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Bébés OGM en Chine : le chercheur en prison mais après ?
La nouvelle avait fait du bruit : un chercheur chinois annonçait en 2018 avoir fait naître deux bébés génétiquement modifiés. Depuis, un troisième bébé est né. Fin 2019, le chercheur a été condamné à trois ans de prison et à payer une forte amende. Cependant, d’autres utilisations thérapeutiques chez l’humain avec Crispr continuent…
Le 26 novembre 2018, He Jiankui, chercheur chinois à l’université de Shenzhe annonce la naissance de jumelles génétiquement modifiées, Lulu et Nana [1]. Lors du second Sommet international sur l’édition du génome qui s’est tenu à Hong-Kong, le chercheur a affirmé devant un amphithéâtre bondé qu’il avait permis la naissance de jumelles dont le génome avait été modifié en utilisant la méthode Crispr/Cas9 pour les rendre résistantes au virus du sida.
La modification concernerait le gène CCR5, qui a été impliqué dans la guérison d’une personne atteinte du sida. Cette personne, considérée comme guérie depuis 2007, avait en effet reçu une greffe de moelle osseuse d’un donneur qui possédait une immunité naturelle contre le VIH (immunité entraînée par la mutation du gène CCR5).
Une technique de résistance au VIH très hasardeuse…
Cependant, il existe des différences importantes entre une greffe de la moelle osseuse et une délétion génétique réalisée par Crispr. Cette dernière technique de modification génétique est loin d’être complètement maîtrisée et présente de très nombreux défauts. Si Crispr/Cas9 permet bel et bien de couper l’ADN à un endroit précis, ce qui permet de faire muter une séquence génétique, cette enzyme coupe aussi l’ADN à d’autres endroits, ce qui engendre de nombreux effets hors-cibles. Les scientifiques veulent nous faire croire que cette technique est plus précise que les anciennes méthodes de modifications génétiques sans réellement réussir à le prouver. De nombreuses études, au contraire, rendent compte d’effets délétères de cet outil sur d’autres parties de l’ADN, parfois très éloignées de la zone visée initialement par les chercheurs [2] [3]. La génétique est une science en pleine évolution, et la vision mécaniste à l’œuvre dans ces biotechnologies est mise en cause par l’épigénétique et d’autres découvertes récentes.
Médicalement, le but est-il vraiment de permettre à des parents séropositifs d’avoir un enfant séronégatif ? Cela, la médecine sait le faire depuis 20 ans. Grâce aux traitements anti-VIH, des millions de femmes séropositives sous traitement donnent naissance chaque année à des enfants séronégatifs. De même, les couples formés d’un homme séropositif et d’une femme séronégative peuvent procréer sans que la femme s’expose au VIH, en appliquant des techniques éprouvées dites de « lavage » du sperme ou de fécondation in vitro [4].
Quant à l’idée de protéger les nouvelles générations du VIH en modifiant leur génome, elle est également saugrenue, dans la mesure où : (i) le VIH n’est plus une maladie mortelle, si les personnes sont dépistées et traitées tôt après l’infection ; (ii) il existe d’autres moyens bien plus sûrs de se protéger du VIH (le préservatif, ainsi que l’utilisation préventive des médicaments anti-VIH sous forme de traitement prophylactique) ; (iii) le fait qu’une personne ne soit pas résistante au VIH ne constitue pas une maladie ; (iv) la technique génétique invoquée par le Dr He est associée à d’importants risques pour la santé et pour l’instant interdite chez les êtres humains (même pour des vraies maladies génétiques, sans parler du VIH) ; et (v) la même modification du gène CCR5 censée rendre résistant au VIH entraîne vraisemblablement d’autres problèmes de santé, plus grave que la non-résistance au VIH (ce qui explique d’ailleurs pourquoi cette résistance au VIH reste minoritaire chez les êtres humains).
Par exemple, la mutation du gène CCR5 tendrait à augmenter les risques d’être atteint d’autres virus, rappelle Kiran Musunuru au quotidien britannique The Guardian, de l’Université de Pennsylvanie (États-Unis) [5].
CCR5 : un gène aux multiples effets
Plus récemment, le 21 février 2019, un article publié dans la revue Cell [6] identifie d’autres caractéristiques du gène CCR5. L’inactivation du gène CCR5 chez une souris permet non seulement une récupération précoce du contrôle moteur après un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien, mais elle augmente aussi les capacités cognitives. L’article rapporte aussi que des essais cliniques ont montré des résultats similaires chez l’humain avec un médicament contre le sida, le maraviroc, qui désactive le CCR5. L’article conclut enfin que les humains nativement porteurs de cette mutation ont de meilleurs résultats après un AVC. Alors le chercheur voulait-il fabriquer des enfants plus doués ? Alcino J. Silva, neurobiologiste à l’université de Californie, à Los Angeles, souligne seulement que la mutation aura forcément des conséquences sur d’autres fonctionnements, et notamment « un impact sur la fonction cognitive, mais l’effet exact est impossible à prédire ».
Depuis d’autres travaux ont cherché à comprendre les conséquences d’une mutation de ce gène. Deux chercheurs de l’Université de Californie, à Berkeley, ont analysé 409 693 génomes issus de la banque de données britannique UK Biobank [7]. Dans un premier temps, ils ont annoncé que cette mutation, appelée Delta 32, est relativement présente en Europe : environ 10 % aurait un allèle muté et 1 % aurait les deux allèles mutés. Et que les porteurs de ces deux allèles ont une espérance de vie plus faible. Mais quelques mois plus tard, dans un article publié le 3 octobre sur le site bioRvix, les auteurs ont reconnu s’être trompés, ce qui a conduit à la rétractation de l’article original [8]. D’après la revue, la mauvaise interprétation est attribuable « à des erreurs techniques dans la façon dont la mutation a été identifiée dans la base de données ». La sonde mesurant la variante du gène a ainsi souvent manqué sa séquence-cible, aboutissant à une sous-estimation du nombre de personnes avec deux copies du gène muté. Les statistiques étant faussées, la conclusion d’une espérance de vie plus faible l’est donc aussi.
Malgré ces débats, certains ont défendu le chercheur chinois, à l’instar de George Church, généticien à l’université de Harvard, qui a jugé « justifiable » cette expérience au nom de la santé publique.
La lutte contre le sida serait-elle le cheval de Troie des OGM humains ?
Le chercheur chinois condamné à trois ans de prison
Dans la mesure où les manipulations du génome des embryons humains sont interdites – y compris en Chine – l’annonce du Dr He a au moins atteint son objectif médiatique : elle a défrayé la chronique au niveau mondial, et lui a d’ores et déjà assuré la célébrité. Même si les réactions ont été – quasiment unanimement – négatives, et pour cause, la banalisation d’une telle démarche a progressé d’un pas. Dans les premières semaines, nous pensions même que cette annonce était une intox pure et simple, dont l’objectif était justement de rendre l’idée d’humain OGM moins saugrenue.
Interrogé, Jacques Testart, ancien président d’Inf’OGM, qui dans un article récent avait alerté sur « l’audace » chinoise en matière de recherche [9], s’insurge : « Tous les commentateurs, scientifiques et journalistes, ont attaqué He en doutant de son succès et en lui reprochant des fautes déontologiques. Mais personne ne s’est déclaré opposé à la production d’OGM humains, même pas notre comité d’éthique. Ainsi ce problème politique ne dépend plus que des améliorations techniques ».
Cependant quelques temps plus tard, une enquête officielle par les autorités chinoises confirmait la naissance des jumelles et la grossesse d’une deuxième femme [10] [11]. Le rapport cité par l’agence chinoise Xinhua note que le chercheur, en « recherche de gloire personnelle et de fortune », a dès juin 2016 mis en place « de manière privée une équipe de recherche impliquant du personnel étranger » et utilisé « des technologies à la sécurité et à l’efficacité douteuses ».
Un homme d’affaire
He précise que ses expérimentations ont largement été financées sur ses fonds propres. Il avait en effet aussi, en parallèle, fondé ces dernières années plusieurs entreprises de biotechnologies et notamment de séquençage. Il a ainsi reçu au moins 43 millions de dollars US de la part d’investisseurs chinois (Qianjiang Capital, ASBV China) et internationaux (Amer International Group) pour deux start-ups biotechnologiques : Shenzhen Direct Genomics Biotechnology et Shenzhen Vienomics Biotech [12] [13]. Il contrôle aussi d’autres sociétés : Shenzhen Hanhai Venture Capital Management Partnership, Shenzhen Nanke Biotechnology, Vienomics Biotech Rudong, Zhuhai Hanhai Chuangmeng Technology Management Partnership et Zhuhai Nanqijundao Technology Partnership.
L’enquête nous apprend donc que ce travail s’est fait en collaboration avec d’autres chercheurs, dont certains étasuniens, que He Jiankui a utilisé un faux certificat d’examen éthique, qu’il a recruté huit couples de volontaires (les hommes ont été testés positifs pour l’anticorps VIH, les femmes ont été testées négatives pour l’anticorps VIH) et a mené des expériences entre mars 2017 et novembre 2018. L’enquête nous apprend aussi qu’un couple a abandonné à mi parcours et que cinq autres n’ont pas conçu d’enfant.
Le 30 décembre 2019, He Jiankui a été condamné par le tribunal du district de Nanshan à Shenzhen pour « avoir illégalement procédé à la manipulation génétique d’embryons à des fins de reproduction », a annoncé l’agence Chine nouvelle. Le chercheur a également été condamné à une amende de plus de 380 000 euros (trois millions de yuans). Deux autres personnes appartenant à « des instituts médicaux de la province du Guangdong » ont également été condamnées : Zhang Renli (deux ans de prison et une amende d’un million de yuans) et Qin Jinzhou (un an et demi de prison avec sursis et une amende de 500 000 yuans).
Suite à cette expérience, la Chine a modifié son code civil [14] et annoncé la création d’un comité national chargé de conseiller le gouvernement sur le volet éthique de la recherche scientifique [15].
Des effets hors-cibles déjà constatés
En décembre 2019, le journaliste du MIT Technology Review, Antonio Regalado [16], a reçu le manuscrit que He Jiankui avait tenté de faire publier dans des revues scientifiques mondialement connues, Nature et Journal of the American Medical Association, avant d’annoncer officiellement la naissance des deux jumelles OGM. Le texte, examiné à sa demande par Kiran Musunuru, de l’Université de Pennsylvanie [17], « confirme ce que beaucoup d’experts suspectaient : il ne montre (…) pas que la mutation tentée, sur une partie du gène CCR5, a effectivement réussi ». Par contre, il montre « que la mutation accomplie est « similaire » à celle qui confère l’immunité » mais pas « identique ». Ce document confirme aussi les nombreux effets hors-cibles de ces mutations : « des données incluses en annexe montrent que les jumelles ont subi des mutations ailleurs dans leur génome, et probablement différentes d’une cellule à l’autre, ce qui rend les conséquences imprévisibles ». Le chercheur va jusqu’à considérer que « de telles modifications hors-cible pourraient causer des problèmes tels que le cancer et les maladies cardiaques, et pourraient être transmises aux futurs enfants de Lulu et Nana ». Il parle aussi de mosaïcisme : « Cela signifie que les modifications géniques qu’il a apportées aux embryons n’ont pas eu un effet uniforme : différentes cellules ont montré des changements différents. (…) Certaines parties de leur corps peuvent contenir les modifications spécifiques qu’il a dit avoir faites, d’autres parties peuvent contenir d’autres modifications qu’il n’a pas mises en évidence, et d’autres encore peuvent ne contenir aucune modification du tout. Cela signifierait que le prétendu avantage de la modification qu’il a faite – la résistance au VIH – ne s’étendrait peut-être pas à l’ensemble du corps des jumeaux, et ceux-ci pourraient encore être totalement vulnérables au VIH ». Et il conclut à propos de ce manuscrit : « Pourquoi l’information doit-elle être publique ? C’est parce que son travail révèle des problèmes de sécurité graves et non résolus. Il n’est pas certain que tout effort visant à modifier directement des embryons humains, même s’il est fait de façon éthique et avec l’approbation de la société, puisse éviter ces problèmes de façon fiable ».
D’autres utilisations thérapeutiques de Crispr
En 2016, la Chine s’était déjà illustrée pour avoir tenté d’utiliser Crispr/Cas9 sur des humains.
Le 28 octobre 2016, l’oncologue chinois Lu You, de l’Université du Sichuan à Chengdu, a injecté des cellules modifiées via Crispr/Cas9 à un patient souffrant d’un cancer du poumon. Cet acte a été réalisé dans le cadre d’un essai clinique mené au West China Hospital, toujours à Chengdu [18] [19]. Il s’agissait de désactiver la séquence génétique qui code pour la protéine PD-1 qui, dans un organisme sain, freine la réponse immunitaire d’une cellule. Les conclusions sont attendues pour fin janvier 2020.
D’autres essais cliniques ont été tentés, comme en mars 2017 : des chercheurs de l’Université de Pékin ont commencé des démarches pour tester cette technique de modification génétique pour espérer soigner des cancers de la prostate [20], de la vessie [21] et des cellules rénales [22]. Sans précision, le site ClinicalTrials précise que ces expérimentations, finalement, ont été abandonnées en mars 2019. Faute de participants cobayes ? Faute de financement ? En tout cas, les médias qui ont annoncé ces promesses incroyables se sont bien gardés de rapporter l’abandon. Combien d’expériences font la Une des journaux et n’aboutissent pas ?
Plus récemment, le 15 avril 2019, l’Université de Pennsylvanie (États-Unis) en lien avec Parker Institute for Cancer Immunotherapy et Tmunity Therapeutics, a confirmé que deux individus atteints d’un cancer ont été traités avec Crispr [23]. Les scientifiques estiment que leur étude ne prendra fin qu’en janvier 2033. La conséquence de la manipulation génétique sur ces deux personnes n’est pas encore connue. Et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif principal, d’après un article de Nature : « Ce premier essai (…) vise à vérifier si CRISPR peut être utilisé sans danger chez les humains, plutôt que s’il traite efficacement le cancer ou non. Il sera financé par une fondation créée en avril par [le fondateur de Napster et] l’ancien président de Facebook, Sean Parker, à hauteur de 250 millions de dollars US » [24].
[1] vidéo du chercheur expliquant l’objectif de la manipulation et le protocole suivi (en anglais) : https://youtu.be/th0vnOmFltc
[2] , « Modifier génétiquement une plante est loin d’être anodin », Inf’OGM, 30 juin 2016
[3] , « OGM – Quand de l’ADN non désiré s’invite avec Crispr », Inf’OGM, 2 octobre 2019
[5] World’s first gene-edited babies created in China, claims scientist, The Guardian, 28 novembre 2018, https://www.theguardian.com/science/2018/nov/26/worlds-first-gene-edited-babies-created-in-china-claims-scientist
[9] , « Génétique humaine : du soin au bébé parfait », Inf’OGM, 3 janvier 2018
[10] Résultats annoncés le lundi 21 janvier 2019 par l’agence chinoise Xinhua, http://www.xinhuanet.com/english/2019-01/21/c_137762633.htm
[11] Le MIT Technology Review annonçait le 3 juillet 2019 la naissance de ce troisième bébé OGM.
[13] https://www.scmp.com/business/china-business/article/2175486/who-are-investors-supporting-he-jiankui-chinese-scientist
[14] Nature, 20 mai 2019, https://www.nature.com/articles/d41586-019-01580-1
[15] Nature, 8 août 2019, https://www.nature.com/articles/d41586-019-01580-1