n°171 - avril / juin 2023

OGM : une vision simpliste et mécanistique du vivant

Par Inf'ogm

Publié le 24/04/2023

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Du point de vue du généticien moléculaire, la définition d’un OGM est finalement assez proche de celle que l’on trouve dans la directive européenne 2001/18, à savoir tout organisme vivant dont les caractéristiques génétiques initiales ont été modifiées d’une façon nécessitant l’intervention de la main de l’homme, indépendamment de la technique utilisée.

Inf’OGM – Du point de vue de votre discipline, comment définissez-vous un OGM ?

Christian Vélot – De ce point de vue, notons que le terme « modifié » n’est pas du tout approprié, et qu’il aurait été plus judicieux et pertinent de parler d’ « Organismes Génétiquement Manipulés ». En effet, les modifications génétiques — et notamment les transferts de gènes — existent dans la nature et constituent l’un des moteurs de l’évolution, ce qui a conduit les défenseurs inconditionnels de la transgenèse, et autres modifications génétiques, à affirmer sans sourciller que « la nature n’a rien fait d’autre que de fabriquer des OGM depuis le début de l’histoire du règne vivant » [1]. Or, ces transferts naturels (c’est-à-dire sans l’intervention de la main de l’homme) et l’évolution qui en résulte ont lieu sur des échelles de temps géologiques, avec une évolution parallèle de tous les éléments des écosystèmes. Par exemple, nous, les humains, avons des gènes d’origine bactérienne. Mais sans ces gènes bactériens, nous ne serions jamais devenus l’homme ou la femme que nous sommes. Tous ces transferts de gènes se sont faits de manière aléatoire entre organismes partageant une même niche écologique, celle-ci jouant le rôle de milieu de sélection en ne retenant que les transferts se caractérisant par une meilleure adaptation.

Ce très long processus a conduit à l’immense diversité que nous connaissons aujourd’hui, que ce soit dans le monde végétal, animal ou microbien. En revanche, avec la transgenèse, non seulement on permet des transferts de gènes entre organismes qui ne se seraient jamais rencontrés naturellement, mais on modifie brusquement — sur une échelle de temps extrêmement courte — les propriétés d’un organisme donné (c’est-à-dire d’un élément d’un écosystème choisi par l’homme) de façon orientée (et non plus aléatoire) pour lui conférer un avantage sélectif particulier (choisi par l’homme) dans cet écosystème.

Cette plante pourra alors proliférer au détriment de ses congénères ainsi que des autres éléments de son écosystème, qui étaient pourtant initialement aussi bien adaptés qu’elle à cette même niche écologique. Il en résulte donc, au contraire, une atteinte directe à la biodiversité.

Par ailleurs, les paysans, à travers la sélection massale, n’ont fait que favoriser la reproduction et le développement de plantes et animaux porteurs de caractères d’intérêt, en « forçant la main » à des croisements qui pouvaient se faire naturellement (les paysans n’ont pas rendu inter-fécondables des plantes qui ne l’étaient pas). De plus, cette sélection massale s’est, là encore, effectuée sur de très grandes échelles de temps, et a abouti à une multitude de variétés parfaitement adaptées aux différents écosystèmes de la planète. Avec les PGM, au contraire, très souvent l’avantage sélectif conféré par les gènes introduits artificiellement ne peut être obtenu qu’au prix d’une modification de l’écosystème, notamment par un apport important d’intrants. C’est le cas, par exemple, des plantes rendues tolérantes à un herbicide, qui ne peuvent présenter un avantage sélectif par rapport aux autres plantes que dans un environnement contenant cet herbicide. Par conséquent, avec la manipulation génétique, on adapte l’environnement à la plante et non plus les plantes à leurs environnements, ce qui conduit inévitablement à une diminution de la biodiversité à travers une standardisation des écosystèmes, c’est-à-dire exactement le contraire de ce qu’ont toujours fait la nature et la sélection massale.

Pouvez-vous décrire, de ce point de vue, cet objet technique, social et culturel ?

Les OGM nous sont avant tout présentés comme des produits de la technologie — des biotechnologies — et « donc » synonymes de progrès. Ils sont le fruit de la vision technophile dans laquelle baignent la plupart de nos politiques et des scientifiques : cette vision phantasmatique du progrès où toute avancée technologique serait synonyme de progrès social. Renoncer aux OGM reviendrait donc à adopter une attitude passéiste, voire obscurantiste. Les questions cruciales de l’utilité sociale des OGM n’arrivent, en général, qu’en second plan. C’est pourtant l’utilité sociale qui devrait dicter les besoins et les éventuels recours aux technologies. Au lieu de cela, on fait des OGM pour faire des OGM, et, pour que ça se vende, on invente une utilité sociale : résoudre la faim dans le monde, produire des agro-carburants (celle-ci étant d’ailleurs totalement antinomique de la précédente), des médicaments,… Le recours à la vitrine médicale est d’ailleurs largement utilisé pour l’acceptation sociale des OGM agricoles : si les technologies OGM permettent de répondre favorablement à des problématiques de santé, comment pourraient-elles ne pas être bénéfiques dans le domaine agricole ?

Quant aux alternatives, elles sont carrément ignorées dès lors qu’elle ne font pas appel aux technologies. Faut-il qu’une solution à un problème agronomique sorte d’un labo pour qu’elle mérite d’être qualifiée de progrès ? N’oublions pas que ce ne sont pas les chercheurs, ni même les agronomes, qui ont inventé l’agriculture, mais les paysans, qui sont d’ailleurs, comme expliqué plus haut à propos de la sélection massale, les premiers généticiens du monde. Et les prétendues « solutions » sorties des labos n’en sont pas, car elles s’inscrivent dans le tout ou rien. En éradiquant ou en neutralisant l’action des insectes, des adventices, des champignons, des bactéries, des virus,… on ne fait que déplacer le problème en perturbant des équilibres dans des niches écologiques ou contextes agronomiques donnés. On alimente ainsi la démarche de fuite en avant dans laquelle s’inscrivent l’agriculture et la technoscience depuis des décennies.

Quels sont les contours de cet objet social ? Comment le placez-vous dans le contexte global en considérant tout le vivant ?

Les technologies OGM sont basées sur une vision totalement simpliste et mécanistique [2] du vivant où l’ADN, dans lequel les gènes constitueraient des unités indépendantes, serait le chef d’orchestre (dogme du « gène-tout-puissant »). Toute l’industrie de la biotechnologie, depuis la création de la première entreprise de biotech dans les années 70, est en effet fondée sur cette vision simpliste et obsolète du vivant. Modifier une séquence d’ADN revient à agir sur le chef d’orchestre, et donc à s’approprier la nouvelle musique ou la nouvelle partition. Ainsi, ne suffit-il pas de modifier une séquence d’ADN dans une plante pour devenir propriétaire non seulement de la séquence modifiée, mais de la plante toute entière ? Or, cette vision du tout génétique triomphant est aujourd’hui un déni scientifique. Nous savons depuis longtemps que si l’ADN est le même dans toutes les cellules d’un organisme pluricellulaire, celles-ci acquièrent pourtant des fonctions spécifiques selon les tissus et organes auxquels elles appartiennent. Ce n’est donc pas l’ADN en tant que tel qui est déterminant, mais ce qu’en font les cellules : certains gènes s’expriment dans certains tissus et pas dans d’autres, et à certains moments de la journée ou de la vie et pas à d’autres. Cette double régulation spatiale et temporelle du fonctionnement des gènes est conditionnée par des signaux extérieurs (neuronaux, hormonaux, nutritionnels, environnementaux au sens le plus large du terme), et relève de ce qu’on appelle l’épigénétique.

Outre le fait que les gènes ne sont pas des entités indépendantes et qu’on ignore quasiment tout de leurs interactions potentielles, leur fonctionnement est donc intiment lié aux écosystèmes dans lesquels vivent les organismes vivants. Par conséquent, prétendre, au prétexte que le langage génétique (c’est-à-dire la manière dont est organisée l’information biologique dans la séquence d’ADN) est quasi universel dans le monde du vivant, que toute manipulation génétique est parfaitement maîtrisée, est un déni de connaissance et un manque total d’humilité scientifique.

Après la transgenèse et la mutagenèse aléatoire (consistant à modifier aléatoirement et massivement les séquences d’ADN sous l’effet d’agents chimiques ou physiques), les nouvelles techniques de manipulation du génome se succèdent à une vitesse spectaculaire, avec des noms plus barbares les unes que les autres. Ces techniques, pour lesquelles nous n’avons bien sûr aucun recul, sont l’objet de tous les fantasmes et de toutes les promesses, que ce soit dans le domaine agricole avec la prétendue « amélioration des plantes », ou dans le domaine médical pour résoudre les maladies génétiques contre lesquelles on attend encore que se réalisent concrètement les « miracles » de la thérapie génique vantés depuis 30 ans.

L’industrie agro-alimentaire et semencière veut exonérer les produits de ces nouvelles techniques de la législation OGM, en considérant les plantes qui en seront issues comme conventionnelles, afin qu’elles puissent échapper à toute réglementation en matière d’évaluation et de traçabilité. Des « experts » tentent de justifier scientifiquement cette opération en prétextant que ces techniques seraient plus précises que la transgenèse ou la mutagénèse aléatoire. Or, ces nouvelles techniques, quand bien même seraient-elle précises à l’échelle de l’opération moléculaire en elle-même — ce qui reste grandement à être démontré —, n’offrent évidemment aucune maîtrise supplémentaire à l’échelle de l’organisme entier, qui plus est replacé dans son écosystème.

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