Semences paysannes : comment les valoriser ?
Les semences paysannes se développent sur le terrain : comment les réseaux de producteurs peuvent-ils valoriser économiquement les produits qui en sont issus ? Avec des marques ? Des labels ? La réponse n’est pas évidente.
Certains collectifs de producteurs membres du Réseau Semences Paysannes (RSP) enregistrent et utilisent des marques commerciales (de type collective simple) pour mieux vendre leur production mais aussi promouvoir certaines pratiques et variétés : la marque du Parc Naturel Régional Blé meunier d’Apt ou les marques Flor de Pèira, Biobreizh, et Bio Loire Océan. D’autres collectifs sont en cours de réflexion (association Arto Gorria pour la promotion du maïs Grand Roux Basque par exemple). La plupart de ces initiatives incluent les semences paysannes dans un cahier des charges plus global. La marque Flor de Pèira (gammes de farines de blé tendre issues de mélanges de variétés) met par exemple l’accent sur la meunerie locale sur meule de pierre, à mouture semi-complète et sans additifs. Chez Biobreizh, le cahier des charges impose un pourcentage d’autoproduction de semences et plants. L’association Nature & Progrès travaille sur un cahier de charges semences reprenant la définition des semences paysannes. La marque Demeter interdit les variétés hybrides F1 obtenus par « stérilité mâle cytoplasmique » (CMS). Les marques commerciales et labels peuvent parfois se révéler antinomiques avec leurs objectifs initiaux (voir encadré ci-dessous).
Les normes de traçabilité et de contrôle peuvent en effet concourir à standardiser la production et à lisser les diversités [1]. Cette critique de la démarche de garantie « produit » traverse le monde de l’agriculture biologique depuis l’homologation de son cahier des charges : elle est source de recherche d’alternatives à l’image du Système participatif de garantie développé par Nature & Progrès évitant la certification par tiers imposée par les cahiers des charges homologués. Certaines démarches tentent de protéger une dénomination de tout détournement en posant une marque, sans pour autant en faire une exploitation commerciale. C’est le cas d’ « agriculture paysanne » marque déposée par la Confédération Paysanne. C’est aussi le cas des termes « semence paysanne » et « Maisons des Semences Paysannes » déposés par le RSP.
Un autre outil : les indications géographiques
Autre outil de valorisation centré sur la protection de l’origine et de la dénomination : les indications géographiques (IG). Il s’agit de mentions officielles de qualité du domaine public (appelé label en France, comme le label AB), contrairement aux marques commerciales qui sont privées. Principales IG : l’Appellation d’origine contrôlée/protégée (AOC au niveau français, AOP au niveau européen) et l’Indication géographique protégée (IGP). En France, la majorité des IG appliquées aux variétés de pays imposent dans leur cahier des charges l’utilisation d’une variété commerciale (donc homogène et stable) tout en s’accaparant une dénomination de la variété de pays originelle (IGP haricot tarbais, AOP oignon doux des Cévennes, AOP « haricot Ganxet » en Espagne [2]…). Peu de cahier des charges autorisent les semences auto-produites à la ferme et sont partiellement ouverts aux variétés populations (AOP Oignon Rosé de Roscoff, AOP Piment d’Espelette).
Marque : une exclusivité à l’encontre d’un Commun ?
D’autres praticiens soulignent la contradiction entre une marque, qui est un droit de propriété, et le caractère « libre de droits de propriété » des semences paysannes. Certains artisans semenciers, regroupés au sein de l’Organisation Professionnelle des Artisans Semenciers Européens (OPASE) avancent d’autres formes d’organisation et de rémunération du travail que la simple « rente de la qualité » qu’offrent marque et label, et militent pour la juste répartition de la plus-value dans les filières.
Pour conclure, il existe actuellement plusieurs processus autour de la valorisation des produits issus de semences paysannes et de la promotion des savoir-faire associés (un certain nombre ne sont pas cités dans cet article). La marque privée collective simple constitue un outil relativement souple, beaucoup moins lourd à mettre en œuvre qu’une indication géographique et permet de fait une valorisation rapide pour les producteurs. En tant que droit de propriété industrielle, son utilisation n’est néanmoins pas neutre comme en témoigne l’intérêt actuel d’acteurs économiques puissants : le risque de glissement d’une valeur d’usage des semences paysannes (liée à des droits d’usage) vers une valeur marchande (liée à des droits de propriété) [3] est aussi une réalité à prendre en compte.
[1] De nombreux cas ont été documentés : IG au Vietnam qui standardisent les variétés et les produits (Frédéric Thomas et Dao the Anh 2009), IG sur les produits phares de l’arganeraie marocaine qui déstructurent les savoirs locaux (Thierry Linck 2009), basculement d’une logique de réseau à une logique industrielle des acteurs de la bio (Sylvander, 1997) ; la plupart des IG sur les fromages français, à l’instar de celles sur les variétés de pays, montre une tendance vers la standardisation des pratiques (robotisation de la traite, imposition de ferments industriels, de races « améliorées »…). Là aussi, il y a toujours des exceptions relatives comme l’AOC Comté qui propose un cahier des charge favorisant les deux races laitières locales, les systèmes agropastoraux, les ferments naturels et interdisant les OGM transgéniques dans la ration.
[2] ,
, « ESPAGNE – La biopiraterie passerait-elle par des AOP ? », Inf’OGM, 26 octobre 2015
[3] COVA Bernard, 27/11/17 « Jeux interdits ? Comment les entreprises captent la richesse non-marchande »