Vers des humains génétiquement modifiés ?

Par Inf'ogm

Publié le 24/04/2023, modifié le 05/12/2023

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La modification génétique de certains humains rencontre encore de nombreuses réticences. Alternativement, la sélection dans l’œuf des humains jugés normaux est largement acceptée et s’élargit sans cesse à de nouveaux critères. Cette sélection pourrait conduire à modifier l’humanité sans modifier un seul embryon.

 

A ce jour, les humains modifiés génétiquement (HGM) sont très rares et la transgenèse classique par introduction d’un gène n’a pas encore été rapportée. Les modifications déjà réalisées relèvent de deux techniques qui profitent de la disponibilité de l’embryon grâce à la fécondation in vitro :
1 – la crispérisation (utilisation de l’outil Crispr/Cas), pour modifier le génome nucléaire [1]. Elle aurait permis de rendre résistants au sida quelques enfants chez lesquels un biologiste chinois avait introduit une forme rare du récepteur au virus (CCR5), situé à la surface des globules blancs.
2 – la substitution de mitochondries pour remplacer dans l’œuf les mitochondries déficientes d’une femme par celles d’une autre. Pratiquée dans plusieurs pays depuis 2016, mais encore interdite en France, hors recherche [2].

L’HGM présente plusieurs particularités parmi les OGM

Des particularités techniques

Un diagnostic préimplantatoire (DPI) préalable est nécessaire pour identifier les œufs déficients chez les couples à risque. A cette occasion, on découvre presque toujours des œufs normaux. Aussi, la modification des embryons ne pourrait être justifiée que par une volonté explicite d’améliorer les performances naturelles de l’espèce, et non par le souci de contredire une anomalie spécifique [3]. Dans une telle visée transhumaniste (équivalente aux OGM), on pourrait aussi modifier les gamètes en amont, en intervenant sur la lignée germinale, afin de ne produire, en théorie, que des embryons « améliorés », quelle que soit l’identité génétique des géniteurs.

La correction de l’ADN mitochondrial consiste désormais à placer le matériel nucléaire de l’ovule de la femme atteinte dans celui d’une femme saine plutôt qu’à échanger leurs cytoplasmes, sans qu’on sache quelle méthode préserve le mieux du mélange des mitochondries. On note aussi qu’aux États-Unis, cette technique est utilisée pour « revivifier » les ovules des femmes âgées, sans résultats probants.

Des spécificités de la modification humaine
Toute atteinte au génome humain présente des conséquences rarement prises en compte chez l’animal. Ce qui est particulier à l’HGM, et que l’on devrait exiger lors de sa fabrication, c’est l’infaillibilité. La situation est très différente de celle des animaux, où les OGM défectueux peuvent être éliminés, et encore davantage de celle des plantes, où d’innombrables plantules sont conçues afin de sélectionner quelques exemplaires satisfaisants qui seront multipliés. Cette stratégie ne semble pas actuellement acceptable dans notre espèce, dont l’embryon est rare et précieux : tant que la modification génétique générera chez l’animal des effets indésirables et incontrôlés, imagine-t-on des parents prendre le risque d’anomalies potentiellement graves pour leurs enfants ?

La crispérisation est prétendue mieux maîtrisée que la transgenèse mais entraîne aussi des dommages collatéraux. « D’autres portions du génome que celles ciblées sont ainsi modifiées sans que l’on comprenne toujours pourquoi ou que l’on puisse toujours en prédire l’existence », explique le biologiste Yves Bertheau, démissionnaire du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Autre problème : pour modifier des organismes, il faut utiliser un « vecteur » (exemples : bactérie, particule micro injectée). Or, ces vecteurs « sont destructifs comme un bulldozer qui essaierait de venir faire de la dentelle dans votre cuisine », souligne le chercheur. « Le stress induit laisse des traces incontrôlées, sous forme de mutations et d’épimutations » [4].

Une autre conséquence de la possible modification du génome humain, tolérée chez l’animal, est le faible succès des interventions. Dans un premier essai de Crispr, en 2017, pour corriger une mutation, seulement la moitié des embryons humains étaient corrigés, et encore de façon mal comprise [5].

Des obstacles légaux

l’HGM n’est pas concerné par les législations européennes sur les OGM, mais la convention d’Oviedo sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (1997) interdit toute modification du génome humain. Pourtant, la récente actualisation de la loi française de bioéthique (2021) prépare la fin de cet interdit en autorisant des recherches pour modifier l’ADN nucléaire ou cytoplasmique. Après la condamnation générale par les généticiens de leur collègue chinois trop pressé de produire des bébés GM, le comité d’éthique européen [6], comme l’OMS et de nombreuses institutions savantes françaises et internationales, qui regroupent souvent les mêmes experts [7], ont défini des conditions préalables à la crispérisation humaine, mais sans jamais envisager que nous pourrions nous passer de cette technologie. Ces obstacles tactiques pourraient être débordés par le mirage d’un effet bénéfique incontestable. D’où les opérations médiatiques continues (style Téléthon) pour montrer la sollicitude de la médecine génétique afin de résoudre les malheurs de personnes atteintes de maladies génétiques enrôlées dans ces opérations. Dans le même temps, les transhumanistes avancent des solutions pour « améliorer » les personnes normales, solutions souvent chimériques, comme « la mort de la mort » ou la santé permanente, mais qui commencent à séduire certains humains. Parmi les arguments transhumanistes, certains promettent que le bénéfice escompté vise le bien collectif plutôt que seulement l’intérêt individuel. Ainsi, depuis 10 ans, des chercheurs étasuniens prétendent lutter contre la crise écologique en modifiant l’humanité : réduire la masse corporelle, et donc les besoins nutritifs et énergétiques, ou améliorer la vision nocturne pour réduire l’éclairage et la consommation d’énergie [8]. On notera que l’auteur est professeur de bioéthique à l’Université de New York, ce qui montre que le délire a déjà débordé la paillasse. Depuis que des généticiens ont prétendu, en 2015, avoir amélioré les capacités cognitives de la souris, les transhumanistes prétendent aussi améliorer notre intelligence en recherchant des caractéristiques génomiques à introduire dans les embryons ou signalant les embryons à sélectionner. Un projet qui mobilise surtout Chinois et Étasuniens.

Des risques biologiques potentiels

Dès 1984, le premier mammifère GM, une souris atteinte de nanisme recevant un gène de croissance de rat, révélait des altérations diverses inexpliquées, dont une baisse de fertilité. L’humain n’échapperait pas aux anomalies constatées chez tous les autres êtres vivants GM : mutations involontaires du lieu de modification ou ex situ (hors-cible), effets épigénétiques éventuels dans l’ADN mitochondrial-s’il est ciblé, présence dans l’embryon « normal  » de mitochondries à ADN muté, apportées dans l’ovule sain en même temps que les chromosomes de l’ovocyte donneur [9]. Des résultats inquiétants ont été obtenus par des chercheurs espagnols chez la souris, suggérant que les mitochondries de la donneuse doivent être génétiquement proches de celles de la receveuse pour éviter des altérations métaboliques et le vieillissement prématuré [10].

Des impacts éthiques

Au delà de la faisabilité d’un HGM « sécurisé » se pose la question du droit à modifier notre propre espèce, mais aussi de ce que l’on voudrait modifier dans le génome humain. Un biologiste américain énumère des caractères classiquement valorisés, comme la stature, la beauté, la puissance, ou encore de bons comportements, la vision dans l’obscurité ou même de gros seins chez les femmes et un fort pénis pour les hommes… [11] Mais il n’évoque pas l’évitement de maladies génétiques parentales, car sa proposition est systématisée à l’humanité, elle vise l’Homme « augmenté » plutôt que réparé.

Des impacts sociaux
Selon un sondage IFOP (2016), 76% des Français seraient défavorables à la modification du génome humain, par crainte de l’eugénisme, mais ils approuvent largement la correction des anomalies génétiques [12]. Ainsi, modifier pour les « soigner » des embryons, qui sont pourtant de futures personnes, ne pourrait pas relever de l’eugénisme selon une conception scientiste du « normal ». En réaction, une coalition internationale de scientifiques inquiets a lancé une pétition pour interdire toute modification du génome reproductif humain [13].

Modifier l’espèce sans HGM : le tri génétique des embryons

Aux débuts du DPI en France (années 2000), le tri des embryons s’appliquait à moins de 50 maladies, souvent monogéniques, contre déjà plus de 200 en Grande-Bretagne. En 2019, les indications médicales du DPI atteignaient 347 en France, dont seulement 27 maladies monogéniques. On élimine donc de plus en plus d’embryons porteurs de « gènes de susceptibilité » pour des maladies multifactorielles (déjà 92%). Les causes multiples de ces pathologies (nombreux gènes co-acteurs, environnement) ne pourraient pas être éliminées par avortement ou par modification génétique, si bien que le DPI est l’outil parfait de l’eugénisme à base probabiliste, outil à employer sans limites puisqu’il ne peut pas exister d’humain parfait.

La multiplication des embryons, en particulier par la dédifférenciation de cellules banales en gamètes, est capable de démultiplier l’efficacité socio-médicale de cette sélection [14]. Elle se prépare dans quelques laboratoires du monde, et le Comité consultatif national d’éthique a obtenu récemment que des recherches en ce sens soient menées en France (loi bioéthique de 2021). Outre les incertitudes techniques et les résistances éthiques, les mutations de novo qui apparaissent spontanément chez au moins 20% des nouveaux-nés ne sont pas prévisibles, sauf à contrôler tous les embryons. Aussi, la sélection embryonnaire préalable à toute grossesse, sur des critères nombreux et universels, est une tendance forte que préparent plusieurs évolutions bioéthiques, comme l’ouverture de la fécondation in vitro à toute personne demandeuse (loi bioéthique de 2021) ou les propositions de diverses instances éthiques [15]. Si le DPI généralisé était réalisé avant toute grossesse, le génome humain pourrait se trouver modifié en quelques générations… et sans qu’aucun embryon ne soit modifié puisque les porteurs sont simplement éliminés. On peut alors se demander si le combat contre l’HGM est capable de juguler l’extension de l’ « eugénisme », un terme que le comité d’éthique souhaite d’ailleurs supprimer [16].

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