Nouveaux OGM : séquences non désirées, conséquences inconnues
Des taureaux modifiés avec de l’ADN en trop, des cellules cultivées in vitro ayant intégré de l’ADN de bactéries, de chèvres ou de bovins, un maïs OGM célèbre qui n’est pas vraiment celui qu’on escomptait… Voici quelques exemples illustrant que les entreprises ne maîtrisent pas les protocoles de modification génétique. À l’heure où les entreprises demandent aux politiques européens et internationaux la suppression des évaluations de risque et une confiance aveugle dans la qualité de leurs produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique, ces exemples renvoient les expérimentateurs et législateurs à une nécessaire humilité.
Dans un protocole technique visant à générer des modifications génétiques, toutes les étapes et les mécanismes techniques ne sont pas maîtrisés [1]. Ils sont pourtant nombreux et il serait peu rigoureux de les ignorer. Jusqu’à maintenant, l’Union européenne impose une évaluation des risques – bien que limitée car mise en œuvre par les producteurs d’OGM eux-mêmes et n’incorporant pas de nombreuses avancées de la science comme l’épigénétique – avant toute mise sur le marché ou dissémination dans l’environnement d’un OGM pour tenter d’écarter les conséquences potentiellement dommageables de cette absence de maîtrise. Une fois l’OGM autorisé, un plan de surveillance doit être conduit annuellement pour vérifier l’éventuelle apparition d’impacts négatifs sur l’environnement qui n’auraient pas été anticipés. Ces évaluations des risques et surveillance relèvent du principe de précaution.
La nature même des impacts sanitaires ou environnementaux potentiels liés à des insertions de séquences d’ADN non souhaitées par exemple est une question qui ne peut se poser a posteriori. La seule existence d’insertions comme celles que nous allons voir, comme de tout effet non-intentionnel [2] ouvre la porte à continuer de mettre en œuvre le principe de précaution pour éviter que les consommateurs ne deviennent les testeurs grandeur nature d’une supposée absence de risque. Un principe de précaution dont pourtant les entreprises demandent à être aujourd’hui affranchies pour les nouveaux OGM.
Le milieu de culture, un milieu mutagène et en sus contaminant !
Dans un article de 2019, des chercheurs de l’Institut national de sciences médicales au Japon rapportent avoir modifié génétiquement par Crispr/Cas des cellules de souris. Ils ont indiqué avoir trouvé des insertions d’ADN de bactéries, de bovins ou encore de chèvres dans le génome de ces cellules [3]. Un résultat pour le moins inattendu dont ils ont cherché la cause.
Leur protocole impliquait la multiplication, classique, dans des bactéries Escherichia coli en culture, de l’ADN qu’ils voulaient insérer. Cet ADN, sous forme plasmidique, contenait, comme pratiqué généralement dans ces protocoles expérimentaux, des séquences codant un complexe Crispr/Cas9 devant couper le génome des cellules de souris en un lieu déterminé.
Afin de faciliter leur travail de sélection des cellules transformées, un gène de résistance à un antibiotique était inséré avec le transgène (une pratique courante mais critiquée depuis le début des OGM). L’expérimentation visait simplement à obtenir la coupure de l’ADN de souris et à observer les résultats. Le séquençage de sites à proximité du lieu de coupure a permis d’observer, dans plus de la moitié des cas, des insertions ou délétions d’un ou deux nucléotides composant l’ADN. Mais également, dans 4% des cas, des insertions de séquences de plus de trente-trois nucléotides. Ces séquences proviennent des plasmides insérés dans les bactéries Escherichia coli (incluant un gène de résistance à un antibiotique), des copies du génome de souris lui-même et, totalement inattendues, des séquences d’ADN de bovins ou de chèvres d’origines inconnues. Après investigations, ces séquences d’autres mammifères proviennent du milieu de culture des cellules de souris, celui-ci contenant 10% de sérum de fœtus bovin ou caprin ! Cette pratique est généralisée, mais ses conséquences non recherchées, donc non trouvées.
Cet exemple récent est une claire illustration que toutes les étapes d’un protocole opératoire doivent être prises en compte quand il s’agit d’évaluer si un nouvel OGM doit être commercialisé ou non.
Des taureaux plus modifiés que prévu
De telles insertions non intentionnelles d’ADN n’ont pas été observées que dans le cadre de la recherche japonaise. Une situation analogue a récemment défrayé la chronique : Alison Van Eenennaam, qui travaille actuellement à l’université de Californie Davis, présentait en 2018 lors d’une conférence OCDE un point sur « l’utilisation de l’édition du génome chez les animaux de ferme : les bovins ». Elle affirmait alors que « d’un point de vue risque, cela n’a pas de sens de réglementer des [taureaux modifiés] génétiquement sans corne différemment des [taureaux] sans corne obtenus naturellement et portant exactement la même séquence d’ADN » [4]. Ces taureaux modifiés génétiquement par la technique Talen [5] pour ne pas avoir de cornes étaient sur le point d’être commercialisés au Brésil par l’entreprise Recombinetics. Leur naissance avait été annoncée en 2016 par des chercheurs de Recombinetics, dans une lettre assurant que les analyses conduites avaient « révélé que [ces] animaux sont exempts d’évènements hors-cible, confirmant à nouveau la grande spécificité des TALEN » [6]. Mais, en 2019, des chercheurs de l’agence de surveillance des aliments et des médicaments américaine (FDA) montraient au contraire que ces taureaux avaient dans leur génome des séquences bactériennes non prévues issues d’étapes préalables à l’étape de modification génétique elle-même. L‘analyse des séquences fournies par Recombinetics prouvait la présence non pas d’un mais de deux exemplaires de la séquence génétique « sans corne », ainsi que des séquences de résistance à un antibiotique issues d’un ADN circulaire utilisé lors du protocole opératoire.
Fin août 2019, sur le site Internet Wired, Tad Sonstegard, pdg de la filiale de Recombinetics ayant modifié génétiquement les taureaux, reconnaissait que son entreprise « n’a pas étudié l’intégration d’ADN circulaire […]. Nous aurions dû » a-t-il ajouté [7]. Un aveu qui se suffit à lui-même et qui justifie pleinement de continuer à appliquer la législation sur les OGM pour anticiper les risques potentiels liés à ces imprécisions. Peut-être est-ce en partie pour cela que la FDA a exigé que les animaux génétiquement modifiés par des nouvelles techniques soient régulés.
Les séquences transgéniques déclarées pas toujours exactes
Et si cette absence de maîtrise faisait que l’OGM vendu n’était pas exactement celui qui a été évalué et autorisé ? Dans ce domaine, le plus célèbre des OGM et quasiment le premier, le maïs Mon810, est un parfait exemple d’utilisation d’une protéine insecticide au mode d’action encore incertain. Autorisé pour la première fois aux États-Unis en 1996, ce maïs est présenté encore aujourd’hui comme un maïs génétiquement modifié produisant « une protéine Cry1Ab par incorporation de la séquence codant Cry1Ab dérivée de Bacillus thuringiensis » [8]. Mais les choses ne sont pas aussi simples ni aussi maîtrisées qu’EuropaBio, organe de lobby des industries semencières et auteur de cette présentation du maïs Mon810, l’affirme. Dans un avis de 2009, le comité scientifique (CS) du Haut Conseil des biotechnologies [9] note que « la protéine exprimée dans le maïs Mon810 est plus courte que la protéine Cry1Ab de Bt […] car le fragment de séquence codante effectivement intégré dans le génome de maïs est de 2448 nucléotides (nt), alors que celle-ci est de 3465 nt » dans la construction utilisée in vitro pour modifier génétiquement le maïs. Si cet avis précise que cette différence « est parfaitement décrite dans le dossier », le CS du HCB rapporte en plus qu’une autre protéine pourrait être synthétisée par le maïs GM. Bref, on ne sait pas si une seconde protéine est produite ou non par ce maïs, quelle serait sa fonction mais le phénotype « insecticide » est satisfaisant, donc on autorise !
La conclusion atteinte par le CS du HCB laisse alors songeur sur la réelle maîtrise technique. Il conclut en effet que « l’une ou les deux protéines sont exprimées dans le maïs Mon810 et l’une au moins (ou les deux) a (ont) une action attendue sur certains invertébrés puisque cette plante est résistante à la pyrale du maïs », avouant son ignorance sur le mécanisme réel à la base du caractère insecticide de ce maïs. La science ne peut pas toujours expliquer ce qu’elle fait, même si elle le fait.
[1] , « Produire un OGM : au petit bonheur la chance ? », Inf’OGM, 15 décembre 2020
[2] , « Les effets non intentionnels, objets de controverse », Inf’OGM, 23 décembre 2020
[3] , « OGM – Quand de l’ADN non désiré s’invite avec Crispr », Inf’OGM, 2 octobre 2019
[4] , « Bovins OGM : sans corne mais avec des gènes en plus… », Inf’OGM, 1er octobre 2019
[5] , « Quel talen(t) ! Des nouvelles techniques pour modifier le génome des plantes », Inf’OGM, 5 mars 2013
[6] « Production of hornless dairy cattle from genome-edited cell lines », Nature Biotechnology, vol. 34, pp. 479–481 (2016).
[7] Voir note 2.
[8] Voir la fiche du maïs Mon810 également disponible en ligne sur https://www.europabio.org/product/mon-810