Un moratoire sur les OGM, oui… mais comment ?
Les discussions du Grenelle sur les OGM ont donné lieu à une relative cacophonie autour de la question du moratoire : certains le déclaraient possible, d’autres affirmaient que les contraintes européennes empêchaient de le mettre en œuvre. Le 25 octobre, Nicolas Sarkosy a conclu : “Je souhaite que la culture commerciale des OGM pesticides soit suspendue […] en attendant les conclusions d’une expertise à conduire par une nouvelle instance qui sera créée avant la fin de l’année”. En Europe, des moratoires ont été mis en œuvre à plusieurs niveaux, sous différentes formes et avec des conséquences différentes.
Inf’OGM vous donne les clefs pour comprendre le contexte et les chemins du moratoire…
Le moratoire européen (1999 – 2004)
Le 24 juin 1999, lors d’un Conseil des ministres européens de l’Environnement, cinq États (France, Danemark, Grèce, Italie et Luxembourg) ont considéré que les systèmes d’autorisation et de surveillance des OGM en Europe étaient incomplets. Ils ont donc demandé la suspension de toute nouvelle autorisation de mise sur le marché d’OGM pour se donner le temps de mettre en œuvre les éléments suivants1 :
un encadrement plus rigoureux et plus transparent ;
une évaluation des risques, prenant en compte la spécificité des écosystèmes européens ;
la mise en place d’une surveillance des OGM une fois autorisés ;
un dispositif d’étiquetage et de traçabilité des OGM et des produits dérivés.
Ce moratoire de facto a duré cinq ans et pris fin le 19 mai 2004, avec l’autorisation à la commercialisation du maïs Bt 11. En effet, ce jour-là, le nombre d’Etats membres à avoir voté contre l’autorisation n’ayant pas été suffisant, c’est à la Commission qu’est revenue la décision. La plainte des Etats-Unis à l’OMC contre la politique européenne sur les OGM a joué en défaveur du moratoire.
Durant cette période, les OGM autorisés avant 1999 le sont restés et le MON810 pouvait être cultivé en France, tout comme de nouvelles autorisations d’essais en plein champ pouvaient être délivrées, au niveau national. Mais la politique européenne de défiance vis-à-vis des OGM a freiné le nombre d’essais réalisés et les cultures GM. En 2003, par exemple, la France cultivait seulement 10 ha de maïs MON 810.
On le voit, il s’agissait là d’une décision européenne… Mais que peut faire un Etat membre ?
L’échec du moratoire de la Haute-Autriche
Le cas du moratoire de la Hautre Autriche, un länd autrichien2, a été, dernièrement, largement utilisé par les commentateurs du gel annoncé par Jean-Louis Borloo, pour en montrer l’impossibilité. Or, les bases juridiques du moratoire revendiqué par les associations et de l’interdiction de ce länd sont distinctes.
En 2003, la Haute-Autriche a rédigé un projet de loi interdisant la culture de semences et de plants composés d’OGM. Ce projet de loi dérogeait à la directive 2001/18 qui régit, entre autre, la culture des OGM. Si la directive prévoit la possibilité d’interdire un OGM sous des conditions très strictes, elle ne prévoit pas la possibilité pour un Etat d’interdire la culture de TOUS les OGM. Interdire tous les OGM est donc une dérogation à la directive et à ce titre, la Haute Autriche devait satisfaire aux conditions posées par le Traité des Communautés Européennes3, à savoir :
des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l’environnement ;
et un problème spécifique à l’Autriche.
Après avis de l’Autorité Européenne de la Sécurité Alimentaire, (AESA), la Commission a jugé que ces conditions n’étaient pas remplies, et a rejeté le 2 septembre 2003 ce projet de loi. La Haute-Autriche avait argumenté que la présence importante d’agriculture biologique et d’exploitations de petite taille dans la région caractérisaient cette situation spécifique. Elle a également montré l’existence d’écosystèmes exceptionnels.
La Haute-Autriche a introduit un recours contre cette décision auprès des juridictions européennes, qui, en appel le 13 septembre 2007, a confirmé la décison de la Commission.
Des moratoires qui ont réussi
S’il est difficile d’interdire tous les OGM, il est plus facile pour un Etat membre d’interdire les OGM un par un. A supposer que l’annonce française se traduise par un arrêté d’interdiction du maïs MON810, le gouvernement devra mettre en œuvre l’une des clauses de sauvegarde prévues par les directives européennes.
La clause de sauvegarde de la directive 2001/18
Une clause de sauvegarde (cf. encadré p.5) permet d’interdire, à titre provisoire, l’utilisation d’un OGM. Pour que sa mise en œuvre soit validée, l’Etat doit apporter des “informations nouvelles” qui constituent “des raisons précises de considérer qu’un OGM (…) présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement”. L’État informe la Commission européenne de sa décision et fournit les éléments la justifiant. S’enclenche alors la procédure de Comitologie (cf. encadré p.5).
Quatre pays ont utilisé cette clause de sauvegarde : l’Allemagne, l’Autriche, la France et la Hongrie4.
En France, suite à un rapport de l’Inra évoquant de possibles transferts de gènes entre le colza et de nombreuses plantes cousines présentes sur le territoire (moutarde, ravennelle…), le ministre de l’Agriculture a suspendu la commercialisation des semences de colza GM (colza Ms1xRf1 et Topas 19/2) de 1998 à 2007. Le 24 juin 2005, le Conseil de l’UE a rejeté la proposition de la Commission de lever ce moratoire. Il n’est actuellement plus en vigueur, car les autorisations européennes de ces deux colzas ne sont plus valables depuis avril 20075.
En 1998, l’Autriche a interdit l’utilisation et la vente de deux maïs GM : le MON810 et le T25. Il s’agit là d’une opposition à peine masquée aux OGM en général de la part de l’Autriche, qui souhaite rester un important producteur d’agriculture bio. L’AESA, agence en charge de l’évaluation des OGM, a jugé que les conditions nécessaires à l’acceptation de la clause de sauvegarde n’étaient pas réunies. A deux reprises, la Commission a formulé une proposition de rejet de l’interdiction autrichienne. Et par deux fois, le Conseil de l’UE a “validé” la décision autrichienne à la majorité qualifiée (24 juin 2005 et 18 décembre 2006). Les membres du Conseil de l’UE ont justifié la possibilité du maintien du moratoire par le fait que l’autorisation de ces maïs n’a pas été approuvée selon la directive 2001/18, mais en vertu d’une directive abrogée qui ne contient pas les mêmes critères d’évaluation environnementale. Ils ont aussi demandé aux instances de prendre en compte de manière plus systématique dans les évaluations “les différentes structures agricoles et les caractéristiques écologiques régionales”.
Récemment, le 9 octobre, la Commission a de nouveau soumis une proposition de levée de ce moratoire ! Cette fois-ci, la proposition ne demande pas la levée du moratoire sur les cultures, mais seulement la levée de l’interdiction de la vente et de l’importation du MON810. On peut dire que la Commission fait preuve d’une grande persévérance, qui ne cache pas les pressions états-uniennes, dénoncées par les associations.
Le 27 avril dernier, sur la même base, l’Allemagne a interdit la vente de semences de MON 810, jusqu’à la décision de renouvellement de l’autorisation et tant qu’aucun plan de surveillance conforme à la directive 2001/18 n’aura pas été soumis par le titulaire de l’autorisation. La Commission n’a pas encore fait connaître sa position vis-à-vis de cette interdiction. La décision intervenue fin avril n’a pas eu d’effets immédiats pour les cultures de l’année 2007, les semences ayant déjà été commercialisées. Mais elle pourrait peut être avoir des effets en 2008, si l’autorisation du MON810 n’est pas renouvelée d’ici là.
La clause de sauvegarde de la directive 2002/53
La directive 2002/53 concerne le catalogue commun des variétés des espèces des plantes agricoles. Une fois qu’un événement transgénique6 est autorisé selon la directive OGM (dir. 2001/18), les variétés de la plantes doivent être inscrites au catalogue européen. Les variétés sont alors commercialisables sur tout le territoire de l’UE.
La clause de sauvegarde de cette directive permet à un Etat d’interdire l’utilisation d’une variété s’il démontre l’un des cas suivants :
la culture de cette variété pourrait nuire, sur le plan phytosanitaire, à la culture d’autres variétés ou espèces ;
la variété ne produit pas, sur le territoire de l’État, des résultats correspondant à ceux obtenus pour une variété comparable (en terme de rendement…) ;
la variété, en raison de sa nature ou de sa classe de maturité (adaptation aux conditions climatiques), ne peut être cultivée sur le territoire ;
la variété présente un risque pour la santé ou l’environnement.
Dans ce cas, l’État doit faire la demande avant de pouvoir interdire la culture.
La Pologne a été autorisée à interdire l’utilisation de 16 variétés de MON810, du fait de leur caractère “impropre à la culture en quelque partie de la Pologne que ce soit et en raison de leur classe de maturité trop élevée […]. Certains facteurs climatiques et agricoles constituent un obstacle permanent à la culture des dites variétés en Pologne”.
La Grèce a, elle, interdit toutes les variétés de MON810 autorisées (soit une quarantaine). Le 10 janvier 2006, suite à l’absence de justification de la mesure au regard de la protection de l’environnement et de décision du Conseil de l’UE, la Commission a refusé à la Grèce le droit d’interdire la commercialisation de semences de maïs MON810. La Grèce a retiré ses mesures mais les a immédiatement réitérées, apportant des justifications scientifiques. Dernièrement, le ministre de l’Agriculture grec a signé un décret prolongeant de deux ans l’interdiction des variétés de MON810.
A l’heure de la publication, la rédaction n’est pas en mesure de dire si l’une des clauses de sauvegarde sera mise en œuvre. Le gouvernement se contentera-t-il de l’effet d’annonce du gel des cultures en hiver… en attendant une loi (cf. p.2) ?