Produire un OGM : au petit bonheur la chance ?
Dans son document de position politique publié en septembre 2019, EuropaBio écrit que « l’édition du génome est une méthode de sélection récente qui permet des modifications génomiques précises sans insertion de gènes étrangers ». Mais des articles scientifiques relativisent cette « précision ». Surtout que certains mécanismes biologiques mis en jeu dans les protocoles de modification génétique ne sont pas compris scientifiquement !
À l’instar d’EuropaBio [1], d’autres organisations industrielles affichent leur confiance dans un choix technologique qu’elles nomment « science ». L’Association européenne des semenciers écrivait en avril 2019 à la Commission européenne que « les variétés végétales développées à l’aide des dernières méthodes d’amélioration ne devraient pas être soumises à des réglementations additionnelles ou différentes si elles peuvent être également obtenues par des méthodes d’amélioration antérieures ou résulter de processus spontané dans la nature » [2]. La maîtrise technique serait telle, que les nouveaux OGM obtenus seraient identiques à ce que la Nature produit spontanément. Mais rien n’est moins sûr comme le détaillent des articles assurant avoir amélioré ces techniques [3].
Des outils d’une précision aléatoire
Certaines nouvelles techniques de modification génétique utilisent des nucléases. Ces protéines sont censées couper l’ADN ou l’ARN qui devra ensuite être réparé. Leur porte-étendard est sans conteste depuis 2012 le complexe Crispr/Cas9 dont les entreprises de biotechnologies clament la facilité de mise en oeuvre et une précision infaillible. Pourtant, en octobre 2019, la revue Nature examinait une « méthode alternative » à Crispr/Cas9 [4]. Nommée PRIME, elle utilise un complexe Crispr/Cas modifié, offrant « un plus grand contrôle sur les modifications du génome » que Crispr/Cas9. Ce plus grand contrôle « améliore les chances que les chercheurs finissent par n’avoir que les modifications qu’ils veulent, au lieu d’un mélange de changements qu’ils ne peuvent prévoir [. Et il] réduit également les effets « hors cible » qui sont un défi majeur pour certaines applications du système standard Crispr/Cas9 ». Ce simple exemple d’amélioration de l’outil soit disant infaillible de précision ramène Crispr/Cas9 à sa juste valeur d’être « encore un peu maladroit et sujet à des erreurs et des effets non intentionnels »… Rappelons qu’en 2018 déjà, une autre nucléase nommée Crispr/Cas12a était présentée comme « plus efficace et plus précise » [5].
Cette course à l’échalote de la meilleure technique qui remplacerait les autres était déjà perceptible avec les OGM transgéniques, summum de la précision dans les années 2000. Finalement, les défauts d’une technique, minorés sinon tus dans les premiers temps pour la promouvoir, en deviennent presque inacceptables lors de la promotion d’autres nouvelles techniques.
Efficacité relative et effets non intentionnels ?
Ces effets non intentionnels, que nous détaillons ailleurs [6], ont été renseignés de manière intéressante en 2019 dans le cas de Crispr/Cas9. Des chercheurs ont voulu savoir quel complexe, de Crispr/Cas9 et Crispr/Cas12a, était le meilleur pour modifier génétiquement des animaux. Ils ont alors analysé les modifications génétiques obtenues [7]. Selon leurs résultats, Crispr/Cas9 permet d’obtenir la modification génétique désirée dans au mieux 65,7% des cas (dans 5,4% des cas au pire). Crispr/Cas12a donne une fourchette de résultats allant de 65% à 18,8% des cas. Mais dans tous les cas, les chercheurs ont observé des modifications non intentionnelles à proximité du site de coupure visé. Ils commentent : « Nous avons développé un nouvel outil pour détecter […] les modifications faites par Crispr et il montre qu’il peut y avoir plus de modifications non intentionnelles […] que nous avions pensé » ! Ces résultats rappellent qu’il n’y a jamais eu de comparaison expérimentale des effets non intentionnels liés aux diverses techniques à nucléases (ZFN, Talen, Crisp/Cas, RNAi…).
Des mécanismes biologiques toujours mal compris !
L’absence de maîtrise observée dans le domaine des OGM peut parfois trouver son origine dans une simple absence de connaissance. Ainsi, les mécanismes biologiques mis en jeu pour produire des OGM ne sont pas tous expliqués.
Pour les techniques mises en œuvre sur cellules in vitro, ces cellules de plante sont isolées, multipliées sur milieu artificiel et soumises à différentes étapes lesquelles induisent toutes, outre la modification génétique souhaitée, d’autres modifications génétiques. Une fois sélectionnées, les cellules modifiées vont devoir être traitées pour redonner des plantes entières (étape de régénération des plantes). Mais plusieurs espèces végétales et variétés parmi d’autres espèces sont récalcitrantes et ne se régénèrent pas ou difficilement in vitro. Une limite importante car nombreuses sont les techniques de modification génétique nécessitant une phase de culture in vitro [8]. Un article scientifique de 2015 rappelle que « la régénération de plantes entières […] est une technologie clé pour l’amélioration des cultures et la biotechnologie végétale […] Les plantes issues d’espèces divergentes diffèrent largement en ce qui concerne leurs propriétés de régénération, mais la base moléculaire de ces différences est restée insaisissable […] et, par conséquent, de nombreuses plantes cultivées importantes sont restées récalcitrantes à la régénération » [9]. La connaissance des mécanismes et des conditions optimales de régénération ne semble pas avoir beaucoup progressé depuis, rendant les recettes de cuisine des laboratoires toujours focalisées sur certaines variétés dites « de laboratoire », hormis de rares variétés « élite » [10]. En 2019, un article détaille à nouveau qu’un « certain nombre de questions qui reposent principalement sur le manque de connaissances spécifiques sur les conditions optimales de croissance in vitro peuvent compromettre l’efficacité de cette méthode [ndlr, la culture cellulaire in vitro], entraînant des problèmes de récalcitrance dans de nombreux taxons » [11].
Autre mécanisme, autre inconnue : la réparation de l’ADN
La grande majorité des techniques de modification génétique repose sur les mécanismes biologiques réparant l’ADN. Pour insérer un transgène, un cisgène ou obtenir des mutations allant des insertions / délétions aléatoires à de larges réarrangements chromosomiques [12], une coupure de l’ADN doit avoir eu lieu et être réparée. Or, selon un article de 2019, le résultat de la réparation est de fait incontrôlable [13]. La réparation de l’ADN peut se faire soit par recombinaison homologue (échange de séquences identiques entre deux molécules d’ADN), ou par la jonction d’extrémités non-homologues (recollage d’une cassure par reconstruction) [14]. Mais un article de 2018 précisait que « dans bien des cas, le mécanisme exact par lequel [le mécanisme de réparation est choisi] n’est pas clair » [15]. Cette méconnaissance interpelle car le même article précise que « alors que la recombinaison homologue permet une réparation fidèle et une croissance cellulaire saine, la jonction d’extrémités non-homologues a un plus grand potentiel pour contribuer aux mutations et malignité »… Si en thérapeutique humaine la malignité est un cancer, peut-on affirmer sereinement que les techniques sont précises ? Une question qui renvoie aux modifications non intentionnelles observées chez les enfants récemment génétiquement modifiés par Crispr/Cas9 [16].
Produire un OGM de « référence » s’avère problématique
Un dernier exemple pour illustrer l’étendue de cette absence de maîtrise. Pour commercialiser un OGM dans l’Union européenne, les entreprises doivent fournir un protocole spécifique pour le tracer. Elles doivent également indiquer à l’Union européenne où se fournir en matériel de référence pour appliquer en routine ce protocole. Ce matériel de référence est généralement un simple échantillon de semences broyées de l’OGM, a priori simple à produire pour les entreprises le commercialisant. Pourtant, en 2019, l’Union européenne a dû décider de vérifier systématiquement la qualité de ce matériel OGM fourni par les entreprises. Des « défaillances techniques » avaient été décelées en 2018 dans certains matériels de référence fournis par la Société des chimistes étasuniens des huiles [17]. Cet intermédiaire est un syndicat, à but lucratif, des producteurs étasuniens de graisses et huiles. Il vend ainsi à l’Union européenne le matériel de référence des OGM. Après avoir échangé avec des représentants d’entreprises, l’Union européenne concluait en juin 2019 qu’il était impératif de vérifier systématiquement la qualité des matériels de référence certifiés fournis ! Une nécessité étonnante au regard de la théorique maîtrise technique affichée en production de semences et des références techniques du syndicat.
Cet exemple de non maîtrise dans la production de matériel de référence fiable n’est pas isolé. La pureté des lots d’enzymes utilisées pour le séquençage ou pour la PCR, par exemple, n’est pas garantie à 100%. Une impureté qui peut induire un séquençage ou des PCR moins fiables que présentés couramment [18]. On peut dès lors facilement imaginer quelle peut être la pureté des complexes protéiques utilisés en « édition du génome »…
[1] EuropaBio est une association européenne qui représente les intérêts de l’industrie des biotechnologies. Elle regroupe les acteurs économiques des trois secteurs d’activité principaux de la biotechnologie : l’agriculture, la santé et l’industrie (source Wikipédia).
Voir le papier de positionnement d’EuropaBio « Agriculture durable et biotechnologies », septembre 2019
ou en ligne :
[2] Source Inf’OGM
[3] Bertheau, Y. (2019). « New Breeding Techniques : Detection and Identification of the Techniques and Derived Products ». In Encyclopedia of Food Chemistry, Reference Module in Food Science, R.H. Stadler, ed. (Elsevier), pp. 320-336.
Germini, D., Tsfasman, T., Zakharova, V.V., Sjakste, N., Lipinski, M., et Vassetzky, Y. (2017). « A comparison of techniques to evaluate the effectiveness of genome editing ». Trends in Biotechnology 36, 147-159.
Samanta, M.K., Dey, A., et Gayen, S. (2016). « CRISPR/Cas9 : an advanced tool for editing plant genomes ». Transgenic Res, 1-13.
[4] « Super-precise new CRISPR tool could tackle a plethora of genetic diseases », H. Ledford, Nature News, 21 octobre 2019
[6] Voir , « Les effets non intentionnels, objets de controverse », Inf’OGM, 23 décembre 2020
[7] , « Crispr : plus d’effets hors-cible que prévus », Inf’OGM, 19 décembre 2019
[8] Bidabadi, S.S., et Jain, S.M. (2020). “Cellular, Molecular, and Physiological Aspects of In Vitro Plant Regeneration”. Plants 9, 702.
[9] « Overcoming recalcitrance – Auxin response factor functions in plant regeneration », W. Ckurshumova et T. Berleth, Plant Signal Behav. 2015 Jul ; 10(7).
[10] Ledford, H. (2020). “Crispr gene editing in human embryos wreaks chromosomal mayhem”. Nature 583, 17-18.
[11] « Overcoming sexual sterility in conservation of endangered species : the prominent role of biotechnology in the multiplication of Zelkova sicula (Ulmaceae), a relict tree at the brink of extinction », A. Carra et al., Plant Cell, Tissue and Organ Culture, 37, pages139–148 (2019).
[12] Hahn, F., Nekrasov, V. (2019). “CRISPR/Cas precision : do we need to worry about off-targeting in plants ?” Plant Cell Reports 38, 437-441.
Kosicki, M., Tomberg, K., et Bradley, A. (2018). “Repair of double-strand breaks induced by CRISPR–Cas9 leads to large deletions and complex rearrangements”. Nature Biotechnology.
Ledford, H. (2016). “Plant-genome hackers seek better ways to produce customized crops”. Nature 539, 16-17.
[13] Que, Q., Chen, Z., Kelliher, T., Skibbe, D., Dong, S., et Chilton, M.D. (2019). “Plant DNA Repair Pathways and Their Applications in Genome Engineering”. Methods Mol Biol 1917, 3-24.
[14] Balestrazzi, A., Yoshiyama, K.O., et Sakamoto, A.N. (2020). “Editorial : The Maintenance of Genome Integrity in Plants : Novel Challenges in Basic and Applied Research”. Frontiers in Plant Science 11.
Nisa, M.-U., Huang, Y., Benhamed, M., et Raynaud, C. (2019). “The Plant DNA Damage Response : Signaling Pathways Leading to Growth Inhibition and Putative Role in Response to Stress Conditions”. Frontiers in Plant Science 10.
[15] « How cells ensure correct repair of DNA double-strand breaks », J. Her et S.F. Bunting, The Journal of Biological Chemistry, July 6, 2018, 293, 10502-10511.
[16] Callaway, E. (2016). “Second Chinese team reports gene editing in human embryos”. Nature.
[17] , « UE – Contrôle des OGM : un matériel défectueux », Inf’OGM, 20 janvier 2020
[18] « Microbial Contamination in Next Generation Sequencing : Implications for Sequence-Based Analysis of Clinical Samples », PLoS Pathog. 2014 Nov ; 10(11) : e1004437.
Wally, N., Schneider, M., Thannesberger, J. et al. Plasmid DNA contaminant in molecular reagents. Sci Rep 9, 1652 (2019). https://doi.org/10.1038/s41598-019-38733-1