n°172 - juillet / septembre 2023

Irruption des paysans dans les débats internationaux sur la biodiversité cultivée

Par Inf'ogm

Publié le 04/07/2023

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Les paysans s’organisent pour défendre dans les enceintes de la gouvernance mondiale la conservation et le renouvellement dans leurs champs de millions de semences paysannes locales. Ils luttent ainsi contre les tentatives de l’industrie de réduire cette immense diversité à quelques combinaisons de gènes brevetés.

Née en 1993, La Via Campesina (LVC) est aujourd’hui la principale organisation paysanne mondiale, représentant plus de 200 millions de paysans. Apparue au grand jour lors de grandes manifestations internationales organisées au tournant du XXIème siècle contre les accords de libre échange du Gatt puis de l’OMC, elle y exigea de « sortir l’agriculture hors de l’OMC » qui, depuis, s’est éteinte au profit de multiples accords commerciaux bilatéraux [1].

Le droit paysan sur les semences : un long combat

LVC n’a pas délaissé pour autant les autres instances internationales. En 1991, une délégation paysanne conduite par Yves Manguy, premier porte-parole de la Confédération Paysanne, se rendit à la réunion de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) destinée à adopter une nouvelle convention. Elle obtint le soutien des pays du « Sud » [2] pour rejeter la tentative des pays du « Nord » de supprimer le droit des paysans d’utiliser les semences issues de leurs propres récoltes, droit alors laissé à l’appréciation de chaque pays.

En 2001, le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) reconnut les droits des paysans à la protection de leurs connaissances, et de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs propres semences. Cette reconnaissance fut acquise en contre-partie de l’accès de l’industrie semencière des pays riches aux millions d’échantillons de semences récoltés dans les champs des paysans, avant tout dans les pays du « Sud » et conservés dans des banques de gènes. Mais cette reconnaissance fut laissée à l’appréciation des lois nationales, libres de la soumettre aux droits de propriété intellectuelle (DPI) et aux lois semencières imposées par l’OMC. Un droit au « partage des bénéfices » issus des brevets fut ajouté pour faire accepter l’introduction du loup de la privatisation des semences dans la bergerie des droits des paysans. Contourné par l’industrie, ce partage se réduit à quelques dollars symboliques versés à des chercheurs, des ONG ou des institutions liées à l’industrie semencière, et non à des organisations paysannes autonomes. L’accès aux semences conservées dans les banques de gènes est théoriquement conditionné à l’engagement de ne revendiquer aucun DPI pouvant limiter l’accès pour la recherche et la sélection à ces semences, leurs parties ou leurs composantes génétiques.

2022 : une première éclaircie ?

LVC a été invitée à s’exprimer, en 2007, à l’ouverture de la deuxième réunion de l’Organe directeur du Tirpaa [3]. Constatant que le Traité avait accompli sa première mission de faciliter l’accès aux ressources phytogénétiques, elle exigea l’accomplissement immédiat de sa deuxième mission : l’application effective et sans restriction des droits des agriculteurs. Soutenue par les pays du « Sud », principaux fournisseurs de ces ressources, cette exigence est combattue par les pays riches. Depuis, LVC défend ces droits à chaque réunion du Tirpaa au sein de la Plateforme pour la souveraineté alimentaire (CIP) [4], qui permet, aux côtés de quelques ONG, un contre-pouvoir face à l’industrie semencière.

Après de multiples réunions, le Tirpaa accoucha, en 2022, d’une liste d’« Options envisageables pour encourager, orienter et promouvoir la concrétisation des Droits des agriculteurs » [5]. Les options proposées par les organisations paysannes visent les objectifs affichés, mais elles sont accompagnées d’autres options visant à renforcer les DPI et le monopole commercial des semences industrielles.

Vers une Convention contraignante pour le respect des droits des paysans ?

En 2008, LVC a initié avec la Bolivie [6], au sein du Comité des droits humains de l’ONU, des négociations qui aboutirent, en décembre 2018, à l’adoption de la « déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales » (UNDROP) [7]. Cette déclaration reprend les droits des agriculteurs définis par le Tirpaa en supprimant la réserve de lois nationales pouvant s’y opposer. Mais elle est à ce jour facultative.

On peut se demander si tant d’efforts valent la peine pour n’obtenir que des vœux pieux pendant que l’industrie obtient des traités de libre-échange et des DPI contraignants. La réponse est oui. La présence paysanne dans ces arènes internationales permet de dénoncer les fausses promesses de l’industrie et de soutenir l’adoption de lois nationales protectrices des droits des agriculteurs. Ces lois nationales balisent le chemin destiné à transformer l’UNDROP d’application facultative en une Convention contraignante.

Mais les manœuvres de l’industrie sont sans limites. Le séquençage génétique de la première espèce végétale mobilisa, à la fin du siècle dernier, six ans de travail de centaines de chercheurs et des millions de dollars. Désormais, quelques dollars et quelques heures suffisent pour obtenir le séquençage complet d’une semence. En 2014, le secrétaire du Tirpaa annonça sa décision d’engager le Traité dans le programme DivSeek, qui vise à séquencer les millions d’échantillons de semences conservées dans les collections placées sous sa gouvernance [8]. LVC dénonça immédiatement cette initiative qui permet de faciliter le brevetage de ces séquences génétiques. Un an plus tard, le secrétaire du Tirpaa a été remercié et le Traité se retira du programme DivSeek.

L’entourloupe de l’information sur les séquences génétiques

Dès 2017, l’industrie et les pays riches entonnèrent une nouvelle chanson : les informations génétiques(Informations séquentielles numériques, ou DSI en anglais) sont des produits de la recherche et non des ressources génétiques. Elles échappent ainsi à l’article du Traité qui interdit « tout droit de propriété intellectuelle ou autre droit limitant l’accès facilité aux ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ou à leurs parties ou composantes génétiques, sous la forme reçue du Système multilatéral » [9]. L’industrie continue ainsi à revendiquer des brevets sur les informations génétiques offertes par DivSeek et à étendre leur portée à toutes les semences les contenant et exprimant leur fonction (résistance à une maladie, caractère nutritionnel ou d’intérêt industriel…). Et ce, y compris sur les semences issues de sélections paysannes ou traditionnelles ne pouvant pas faire la preuve d’avoir contenu ces informations génétiques avant la revendication du brevet concerné.

Aucun paysan ou petit semencier n’a accès au séquençage génétique systématique indispensable pour amener la preuve de cette antériorité. Ce subterfuge sémantique, qui transforme les ressources génétiques en « produits de la recherche », permet aujourd’hui à cinq multinationales de contrôler 60 % du marché mondial des semences certifiées. Il génère cependant de vives protestations des pays du « Sud », alertés par LVC et des ONG. L’Organe directeur du Tirpaa a renvoyé la question à la Convention sur la diversité biologique (CDB) avant de remettre récemment ce sujet à l’ordre du jour de ses travaux [10]. En attendant, les brevets sur des « informations génétiques » identifiant les séquences génétiques introduites dans des plantes par les nouvelles techniques de modification génétique s’accumulent [11]. Pendant ce temps, la Commission européenne tente de supprimer l’obligation de traçabilité des PGM (plantes génétiquement modifiées). Or, cette obligation est le dernier outil juridique qui interdit d’étendre la portée des brevets sur ces informations génétiques aux semences paysannes ou traditionnelles qui les contiennent naturellement [12].

Pendant que les conflits que génère ce nouveau hold-up sur le vivant s’amplifient, les trois quarts de la nourriture disponible sur la planète sont toujours issus des systèmes semenciers paysans et non de semences industrielles. Les paysans s’organisent partout pour développer, échanger et protéger leurs semences et leurs connaissances. L’arrogance des pays riches est de plus en plus contestée. Les fausses promesses de l’industrie ne trompent que ceux qui y croient, et ils sont de moins en moins nombreux.

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