Risques OGM dans l’UE : de moins en moins bien évalués
La législation européenne sur les OGM a la réputation d’être une des plus strictes au monde. Pourtant, durant les vingt dernières années, le travail même d’évaluation des risques s’est progressivement dépourvu de rigueur scientifique. Surtout, la Commission européenne est parvenue, au fil des années, à alléger une évaluation des risques déjà lacunaire.
En 2021, la Commission européenne annonçait vouloir une évaluation des risques liés aux OGM non transgéniques (et cisgéniques) aussi rigoureuse que celle appliquée aux OGM transgéniques. Une promesse qui n’est pas faite pour rassurer celles et ceux qui se sont penchés sur cette évaluation…
Une évaluation des risques déficiente
La réputation de la législation européenne sur les OGM à être une des plus exigeantes au monde tient notamment à l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux avant toute éventuelle autorisation. Pourtant, la manière dont est effectuée cette évaluation est critiquable. En 2012, le dossier de demande de renouvellement de l’autorisation du maïs MON810 constituait un exemple des lacunes d’une évaluation des risques digne de ce nom [1]. Ce dossier, déposé par Monsanto, reposait notamment sur des postulats de départ erronés. Par exemple, le fait que la protéine transgénique Cry produite par le maïs MON810 est identique à la protéine Cry naturelle produite par une bactérie ; ou encore, la comparaison des compositions entre des maïs cultivés à des périodes et des lieux différents alors qu’il aurait fallu comparer des plantes cultivées dans le même lieu et en même temps. Troisième postulat erroné : pour évaluer la toxicité du maïs transgénique, les analyses présentées ont comme point de départ le postulat que le maïs transgénique n’est pas toxique. Les résultats ont ensuite été analysés de manière à vérifier s’ils réfutaient ou non cette hypothèse. Mais une analyse rigoureuse devrait partir de l’hypothèse inverse, à savoir que le maïs transgénique a un effet toxique et que l’évaluation doit prouver le contraire pour obtenir une autorisation… Couplé à d’autres lacunes, ce dossier du maïs MON810 finit, en France, par faire l’objet d’une analyse supplémentaire par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui constata également de nombreuses erreurs d’analyses (surtout en termes statistiques, un élément de base).
Une autre constatation effectuée par F. Jacquemart, ancien Président d’Inf’OGM, en 2012, concerna les experts en eux-mêmes. Regardant de plus près l’évaluation des risques que le maïs MON810 pouvait entraîner en termes d’allergies, il se rendit compte d’un paradoxe significatif. Pour évaluer le risque allergologique des OGM, les experts européens regardent les résultats d’un test appelé « test de résistance à la pepsine » dont ils savent pourtant qu’il n’a rien de prédictif. Ce test n’est en fait pas valable. Mais les règles internationales, basées sur une publication scientifique d’anciens salariés de Monsanto, imposent ce test, qui devient donc une référence [2]…
Un allègement progressif, éloignant d’une évaluation pertinente
En 2013, le règlement 503/2013 adopté par la Commission européenne pour renforcer cette évaluation des risques l’a, paradoxalement, encore plus affaiblie. Parmi les mesures les plus emblématiques [3], ce règlement permet à la Commission de rendre les analyses de toxicologie non obligatoires dans les dossiers. Si la Commission n’a pas encore mise en œuvre cette possibilité, elle en a néanmoins la possibilité. Autre mesure présente dans le règlement : la possibilité pour les entreprises de ne pas fournir les données expérimentales (description moléculaire, analyses toxicologique, nutritionnelle, environnementale…) qui devaient accompagner toute demande selon la procédure existante avant 2013. Une telle possibilité a été prévue pour des raisons très évasives telles que si « des informations données ne sont pas nécessaires compte tenu de la nature de la modification génétique ou du produit », si elles ne sont pas nécessaires « d’un point de vue scientifique » ou si « leur fourniture est techniquement impossible ».
D’autres allégements ont été prévus. Par exemple, une demande d’autorisation pour une plante empilant dans son génome plusieurs modifications vaudra également pour toutes plantes contenant une partie de ces modifications. Ainsi, autoriser la commercialisation d’un OGM ayant les modifications A, B, C et D, par exemple, induit que les OGM AB, BC, BCD, ACD… sont également autorisés. Un tour de passe-passe qui a permis de multiplier le nombre d’OGM autorisés tout en diminuant le nombre de dossiers à traiter. Sur le plan scientifique, cette démarche n’est pourtant pas justifiée puisque ces OGM peuvent interagir entre eux différemment et avoir, de ce fait, des impacts imprévus suivant les empilements choisis, voire être produits indépendamment les uns des autres !
Des dossiers retirés
Malgré ces lacunes dans l’évaluation des risques, l’approche européenne a pu tout de même provoquer le retrait de certaines demandes d’autorisation d’OGM par les entreprises elles-mêmes. Il en fut ainsi, par exemple, pour l’utilisation de protéines obtenues à partir de colza Gt73 [4] pour lesquelles l’AESA demandait des données d’analyses d’alimentarité et de toxicologie aiguës. Mais les experts européens ont fini par constater que l’entreprise Monsanto « a fait le choix de ne pas répondre ». Si l’avis final des experts ne fut pas négatif, c’est parce que l’entreprise a fini par informer « la Commission qu’ils voulaient exclure l’usage des protéines isolées des graines de colza Gt73 du champ de leur demande d’autorisation ». En 2013, pour le maïs 98140 de Pioneer Hi-Bred, les experts européens constataient que des analyses d’impacts sur la santé humaine ou animale avaient été faites soit à partir de mauvaises données, soit mal faites. Mais l’entreprise a fini par retirer sa demande d’autorisation plutôt que de la compléter avec de nouvelles analyses. Elle indiquait donc à la Commission ne plus avoir d’intérêt commercial dans le maïs 98140.
Évaluation des risques lacunaire puis allégée par la Commission européenne… La future évaluation des risques liés aux OGM non transgéniques risque donc de satisfaire peu de monde si la Commission parvient à modifier la législation actuelle. Un risque qui passera peut-être plus inaperçu puisqu’il est d’ores et déjà devenu plus difficile de suivre le détail des demandes d’autorisation d’OGM, depuis la refonte du site de l’AESA [5].
[2] cf. note 1, page 35
[3] ,
, « OGM : un encadrement en mode allégé », Inf’OGM, 11 octobre 2018
[4] , « UE – Évaluation des OGM : suite à des avis très critiques, des dossiers sont retirés », Inf’OGM, 6 juin 2013
[5] , « Transparente, la Commission éparpille les informations », Inf’OGM, 5 avril 2022