocks étaient exempts d’OGM. Des colzas transgéniques ont été découverts à de nombreuses reprises, un peu partout sur le territoire canadien. Les colzas peuvent se croiser avec d’autres plantes adventices qui deviennent alors à leur tour tolérantes aux herbicides. Il devient donc plus complexe de les éliminer des champs avec des herbicides. La contamination du colza est à l’origine de la seule poursuite par des agriculteurs canadiens, qui ont demandé à être dédommagés à la suite d’une contamination par les OGM. En 2002, le Fonds de protection de l’agriculture biologique (OAPF) – actuellement SaskOrganics – a déposé un recours collectif en vue d’obtenir une compensation de Monsanto et Bayer (auparavant Aventis). Le recours collectif n’a pas été jugé recevable en Saskatchewan et la Cour suprême a refusé de juger l’appel.
Les associations soulignent par ailleurs que « au moment où le colza GM était largement adopté, les entreprises semencières ont fait radier l’approbation de la plupart des variétés de canola [1] non GM, réduisant l’éventail des options sans OGM offert aux agriculteurs, en plus d’assurer la domination du canola GM sur le marché. Ainsi, en 2000, 80% des 120 variétés de canola enregistrées étaient non GM, alors qu’en 2007, on n’a enregistré que cinq variétés de canola non GM ».
En revanche, la présence de certaines variétés génétiquement modifiées pose des questions plus fondamentales. En effet, par exemple, le lin GM a été autorisé en 1998 au Canada, mais cette autorisation a été révoquée en 2001… Le lin Triffid GM résistait aux herbicides à base de sulfonylurée. L’autorisation n’a jamais abouti à une commercialisation. En effet, les producteurs de lin ont craint que cette variété puisse contaminer leur production et donc perturber les exportations vers des régions où il n’est pas autorisé. L’université du Saskatchewan a donc retiré la demande d’autorisation. En 2001, pourtant, une quarantaine d’agriculteurs avaient commencé à multiplier les dites semences. En septembre 2009, était détecté du lin OGM dans des cargaisons. Cet incident a eu des conséquences économiques majeures. Le rapport souligne que « le Canada a encore du mal à reconquérir son marché d’exportation le plus important : l’Europe. Au moment de la contamination, 60% du lin canadien était exporté vers l’Europe par rapport à seulement 12% en 2017. En 2009, le prix du lin a chuté de 32% au Manitoba sur la base de simples rumeurs, avant même que la contamination soit confirmée. La superficie agricole occupée par le lin au Canada a chuté de 47% après la découverte de la contamination ». Au final, cette contamination aurait coûté 29,1 millions de dollars à l’industrie du lin au Canada. Or, le Centre de développement des cultures (CDC) de l’Université qui a mis au point la variété transgénique était aussi en charge des semences conventionnelles. Les stocks de cinq variétés du CDC étaient contaminés. Et 80% des surfaces de culture du lin au Canada étaient ensemencées avec les variétés du CDC…. Autre conséquence : la perte de variétés sélectionnées à la ferme à partir de ces dernières. Avant 2009, environ 75% des producteurs de lin utilisaient des semences conservées à la ferme. Ces dernières étaient moins contaminées, mais le rouleau compresseur de l’industrie a exigé d’acheter des semences certifiées pour tenter de résorber la fuite des transgènes. Comble de l’histoire. Terry Boehm, ex-président de l’Union Nationale des Fermiers, témoignait aux auteurs du rapport : « Au bout du compte, ce sont les semences conservées à la ferme, testées et exemptes de contamination, qui ont permis de poursuivre la production du lin au Canada, quoiqu’à un prix plus bas et pour un plus petit segment du marché ».
Du porc GM dans l’alimentation du bétail
La présence de blé GM dans les champs canadiens en 2010 est un mystère encore plus inquiétant. Ce blé n’a jamais été autorisé et les quelques essais en champs ont eu lieu entre 1998 et 2000. Monsanto a retiré sa demande d’autorisation en 2004. Mais ce blé a été découvert au bord d’une route dans l’Alberta en 2018. C’est un incident isolé au Canada, mais trois autres repousses de blé OGM avaient aussi été retrouvées de façon anecdotique aux États-Unis les années précédentes. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a déclaré : « Nous ne saurons peut-être jamais comment du blé GM est arrivé sur cette voie d’accès ». L’ACIA n’a pu infirmer ni confirmer de lien direct avec les essais en champ réalisés par le passé : « Vu le temps écoulé et la distance considérable, rien ne peut expliquer comment – ou si – cette découverte de blé GM est liée à un essai antérieur ». Au Canada, cette présence très isolée n’a pas eu de conséquence économique. Quelques pays ont bloqué les exportations canadiennes de blé mais ces restrictions n’ont pas été maintenues longtemps. En revanche, en 2013, le Japon et la Corée du Sud ont suspendu les importations de blé des États-Unis tandis que la Chine, la Thaïlande, les membres de l’Union européenne et les Philippines ont resserré les inspections. Des agriculteurs ont remporté deux poursuites contre Monsanto, alléguant que la société avait omis de protéger leurs marchés contre la contamination. Monsanto a versé 2,75 millions de dollars aux agriculteurs comme dédommagement.
Dans ce rapport on apprend aussi que des cochons expérimentaux génétiquement modifiés pour produire des composés pharmaceutiques dans leur sperme sont accidentellement entrés deux fois dans le système alimentaire. En 2002, onze « Enviropig », des cochons GM de l’Université de Guelph censés produire un lisier moins riche en phosphore, ont été transformés en moulée [2]. plutôt que d’être détruits en tant que déchet biologique. Ces animaux transgéniques ont donc contaminé 675 tonnes de moulée destinées à nourrir des volailles qui ont ensuite été vendues à des producteurs officiellement canadiens d’œufs, de dindes et de poulets. En 2004, trois porcs GM expérimentaux de l’entreprise québécoise maintenant disparue TGN Biotech ont été transformés, officiellement par mégarde, en moulée pour les poulets plutôt que d’être incinérés. Malgré une action rapide du gouvernement (saisie de 800 tonnes de moulée), 1% du matériel contaminé avait déjà été servi à des poulets et des porcs au Québec et en Ontario.
Ces incidents que nous avions déjà mentionnés dans nos colonnes au moment de leur survenue sont bon à rappeler. Les OGM transgéniques étaient autorisés en tant que tels, avec donc des protocoles de détection. Si les nouveaux OGM venaient à être autorisés sans passer par la réglementation OGM, leur dissémination serait encore plus importante, rendant l’agriculture paysanne et / ou biologique quasiment impossible. Et si l’Union européenne semble encore assez stricte sur le contrôle aux frontières pour les OGM transgéniques comme le montre l’incident avec le lin, la signature du CETA et la culture au Canada de « nouveaux OGM » vendus comme « non OGM »… risquent de rendre ces contrôles beaucoup plus délicats, voire impossibles.
[1] Pour utiliser le nom « canola », un oléagineux doit se conformer à la norme suivante faisant l’objet d’une réglementation internationale :
« Les graines du genre Brassica (Brassica napus, Brassica rapa ou Brassica juncea) dont la partie huileuse contient moins de 2% d’acide érucique dans son profil d’acides gras et dont la partie solide contient moins de 30 micromoles de 3-buténylglucosinolate, de 4-penténylglucosinolate, de 2-hydroxy-3- buténylglucosinolate ou de 2-hydroxy-4-penténylglucosinolate, ou d’un mélange de ceux-ci, par gramme de solides exempts d’huile et séchés à l’atmosphère ambiante ».
[2] Mélange d’ingrédients sous forme de poudre.