Népal : le paradoxe de l’urgence
Les 25 avril et 12 mai 2015, le Népal connaît un épisode sismique d’une violence rare. Les conséquences de la catastrophe sont multiples, il est indispensable d’intervenir dans les plus bref délais. Or répondre à l’urgence engage le pays dans des axes stratégiques à long terme qui n’ont pu être pensés par les populations. Inonder le pays à court terme de semences hybrides ou OGM conditionne forcément le développement semencier national à plus long terme.
Lorsque la terre tremble, ce sont des maisons qui s’écroulent, causant des pertes humaines directes, un paysage qui disparaît, un traumatisme évident. Ce sont également des pertes dont les conséquences sont révélées à moyen et long termes. Au Népal, les paysans stockent leurs récoltes et leurs semences à l’étage, dans leurs maisons. La destruction matérielle massive découlant du tremblement de terre n’implique donc pas uniquement l’absence de toit, mais aussi l’absence de semences et de nourriture. Principale conséquence : les gens meurent de faim. À plus long terme, la population paysanne a perdu sa ressource, son moyen d’existence. Elle va donc être tributaire des dispositifs d’aide et de secours d’urgence.
Des semences importées pas contrôlées
Depuis janvier 2014, les semences OGM sont officiellement interdites à l’importation au Népal. Mais suite au séisme de 2015, les autorités cherchent des solutions adéquates au manque cruel de nourriture et de moyens, et sont dans l’impossibilité de contrôler l’ensemble des importations, dont les semences entrantes. Officieusement, les opérations de contrôle visant à réduire à néant l’utilisation de semences hybrides ou génétiquement modifiées n’ont jamais réellement été effectives, dénoncent les – peu nombreux – militants anti-OGM, dont Navindra, travailleur pour l’association Sappros (Support Activities for Poor Producers of Nepal). « Le Népal a toujours importé ses semences en légumes, d’Inde ou de pays développés. La plupart d’entre elles ne sont pas issues de l’agriculture biologique, ce sont des hybrides […] et des semences de maïs qui peuvent être OGM. (…) Le gouvernement est tout à fait opposé aux OGM. Mais pour être complètement honnête, le problème vient du fait que le système de contrôle du gouvernement est vraiment peu efficient ».
Malgré une multitude de textes de loi, les contrôles de qualité et la législation associée n’en sont qu’à un stade primaire, de même que les recherches menées sur les impacts des OGM sur la santé et l’environnement.
Dans le rapport de la FAO datant de 2001 sur la diversification des cultures dans la région Asie-Pacifique, K.C. Sharma souligne, à propos du Népal, le manque de contrôle et la mauvaise qualité des semences, et la déficiences des laboratoires.
Le contexte d’urgence fait ressortir des discours de légitimation en faveur des semences hybrides et OGM, à croissance rapide et hauts rendements. Nombreux sont les témoignages de paysans qui ne tarissent pas d’éloges pour des dons en semences, qu’ils ignorent encore être non reproductibles et dont ils ne perçoivent que les avantages à court terme, au lendemain de la catastrophe. Navindra, de l’association Sappros, dénonce à cet égard, un manque d’information à destination des communautés paysannes : « Il n’y a pas de paysans qui se battent réellement contre les OGM (…). Ce sont les gens de classe moyenne et les hautes castes qui jouent les médiateurs entre les paysans et les organisations. Et même ces personnes mobilisées sont très peu nombreuses ».
La situation d’urgence doit inciter les paysans et le gouvernement à redoubler de vigilance : rappelons la proximité géographique de Monsanto qui conserve une fenêtre grande ouverte sur le territoire népalais depuis l’Inde, terrain conquis.
Agir avec les populations
Sur le terrain, le soutien aux communautés paysannes pour la préservation des variétés locales reproductibles s’exprime à travers des initiatives collectives menées en collaboration avec des associations locales, dont Sappros. Navindra témoigne : « Nous avons le soutien du Réseau Chercheur Népal français, qui nous a conduit vers Kokopelli et nous a aidé à approvisionner les paysans avec des semences biologiques. […] Ces semences-là ont donné de bons résultats ». La priorité est sans doute aujourd’hui d’agir avec les populations pour que la reconstruction ne compromette pas les pratiques culturelles et les modes de vie en détruisant de manière durable la relation entre les paysans et les semences. C’est un retour vers une autonomie semencière qui devrait être envisagé pour lutter de manière durable contre les famines, et non une mise en dépendance de variétés qui coûtent cher et doivent être achetées chaque année. Voilà donc les tenants du piège : la nécessité de penser en urgence la vie, et non la survie.