Les pesticides sur la sellette
L’ONG Générations Futures lutte contre les pesticides. Elle répond à nos questions, notamment sur les herbicides que tolèrent 88 % des plantes transgéniques ainsi que beaucoup des nouveaux OGM.
Inf’OGM – Glyphosate, 2,4 – D, dicamba, glufosinate, atrazine, … : quel statut légal et quels effets de ces herbicides ?
Nadine Lauverjat de Générations Futures – Toutes ces molécules sont des herbicides bien connus du monde agricole mais aussi des jardiniers amateurs, tout particulièrement le glyphosate.
L’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (ou 2,4-D) est un désherbant sélectif, inefficace par exemple contre les graminées. Utilisé comme constituant de l’agent orange (un défoliant), durant la guerre du Viêt Nam, il a été classé comme cancérogène possible en 2015 par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), instance de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Fort polluant des eaux, cette molécule est pourtant autorisée dans l’UE, dont la France qui l’autorise notamment pour se débarrasser des liserons.
Également fort polluant des eaux, l’atrazine est interdite dans l’UE depuis 2003. Cet herbicide a aussi des conséquences néfastes sur la santé des personnes exposées, et ce même à des doses environnementales (dans l’eau de boisson). L’Inserm a mis en évidence que les femmes ayant des traces d’atrazine dans les urines avaient 70 % de risque supplémentaire de mettre au monde un enfant ayant un faible périmètre crânien (d’où un moindre développement neurocognitif) et 50 % de risque supplémentaire d’avoir un enfant de petit poids à la naissance [1].
Le glufosinate est un herbicide non-sélectif. Toxique pour la reproduction humaine, il est classé 1A/1B selon le classement européen. Selon le Règlement 1107/2009 qui exclut tous les Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques 1 (CMR 1), cette substance doit être retirée du marché européen. Son autorisation communautaire arrive à expiration le 31 juillet de cette année. En France, il n’y plus aucune autorisation de mise sur le marché depuis octobre 2017.
Quant au glyphosate, c’est l’herbicide chimique le plus vendu au monde (en France, 8500 tonnes par an vendues). Le glyphosate, et nombre de ses sels (d’isopropylamine, d’ammonium, de potassium, etc.), sont autorisés sur de multiples cultures de notre territoire. C’est le désherbant « star », indissociable outre-Atlantique des OGM conçus pour résister à son action. Fin 2017, des ONG, dont Générations Futures, ont alerté le gouvernement sur la nécessité de mettre un terme à son utilisation dans l’UE, fondant leur demande sur des arguments sanitaires, règlementaires et environnementaux. Le CIRC a classé en mars 2015 le glyphosate comme cancérogène probable pour l’homme [2], mais cette classification a été contestée par le BfR (l’agence allemande évaluatrice du glyphosate pour l’UE) et donc par l’AESA – Autorité Européenne de Sécurité des Aliments – à qui revient l’obligation d’examiner la documentation scientifique avant toute homologation ou réhomologation de pesticides. Mais de nombreux conflits d’intérêt ont été mis à jour [3]).
Le glyphosate est aussi associé à des maladies graves du rein, du foie [4] et est suspecté d’être un perturbateur endocrinien [5]. On le retrouve dans les aliments [6], dans nos urines [7], et dans les eaux de surface, avec des concentrations dépassant souvent le seuil de 0,1 µg/l [8]. Toxique pour les organismes aquatiques [9] [10], le glyphosate peut avoir des conséquences néfastes sur la vie sauvage et réduire la biodiversité sur les terres agricoles [11].
Il modifie aussi la chimie des sols, et réduit l’absorption des éléments nutritifs du sol qui ont un rôle dans la protection des plantes : cela oblige à augmenter à la fois les taux d’engrais à base de nitrates [12] et l’utilisation de pesticides (fongicides ou insecticides) [13]. L’utilisation intensive de cette molécule est donc une aberration d’un point de vue sanitaire, écologique et agronomique.
Le dicamba est un herbicide sélectif organochloré, disponible aux États-Unis depuis les années 60 et approuvé au sein de l’UE au moins depuis 2009 [14]. Son autorisation arrive à son terme fin 2018. Le grand problème avec cette molécule c’est qu’elle est très volatile et donc impacte des zones non ciblées [15]. De même certaines données montrent qu’elle est toxique pour le développement. Et comme la plupart des herbicides, le dicamba est un polluant des eaux et est nocif pour les organismes aquatiques.
Comment sont autorisés les herbicides et existe-t-il une quantité de résidus de pesticides autorisés ?
Deux niveaux d’« autorisations » sont nécessaires pour utiliser un herbicide sur le sol français : il faut que la substance active soit autorisée au niveau de l’UE et qu’ensuite, chaque État membre autorise sur son territoire un produit formulé contenant cette substance active autorisée. Le produit formulé est autorisé pour certains usages, certaines cultures, ou encore à certaines périodes et dans certaines conditions (voir les restrictions d’utilisation sur les étiquettes).
Une fois le produit autorisé, des doses maximales d’emploi et un nombre d’applications sont imposés à l’utilisateur, parfois même un stade d’application, des délais avant récolte et diverses zones sans traitement à proximité des cours d’eau, de certaines plantes, de certains insectes, etc.
Enfin, chaque végétal produit en France, une fois mis en marché, ne devrait pas contenir des résidus de pesticides interdits (d’usage sur la culture ou interdit tout court dans l’UE). De même, chaque résidu de pesticide potentiellement présent dans ces aliments (pour humains ou animaux) ne doit pas dépasser la Limite Maximale de Résidus (LMR) qui lui est attribuée par décision communautaire.
Les LMR sont établies après une évaluation des risques et fixées pour un « couple » : un pesticide et un aliment. Il existe des LMR sur tous les aliments bruts (par exemple le raisin) mais pas pour tous les aliments transformés (il n’y a pas de LMR pour le vin). Il n’y a pas non plus de LMR pour un mélange de résidus de pesticides : le consommateur, si ce dernier ne mange pas bio, va donc se retrouver exposé à un cocktail de pesticides [16] [17].
D’ailleurs, il n’est pas rare que les agriculteurs préfèrent utiliser une kyrielle de molécules pour éviter de dépasser la LMR pour l’une d’elles. Depuis le 1er septembre 2008, l’UE a harmonisé les LMR dans le cadre du Règlement 396/2005 et elles peuvent être consultées dans la base de données des LMR de la Commission [18].
En France, c’est la Direction Générale de la Répression des Fraudes (DGCCRF) et les services vétérinaires de la DGAL qui, avec très peu de moyens, doivent faire les analyses et les transmettre tous les ans à l’UE. Cette année notre association a rendu public un document qui fait la synthèse de cinq années de données collectées par les fraudes et qui montre que 72,6 % des fruits et 41,1 % des légumes non bio sont susceptibles de contenir des résidus de pesticides dont certains avec des dépassements de ces fameuses LMR.
Quand des associations comme la nôtre mènent des enquêtes, il n’est pas rare qu’elles détectent des résidus de pesticides interdits ou des dépassements de LMR [19].
Pensez-vous que le gouvernement français interdira réellement le glyphosate d’ici trois ans ? Par quoi cette molécule pourrait être remplacée ?
La décision de la France d’interdire le glyphosate dans trois ans alors que l’UE a donné une autorisation pour cinq ans, va nécessiter une très grande vigilance de nos ONG et une très grande détermination du pouvoir en présence tant les forces contraires vont s’agiter et hurler à la distorsion de concurrence.
Tout convergeait en effet vers une interdiction de cette molécule : une Initiative Citoyenne Européenne réclamant sa fin [20], l’engagement de nombreuses organisations dont des associations d’agriculteurs malades [21], les votes des députés français et européens pour une sortie rapide du glyphosate [22], les alertes de scientifiques de renom ou d’agence comme le CIRC [23], et enfin le scandale des Monsanto papers et la polémique autour de l’évaluation scientifique de cette molécule.
Nos ONG ne manqueront pas de rappeler au Président Macron son engagement de campagne « placer la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides » mais aussi sa promesse faite après le vote « de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France ». Heureusement, la recherche agronomique propose des solutions et de nombreux agriculteurs, dont les bios, pratiquent depuis de longues années une agriculture sans glyphosate.
Herses-étrilles pour le « binage » mécanique (et non à la main comme les tenants du glyphosate le prétendent), cultures associées… : plusieurs techniques alternatives sont disponibles. Concrètement, des légumineuses, comme de la luzerne, peuvent cohabiter avec des céréales. En bonus, les légumineuses produiront de l’azote très utile aux cultures principales [24].
[1] Chevrier C, Limon G, Monfort C, Rouget F, Garlantézec R, Petit C, et al. 2011. « Urinary Biomarkers of Prenatal Atrazine Exposure and Adverse Birth Outcomes in the PELAGIE Birth Cohort ». Environ Health Perspect
[3] , « Autorisation des pesticides : comment manœuvre l’industrie », Inf’OGM, 7 mai 2018
[4] « Multiomics reveal non-alcoholic fatty liver disease in rats following chronic exposure to an ultra-low dose of Roundup herbicide », Robin Mesnage, George Renney, Gilles-Eric Séralini, Malcolm Ward & Michael N. Antoniou Scientific Reports 7, Article number : 39328 (2017)
[5] Clair E, Mesnage R, Travert C, Séralini G . « A glyphosate-based herbicide induces necrosis and apoptosis in mature rat testicular cells in vitro , and testosterone decrease at lower levels ». Toxicol In Vitro. 2012 ; 26 : 269-279. Epub 2011 Dec 19.
[7] https://www.generations-futures.fr/publications/glyphosate-1-exposition-francais-glyphosate-herbicide-plus-vendu-monde/
[8] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/246/0/pesticides-plus-rencontres-eaux-continentales.html
[9] Relaye RA. 2005. « The impact of insecticides and herbicides on the biodiversity and productivity of aquatic communities ». Ecological Applications, 15 : 618–627, and Relyea RA. 2005. « The lethal impact of roundup on aquatic and terrestrial amphibians », Ecological Applications 15 : 1118–1124.
[10] Szarek J, Siwicki A, Andrzejewska A, Terech-Majewska E & Banaszkiewicz T. 2000. « Effects of the herbicide Roundup on the ultrastructural pattern of hepatocytes in carp (Cyprinus carpio) », Marine Environmental Research 50 : 263-266.
[11] Heard MS, Hawes C, Champion GT, Clark SJ, Firbank LG, Haughton AJ, Parish AM, Perry JN, Rothery P, Scott RJ, Skellern MP, Squire GR & Hill MO. 2003a. « Weeds in fields with contrasting conventional and genetically modifies herbicide-tolerant crop – I. Effects on abundance and diversity ». Philosophical Transactions of The Royal Society London B 358 : 1819-1832.
[12] Kremer RJ & Means NE. 2009. « Glyphosate and glyphosate-resistant crop interactions with rhizosphere microorganisms ». European Journal of Agronomy 31 : 153-161.
[13] Noureddine Benkeblia, Professor of Crop Science, Department of Life Sciences, University of the West Indies, Mona Campus
[14] http://ec.europa.eu/food/plant/pesticides/eu-pesticides-database/public/?event=activesubstance.detail&language=EN&selectedID=1209
[15] https://www.courrierinternational.com/article/apres-le-glyphosate-le-dicamba-fait-des-ravages-aux-etats-unis-0
[16] https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/contaminants-alimentation-quels-cocktails-femmes-enceintes-sont-elles-exposees
[18] http://ec.europa.eu/food/plant/pesticides/eu-pesticides-database/public/?event=homepage&language=FR
[20] , « Stop Glyphosate, une Initiative citoyenne européenne utile », Inf’OGM, 12 avril 2018