Caractérisation des variétés de plantes : l’approche génétique promue par l’UPOV
Les variétés de plantes protégées par un Certificat d’Obtention Végétale sont actuellement distinguées à partir de leurs caractères phénotypiques. Mais des réflexions en cours pourraient aboutir à la possibilité – voire à l’obligation – de les caractériser au niveau génétique. Ce changement pourrait être le signe annonciateur du « fichage génétique » des variétés. En France, une proposition de loi relative au Certificat d’Obtention Végétale est en cours de discussion. Et à l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV), des travaux avancent sur l’utilisation de séquences génétiques précises pour caractériser les variétés de telle ou telle espèce.
Les variétés végétales aujourd’hui commercialisées en France doivent obligatoirement être inscrites au catalogue des variétés. Par ailleurs, pour les obtenteurs qui le souhaitent, elles peuvent être protégées par le biais d’un Certificat d’Obtention Végétale (COV). L’inscription au catalogue se fait selon des critères qui doivent être conformes à ceux définis par l’organisme délivrant les COV. Ainsi, dans les deux cas – inscription au catalogue ou demande de COV -, les variétés doivent répondre à trois critères : être distinctes, homogènes et stables. La description précise de leurs caractères est donc importante. Mais cette description qui se fait encore aujourd’hui par observation morphologique pourrait se faire demain par analyse génétique.
Une définition génétique des variétés
Le législateur français a codifié la notion d’obtention végétale en 1992 avec notamment l’article L.623-1 du Code de la propriété intellectuelle [1]. Ce dernier définit précisément le terme de variété en établissant que « est appelée « obtention végétale » la variété nouvelle, créée ou découverte : 1° Qui se différencie des variétés analogues déjà connues par un caractère important, précis et peu fluctuant, ou par plusieurs caractères dont la combinaison est de nature à lui donner la qualité de variété nouvelle ; 2° Qui est homogène pour l’ensemble de ses caractères ; 3° Qui demeure stable, c’est-à-dire identique à sa définition initiale à la fin de chaque cycle de multiplication ». La Convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991 est plus précise sur ce point [2].
Signataire de cette convention en 2006, la France se devait donc de mettre son droit en conformité avec ce texte. C’est ainsi que le Sénat a discuté en 2011 d’une proposition de loi sur les obtentions végétales [3] qui reprend, pour l’application du droit des obtentions végétales, l’article 1 point 6 de la convention de l’UPOV : une variété correspond à « un ensemble végétal d’un taxon botanique du rang le plus bas connu qui […] peut être [a] défini par l’expression des caractères résultant d’un certain génotype ou d’une certaine combinaison de génotypes, [b] distingué de tout autre ensemble végétal par l’expression d’au moins un desdits caractères et [c] considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit conforme ». Ici donc, une variété se définit selon les caractères résultant d’un génotype, c’est à dire résultant des gènes, présents sous une ou plusieurs formes (les allèles), dans le génome de toutes les plantes de la variété et qui ont une influence sur leurs caractères. Une définition qui permet donc de décrire comme auparavant la variété à partir de ses caractères phénotypiques (morphologie)… mais aussi à partir des marqueurs génétiques ou moléculaire [4] correspondant à ces caractères. C’est donc sans surprise que, au sein de l’UPOV, une réflexion est actuellement en cours sur l’utilisation des récents progrès des techniques de marquage moléculaire.
Les marqueurs moléculaires comme signature génétique des variétés
Ces travaux avancent depuis une dizaine d’années. L’objectif affiché en est de pouvoir établir le « profil moléculaire des variétés végétales » [5]. Pour ce faire, les techniques choisies ont comme principe de caractériser certaines séquences génétiques réparties de façon appropriée dans le génome des variétés étudiées. Certains marqueurs seront choisis car liés à un gène contrôlant une fonction et donc influençant une caractéristique phénotypique particulière. D’autres seront choisis car ce sont des séquences particulières (très variables au sein de l’espèce), réparties dans le génome (marqueurs appelés microsatellites, polymorphismes nucléotidiques (cf. encadré ci-contre)…). Tous ces marqueurs sont actuellement étudiés pour leur capacité à discriminer des variétés entre elles et donc à caractériser chacune d’entre elles. Au final, l’idée serait donc d’utiliser le fait qu’une variété doit toujours être caractérisée comme distincte, homogène et stable. Les marqueurs spécifiques qui seront retenus pour chaque variété (distinction) devront donc être retrouvés lors de l’analyse de chaque plante (homogénéité) appartenant à une même variété (stabilité).
Une propriété industrielle particulière ?
L’utilisation de ces techniques de séquençage et de génotypage (avec les marqueurs associés) pose la question de la propriété industrielle qui en découlera. Car, comme le note le bureau de l’UPOV, « il est probable que certains marqueurs et autres méthodes ou matériel soient protégés par des droits de propriété intellectuelle ». Ces brevets protègeront toutes les plantes appartenant aux variétés contenant ces marqueurs, ce qui pourrait aller à l’encontre des directives européennes actuelles (98/44/CE) qui interdisent le brevetage des variétés végétales. Sans aller plus loin dans l’énoncé du problème, l’UPOV indique qu’il « est recommandé de régler les questions concernant les droits de propriété intellectuelle avant d’entreprendre tous travaux préliminaires » [6]. Ce qui, au vu des débats existants sur la propriété industrielle, s’avère complexe (cf. par exemple le cas du brocoli et de la tomate ridée [7]).
Mais surtout, la définition d’une variété et les techniques de caractérisation par utilisation de marqueurs moléculaires marginalisent encore plus les variétés dites populations. Ces dernières ne répondent pas à la définition « génétique » version UPOV d’une variété et surtout, du fait de leur hétérogénéité génétique, elles ne pourront être caractérisées (du moins de la même manière) par des marqueurs moléculaires. Les nouvelles obtentions végétales n’ont donc pas besoin de faire la preuve de leur distinction d’avec ces « non-variétés », même lorsqu’elles sont « notoirement connues » [8]. La biopiraterie reste ainsi acceptée par la loi. Pourtant, ces variétés population constituent la majorité des variétés utilisées aujourd’hui, notamment pour les cultures vivrières dans les pays du Sud.
[1] cf. http://www.legifrance.gouv.fr, rubrique « les codes en vigueur »
[2] « Convention internationale pour la protection des obtentions végétales » du 2 décembre 1961, révisée en1972, 1978 et 1991, http://www.upov.int/fr/publications…
[4] terme technique pour parler de courtes séquences d’ADN connues pour être très variables d’un individu à l’autre et pouvant servir de balises sur le génome – pour caractériser des variétés
[5] « Directives concernant les profils d’ADN : choix des marqueurs moléculaires et construction d’une base de données », Bureau de l’UPOV, 1er octobre 2010
[6] cf. le document de la note 5, page 5, para 3
[7] « Contestation d’un brevet sur le brocoli : un frein dans la course à la privatisation du vivant ? », A.C. Moy et G. Kastler, Inf’OGM n°110
[8]
GreenLight Biosciences ou l’ARN à tous les étages - 22 octobre 2024
La Hongrie tente de faire bouger les États membres - 1 octobre 2024
Les nanotechnologies au service des biotechnologies - 18 juillet 2024
Brevets sur le vivant : la Chine plus « éthique » que les États-Unis ? - 16 juillet 2024