Tolérer des PGM non autorisées, à quel prix ?
La gestion des PGM semble être simple : une PGM est autorisée ou non à être commercialisée. Mais lorsque l’on regarde de plus près, on se rend compte que des exceptions existent. Ainsi, l’Union européenne pourrait bientôt tolérer la présence de PGM non autorisées dans des produits importés en Europe.
La politique actuelle et ses implications
A ce jour, il existe plusieurs échelons de tolérance pour les PGM : celles autorisées, celles en cours d’autorisation et celles non autorisées. Les PGM en cours d’autorisation peuvent être présentes dans des lots importés mais pas à plus de 0,5% si elles ont reçu un aval scientifique. Pour les PGM non autorisées, la politique est la tolérance zéro, c’est-à-dire pas de PGM au-dessus du seuil de détection (0,1%).
Ce dernier cas s’est illustré ces deux dernières années avec la contamination de lots de riz états-unien importés en Europe et contaminés par des variétés de riz transgénique LL de l’entreprise Bayer, et aussi de riz contaminé par un riz transgénique chinois, le Bt63. Ces deux situations ont conduit l’Europe à décréter un embargo sur le riz états-unien et des contrôles accrus sur les produits en provenance de Chine. Ce qui économiquement s’est fait ressentir puisque les producteurs de riz aux Etats-Unis auraient perdu environ 770 millions d’euros [1].
Le débat à venir
“La tolérance zéro pose problème”, indique la Commissaire européenne à la Santé, Androulla Vassiliou, avant d’annoncer de proposer sous peu d’établir dans l’Union européenne un seuil de tolérance des PGM non autorisées en Europe mais présentes dans des lots importés [2]. Pour la commissaire, cette tolérance concerne “des quantités faibles qu’il est déjà difficile de détecter”. Jöseph Pröll, ministre autrichien de l’Environnement et de l’Agriculture reconnaît qu’après avoir discuté informellement avec ses collègues européens, il paraît difficile qu’une telle décision ne soit pas adoptée [3]. Mais la vraie raison de cette proposition semble être le désir de synchroniser les autorisations de PGM à l’échelle internationale : une autorisation dans un pays équivaudrait à une autorisation dans le monde entier puisque les PGM seraient autorisées ou “tolérées”.
Aujourd’hui, cette tolérance est-elle justifiable ? Quelles en seraient les conséquences ? Les techniques actuelles ont-elles vraiment du mal à détecter des petites quantités de PGM ? Ou seulement lorsqu’il s’agit de PGM non autorisées, puisque les autorités conduisant les contrôles ne peuvent pas savoir quoi chercher ?
Premiers éléments de réponses dans notre interview (ci-dessous).
Interview de Yves BERTHEAU
Directeur de recherche à l’Inra de Versailles, coordinateur du programme européen Coextra (www.coextra.eu)
Que pensez-vous de la possible tolérance de PGM non autorisées annoncée ?
Le problème des autorisations asynchrones est identifié depuis longtemps, mais les études internes de la Commission européenne disponibles à la base de cette réflexion ne permettent pas vraiment de comprendre cette demande. En particulier parce que l’analyse coûts-bénéfices est toujours aussi drastiquement manquante.
De plus, en absence de réglementation adéquate, les outils de contrôles adéquats font défaut, d’où des risques accrus de discordance d’analyses. Des retraits du marché de produits et des suites judiciaires sont prévisibles.
Notons surtout que détecter des OGM non autorisés n’est plus un problème technique ! Nous disposons de méthodologies et développons un système d’aide à la décision pour les laboratoires. Détecter les OGM inconnus est surtout un problème “économique” : de coût pour les laboratoires privés, de budget et personnel pour les laboratoires d’Etat, ce que ne résoudra pas la proposition actuelle. A l’heure où un pays comme le Brésil augmente ses exportations vers l’UE de produits carnés bio et garantis sans OGM, cette proposition de la CE paraît donc à la fois disproportionnée, dépassée et sans bases scientifiques et économiques solides.
Quelle devait être, selon vous, la réponse raisonnable à y apporter ?
Au vu du peu de moyens humains dont dispose la CE pour l’étude de cas complexes de ce genre, une expertise collective contradictoire, avec par exemple les scientifiques du programme Co-Extra, aurait été nécessaire et aurait permis une approche plus équilibrée et une solution meilleure.
Par ailleurs, le seuil pratique de présence fortuite de PGM (entre 0,1 et 0,01%) déjà utilisé par les opérateurs permet de régler très facilement l’éventuelle présence d’OGM non autorisés. La méconnaissance des résultats de recherche et des filières par les DG conduit à des incohérences qui auraient pu être évitées.
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle tolérance ?
La première conséquence sera sans doute de savoir si la présence de PGM non autorisée sera spécifiquement signalée sur les étiquettes, un droit des consommateurs, puisque la réglementation européenne ne prend en compte que les PGM autorisées.
Pour les laboratoires de détection privés et d’Etat, si le seuil adopté diffère du seuil pratique actuel (entre 0,1% et 0,01%), il faudra une réglementation permettant de disposer des méthodes et surtout du matériel de contrôle afin d’éviter les discordances de résultats. Il faudra ensuite valider des méthodes quantitatives : une surcharge de travail qui risque de ralentir encore l’autorisation des PGM dûment notifiés à l’UE. Si les méthodes et matériel de référence ne peuvent être obtenus, la recherche devra développer des méthodes quantitatives de détection des PGM non autorisées, une activité longue non prévue.
Pour les opérateurs privés, on peut s’attendre à une augmentation des coûts d’analyses, des poursuites judiciaires en cas de retrait de produits par erreur, mais surtout à des conflits d’intérêt qui vont s’aggraver entre opérateurs des filières.
Economiquement, l’ensemble des opérateurs de diverses filières risque donc d’être perdant à long terme, comme les consommateurs. Il semble même que certaines sociétés ne voient guère d’un bon œil ce changement des règles. Mais il apparaît surtout que l’on se dirige à pas feutrés vers une “dérégulation” à l’américaine.
Interview réalisée par E. Meunier,
relue et amendée par Yves Bertheau
Dernière minute : La Commission suggère, dans un document interne transmis aux commissaires, qu’il serait possible, sans consulter le Parlement, de fixer un seuil de détectabilité à 0,1 %. Ce seuil permettrait aux Etats de ne plus ordonner la saisie de cargaisons entières de riz, de maïs ou de soja si elles ne présentent que de faibles traces d’une PGM interdite dans l’UE. Il s’agit d’une “solution purement technique”.
Communiqué Agra presse, 26 juin 2008
[1] Inf’OGM ACTU n°4, ETATS-UNIS – Coût de la contamination aux riz LL
[2] Reuters, 10 juin 2008
[3] Agra Presse hebdo, le 2 juin 2008