Modifier les législations brevets de l’UE et de l’OEB : un coup d’épée dans l’eau ?
Au printemps 2024, les opposants aux brevets sur le vivant ont remporté une victoire au Parlement européen, dont le souhait d’exclure les produits issus des NTG de la brevetabilité. Plusieurs obstacles majeurs restent cependant à franchir, notamment l’adoption de la majorité de ces dispositions par l’Office européen des brevets.
En Europe, les brevets sur le vivant sont encadrés par la Convention sur le brevet européen (CBE), qui régit l’Office européen des brevets (OEB), et la directive de l’Union européenne (UE) 98/44 sur les « inventions biotechnologiques ». En juin 2023, l’UE s’est aussi dotée d’une législation propre sur le brevet unitaire qui s’applique à tous les domaines techniques. La brevetabilité des « nouvelles techniques génomiques » (NTG) s’est invitée au débat autour du projet de dérégulation des NTG, au point d’en bloquer encore l’issue (voir p. 9-10). Si la position de négociation sur la dérégulation des NTG adoptée in fine par le Parlement européen contenait des dispositions visant à modifier la législation de l’UE, quels en seraient les effets sur la CBE ?
La brevetabilité modifiée au fond
Dans la procédure de dérégulation des NTG, le débat sur les brevets porte notamment sur l’exclusion de la brevetabilité des produits issus des NTG, le maintien de la brevetabilité des procédés, avec cependant des limites pour certains d’entre eux, et les conséquences inhérentes (voir p.9-10). Plusieurs propositions d’amendements touchant ces questions, votées par le Parlement européen en deuxième lecture, font explicitement référence à des articles de la directive 98/44.
Les partisans de tels amendements expliquent que l’exclusion des produits NTG de la brevetabilité pourrait par exemple prévenir des monopoles sur des ressources génétiques. D’autres partisans y voient plutôt le partage des ressources génétiques générées par ces technologies. Les opposants de ces amendements craignent que de telles exclusions freinent l’innovation en réduisant les incitations pour les investissements dans la recherche et le développement, essentiels pour le progrès des biotechnologies. Dans les deux camps qui s’opposent, celui pour l’exclusion de la brevetabilité des produits issus des NTG a remporté la première manche. Mais même si ce dernier remportait la bataille au niveau de l’UE, rien ne dit que certains de ces amendements puissent être adoptés au niveau de l’OEB ou du brevet unitaire européen, organes incontournables du système de brevets dans l’Union européenne.
Un aboutissement peu probable
Une éventuelle modification de la directive 98/44 devra se faire après accord de la Commission, seule à avoir le droit d’initiative sur un nouveau texte. Cela peut avoir lieu soit à l’issue positive du trilogue engagé avec le Parlement, qui a déjà voté le texte, et la Commission, soit après l’adoption par ce trilogue d’un premier texte éludant ce sujet. Dans l’hypothèse où un texte comprenant les exclusions de la brevetabilité précédemment citées était adopté par la Commission, nous serions encore assez loin de sa mise en œuvre.
L’applicabilité d’une directive 98/44 modifiée dans le système européen des brevets pourrait se faire selon deux options, dont la première consisterait à modifier la CBE. L’autre laisserait chaque État membre de l’UE appliquer cette nouvelle directive, avec le risque d’incohérences et de défis pour une application uniforme des règles de brevetabilité des inventions biotechnologiques en Europe.
Modifier la CBE sera cependant difficile, car elle est juridiquement indépendante de l’UE. Ainsi, un acte juridique de l’Union européenne ne s’impose pas forcément à la CBE. En outre, les États membres de la CBE ne font pas tous partie de l’UE, comme la Suisse, la Turquie et la Norvège.
En juillet 2017, la CBE s’était déjà conformée à la directive 98/44 en modifiant la règle 28.2 de son règlement d’exécution pour exclure de la brevetabilité les produits végétaux et animaux obtenus exclusivement au moyen de procédés essentiellement biologiques. L’influence de cette directive sur la CBE ne sera peut-être pas suffisante dans le sujet plus complexe et plus sensible de l’exclusion de la brevetabilité des produits issus des NTG.