HCB : le débat entre les syndicats tourne court
Au mois de janvier 2012, Inf’OGM a proposé aux deux syndicats agricoles siégeant au Comité Économique, Éthique et Social (CEES) du Haut Conseil des Biotechnologies d’en débattre dans les colonnes d’Inf’OGM. La Confédération paysanne nous a envoyé le texte reproduit ci-dessous. La FNSEA nous a d’abord averti qu’elle risquait « d’être peu loquace du fait que notre démission du CEES résultat plus du non fonctionnement de cette structure que de notre opinion sur la question des OGM ». Depuis, et malgré plusieurs relances et le décalage de la publication de ce débat au numéro suivant, elle ne nous a rien envoyé. Nous regrettons ce silence.
Réponse de Guy Kastler, membre du CEES et de la Confédération paysanne
Le CEES est une instance consultative chargée d’éclairer la décision politique sur un sujet – les OGM – qui oppose des intérêts économiques particuliers à une opinion publique largement défavorable. En l’ouvrant à l’ensemble des acteurs du monde agricole et de la société civile, le ministre de l’Ecologie a rompu avec une vieille tradition de cogestion de la politique agricole avec la « profession », représentée par le seul syndicat majoritaire, l’industrie agro-alimentaire coopérative ou privée soutenue par une recherche publique mise à leur service par les « partenariats publics-privés ».
En une année de travail sur la coexistence, le CEES a mis en lumière l’opposition entre deux interprétations divergentes de la loi française sur les biotechnologies de 2008. D’un côté, l’obligation de « respect des structures agricoles (…) et des filières de production et commerciales qualifiées ’’sans OGM’’ » rend les cultures de maïs OGM impossibles. De l’autre, la « liberté de consommer ou de produire avec ou sans OGM » impliquerait pour certains l’existence obligatoire de toutes les cultures OGM. Cette opposition devient irréductible lorsqu’elle s’incarne d’un côté dans la diversité des pratiques agricoles de terrain et des autres usages ou intérêts patrimoniaux des territoires ruraux français, et de l’autre côté dans une organisation dirigiste des activités et des territoires agricoles suivant des modélisations « scientifiques » obéissant à des impératifs industriels et marchands macroéconomiques.
On retrouve la même opposition entre les deux derniers actes règlementaires du gouvernement. D’un côté, la Ministre de l’Ecologie suit les recommandations du CEES pour définir les conditions d’étiquetage de produits « sans OGM » ne dépassant pas le seuil de 0,1%. De l’autre, le Ministre de l’Agriculture envoie à la Commission européenne un projet d’arrêté sur la coexistence définissant des distances destinées à respecter le seul seuil de 0,9%, comme le demande l’article 6 de la loi de 2008. Il semble oublier ainsi l’article 2 de la même loi qui devrait l’amener 1) à interdire la culture de maïs OGM dans les zones où se trouvent des maïs « sans OGM », des maïs populations ou des ruches, 2) et plus particulièrement celle du MON810, qui n’a pas d’autorisation pour la consommation humaine de pollen, dans toute zone où se trouvent des ruches, puis 3), à définir l’étendue de ces zones.
On voit ainsi un même gouvernement approuver en 2008 le vote d’une loi qu’il n’applique pas en 2012, tout en prenant deux décisions aussi contradictoires que le décret « sans OGM » et le projet d’arrêté imposant une coexistence qui rend impossible l’existence de ce même « sans OGM ». Ces incohérences révèlent l’insuffisance de la contribution des acteurs agricoles et de la société civile à l’éclairage des décideurs politiques qui ne peuvent pas connaître tous les détails des réalités de terrain. Elles appellent un renforcement des contributions du CEES et non leur disparition.
Sur une question sociétale comme les OGM, aucune négociation équilibrée ne peut résulter du simple rapport de force entre les représentants d’intérêts économiques ou sociétaux opposés. Il n’est pas étonnant qu’elle ne puisse pas aboutir dans une instance consultative comme le CEES, en l’absence d’un pouvoir politique qui maintient l’ambiguïté entre des interprétations divergentes de ses propres lois. C’est pourquoi le CEES a préféré rendre compte de la réalité des difficultés réellement engendrées sur le terrain par ces diverses interprétations et de la diversité des points de vue qui en résulte. Il invite ainsi les décideurs à exercer eux-mêmes leur fonction d’arbitrage, plutôt que de faire croire à un faux consensus qui l’amènerait à se substituer à eux.
Habitués à être les seuls arbitres des négociations agricoles, les démissionnaires (cf. encadré ci-dessous) n’ont pas accepté que la diversité des points de vue ne soit pas réduite au consensus autour de leur propre arbitrage, ni que le débat soit rendu public. Il appartient désormais aux politiques de confirmer le choix démocratique du Parlement, ou de revenir à la confidentialité de l’ancienne cogestion corporatiste.
Démissions
Dans une lettre au Premier ministre François Fillon, la FNSEA, l’Association nationale des industries alimentaires et le GNIS ont expliqué la raison « officielle » de leur départ du HCB. Ils « déplorent l’absence de consensus au sein du CEES sur la volonté même de parvenir à mettre en place des règles permettant une véritable coexistence des cultures OGM et non OGM en France. Sa recommandation met en évidence la fracture entre deux visions inconciliables. […] Cette recommandation juxtapose des visions contradictoires, ne dégage aucun compromis équilibré et n’atteint pas l’objectif d’éclairer les pouvoirs publics. […] Nos organisations se retirent de cette instance car elles refusent d’y investir autant d’énergie pour un si piètre résultat : nos représentants y sont au mieux des spectateurs impuissants, au pire des alibis aux atermoiements de l’Etat sur les choix à opérer en matière de biotechnologies végétales ». Inf’OGM souligne que de nombreux points de la recommandation ont été considérés comme consensuels et que le rôle du CEES n’est pas forcément d’aplanir l’ensemble des difficultés mais de faire émerger les points de rupture dans une société. Traiter ses détracteurs de minoritaires, ou de dogmatiques, ne permettra pas de sortir du blocage que ces organisations dénoncent.