Arrêtés anti-OGM : comment évolue le droit administratif ?
Face aux nombreuses incertitudes sur les risques environnementaux et sanitaires liés aux OGM, quelques réponses réglementaires sont avancées au niveau européen. Cependant, certains acteurs, souhaitant pallier des lacunes de la réglementation communautaire, prennent des initiatives volontaires. Ainsi, dix régions appartenant à sept Etats membres ont lancé un réseau “Région sans OGM” en novembre 2003 (Cf. encadré ci-dessous). Au niveau local, les mesures prises par les maires se multiplient. En 2002, on comptait environ 1500 communes qui avaient pris une mesure d’interdiction d’essais ou de cultures OGM. L’arrêté anti-OGM n’étant pris que pour une année, le nombre reste approximatif. Si la majorité d’entre eux ont été annulés au motif de l’incompétence du maire, le droit est néanmoins évolutif. Certains jugements pourraient, en effet, faire jurisprudence et orienter le droit administratif dans le sens d’une reconnaissance des compétences du maire en matière d’OGM. Mais pour cela certaines conditions doivent être remplies…
L’Union européenne s’est dotée d’une réglementation sur la dissémination d’OGM dans l’environnement dès 1990. En 1999, sous l’impulsion de plusieurs États membres (la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg et le Danemark), un moratoire sur les nouvelles autorisations d’OGM [1] est adopté. Ces pays justifient cette décision par la nécessité d’imposer un cadre normatif (ensemble de règles de droit comme l’adoption d’une loi, d’un règlement…) plus rigoureux et transparent en matière d’OGM et de renforcer les procédures d’expertise scientifique.
Depuis, de nouvelles réglementations européennes sont entrées en vigueur, notamment la directive 2001/18 qui remplace la directive de 1990 sur la dissémination volontaire dans l’environnement (à titre expérimental ou commercial) d’OGM. Ce texte met en place une méthode commune d’évaluation des risques, un mécanisme de sauvegarde et une consultation obligatoire du public.
L’entrée en vigueur du règlement 1830/2003 [2] concernant l’étiquetage et la traçabilité des produits alimentaires et semences contenant des OGM [3], le 18 avril 2004, marque la levée du moratoire et la reprise du processus d’autorisation de nouveaux OGM. Les attentes des Etats membres apparaissent désormais satisfaites, toutefois de nombreuses lacunes persistent. En effet, le taux de contamination des lots de semences n’est toujours pas déterminé, aucune réglementation claire n’est intervenue sur un régime de responsabilité en cas de dommages et sur les procédures assurant une coexistence entre cultures conventionnelles et transgéniques.
Les arrêtés, une réponse aux lacunes du droit en matière d’OGM ?
Les arrêtés municipaux “anti-OGM” se présentent comme une réponse à l’échelle locale. Ils pallient l’absence de cadre normatif qui garantirait un niveau élevé de protection en matière de santé et d’environnement. Ils se présentent également comme un moyen de remédier au manque de consensus qui prévaut au sein de l’Union européenne.
La directive 2001/18/ CE, adoptée et entrée en vigueur le 17 octobre 2001, encadre strictement la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Or, ce texte doit être obligatoirement transposé dans le droit interne des Etats membres pour être appliqué, ce qui n’est pas le cas en France [4]. Cette absence de transposition a d’ailleurs valu à la France une condamnation par la Cour de Justice des Communautés Européennes puisque cette directive aurait dû être transposée avant le 17 octobre 2002. En France, le droit en vigueur en matière d’OGM est le texte transposé de la directive de 1990 qui est désormais abrogée. Le droit français se base donc sur un texte européen qui n’est plus en vigueur.
Le Réseau européen des Régions sans OGM
Parallèlement au développement de la réglementation communautaire, dix régions, situées dans sept Etats membres (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce et Italie) lancent des initiatives spontanées. En novembre 2003, elles créent “le Réseau des régions sans OGM”. Cette action donne une nouvelle dimension à la campagne anti-OGM et permet de créer un réseau européen pour un impact plus important. Elle est coordonnée depuis le début par les régions de Toscane et de Haute Autriche. Depuis, de nombreuses régions se sont intégrées à ce réseau et une véritable dynamique anti-OGM s’est instaurée au sein de l’Europe. En France, seize régions et huit départements se sont déclarés “zones sans OGM” en adoptant des motions ou délibérations marquant leur opposition à toute culture ou essai sur leur territoire. Ils ont rejoint ainsi l’Aquitaine qui est partie prenante du réseau depuis son lancement.
L’adoption d’un acte interdisant les essais et cultures d’OGM sur un territoire déterminé est l’une des solutions privilégiées par les maires. Ils souhaitent, par ces mesures, prévenir les risques de contamination entre les différentes cultures et répondre aux craintes des agriculteurs de leur commune qui ne cultivent pas d’OGM.
La Commission européenne a choisi de laisser le délicat problème de la coexistence des cultures à la “discrétion” de chaque Etat membre. Les gouvernements doivent donc prendre des mesures pour prévenir les risques de contamination et définir un régime de responsabilités en cas de dommages. Certains pays tels que l’Allemagne et le Danemark ont déjà adopté des mesures de coexistence dans le cadre de la transposition de la directive 2001/18, incluant notamment une définition des responsabilités en cas de dommages [5].
En France, la question de la coexistence des cultures n’est toujours pas résolue. Tous les regards se tournent vers le futur texte de transposition de la directive 2001/18 qui devrait être publié en 2005. En l’absence de règles en matière de coexistence des cultures et de régime de responsabilité, certains maires ont donc choisi d’interdire toute culture ou essai sur leur territoire afin de prévenir d’éventuels dommages. Ce point est primordial car aucune mesure n’a été prise sur les distances de contamination et donc tout agriculteur peut choisir de produire des OGM alors même que son voisin serait un agriculteur de produits biologiques. D’autre part aucun régime de responsabilité n’a été instauré dans le domaine particulier des OGM. C’est donc le droit commun (droit civil pour les dommages) qui doit s’appliquer en l’espèce.
Jusqu’à présent, les arrêtés anti-OGM ont systématiquement été déférés par le préfet au tribunal administratif. Le juge administratif a déjà examiné des référés (procédure d’urgence qui permet au juge de suspendre un acte lorsqu’il existe un doute quant à sa légalité) en première instance et en appel. Mais il s’est aussi prononcé par deux fois sur les questions de fond. Par contre, le Conseil d’Etat, organe suprême de la juridiction administrative, ne s’est pas encore prononcé sur ce contentieux (Cf. encadré).
Les jugements rendus par les tribunaux administratifs représentent des enjeux importants. En effet, la jurisprudence participe de façon importante à la construction du droit administratif [6]. Les jugements et arrêts rendus dans ce domaine pourraient ainsi inciter le législateur à adopter de nouvelles lois. La position du juge administratif sur la compétence des maires dans le domaine de la prévention des risques liés aux OGM à l’échelle locale pourrait être ainsi déterminante dans l’évolution du droit administratif.
Le contenu d’un arrêté
Les arrêtés concernent les essais et cultures en plein champ de plantes génétiquement modifiées. L’arrêté doit être précis, fondé sur les compétences du maire : trouble à la sécurité, à la tranquillité, à la salubrité ou à la moralité publique (Cf. encadré sur les pouvoirs de police administrative). Il doit être le moins contraignant possible et être proportionné en fonction des buts recherchés. L’arrêté anti-OGM ne peut être pris que s’il s’agit de la seule solution pour défendre au mieux les intérêts en jeu.
Il comporte certaines conditions :
une limitation dans le temps : une mesure ne peut être adoptée sans échéances. Dans le domaine des OGM, il doit être limité à une année culturale ;
une limitation dans l’espace : la mesure doit être cantonnée au territoire de la commune car le maire est compétent sur ce seul territoire.
L’arrêté du maire de Bax illustre ce point : il a été annulé parce qu’il concernait un périmètre plus étendu que celui de la commune. Le juge du TA de Toulouse a donc suspendu cet arrêté le 3 août 2004 (Cf. encadré sur les deux autres cas de suspension).
Arrêté anti-OGM : la situation espagnole
Au niveau national, le gouvernement prépare une loi de coexistence des cultures. Des arrêtés anti-OGM sont également pris dans la région des Asturies. La région s’est positionnée le 20 mai 2004 contre les essais et les cultures d’OGM sur le territoire en proposant notamment de faire valoir auprès du comité national de biosécurité les conséquences négatives des produits transgéniques notamment sur l’agriculture de la communauté ; et également en annonçant la volonté des élus d’intégrer le réseau de régions européennes libres d’OGM. Dans ce contexte, un modèle d’arrêté a été rédigé dans lequel on retrouve, dans la partie “exposé des motifs”, l’argumentation pour prendre un tel acte. La désinformation des populations y est citée puisqu’il n’existe pour le moment aucun contrôle administratif sur les cultures transgéniques. Ce fait est particulièrement inquiétant au regard de la forte expansion de l’agriculture transgénique en Espagne (30 000 ha de maïs transgéniques au niveau national mais seulement 6 ha dans les Asturies). La France et la Belgique sont citées à titre d’exemple en matière d’arrêtés anti-OGM. Les principaux arguments avancés sont :
l’absence de certitudes concernant les effets des OGM, notamment de contamination,
l’absence d’avantages sociaux et environnementaux,
le refus catégorique des populations concernant ces nouveaux produits.
Suite à cette argumentation, des mesures concrètes sont donc proposées notamment qu’un débat soit organisé, que toute culture, essai, ou vente soient interdits et que soient déclarées insalubres et nocives toute activité en lien avec les semences transgéniques (cette qualification entraîne de facto la mise en œuvre d’une législation particulière plus restrictive).
Le principal fondement de l’arrêté : le principe de précaution
Les arrêtés pris par les maires sont principalement fondés sur le principe de précaution. Cette notion est reconnue aux niveaux international, communautaire et national, mais les définitions varient selon les textes. En Europe, le principe de précaution est intégré dans le droit communautaire depuis le traité de Maastricht. En France, il est reconnu dans la loi dite Barnier de 1995. Il est codifié à l’article L.110-2 du code de l’environnement [7].
Le principe de précaution est largement diffusé à l’heure actuelle mais il est souvent mal compris. Ce principe est défini comme la possibilité pour les autorités compétentes de prendre des mesures de protection face à un risque potentiel pour la santé ou l’environnement alors que des incertitudes scientifiques demeurent quant à la réalité et à l’étendue du danger.
Ce principe permet de prendre des mesures avant même que le risque ne soit connu, mais il ne doit toutefois pas être hypothétique.
Le principe de précaution est fréquemment utilisé dans les arrêtés anti-OGM au regard des incertitudes qui pèsent sur les possibles effets négatifs des OGM tant sur l’environnement que sur la santé.
La désinformation des maires
La notion d’information du maire est importante puisqu’elle est intimement liée à la position qu’il adoptera. En effet, si le maire n’est pas informé des essais et cultures OGM pratiqués sur sa commune, il ne pourra pas prévenir un quelconque danger. L’arrêté peut être une réponse à ce manque d’information dont pâtissent les maires car ils ignorent l’emplacement de cultures qui peuvent être pratiquées sur le territoire communal. Ils agissent de manière préventive et tentent de se protéger car ne pourraient-ils pas être accusés de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour éviter une pollution ?
La réglementation relative aux OGM impose une information obligatoire du public pour toute dissémination (Cf. l’article L 125-3 du code de l’environnement).
En matière de dissémination dans l’environnement à des fins expérimentales : la législation impose qu’une fiche d’information du public (FIP) [8] soit affichée en mairie. Cette FIP est envoyée par le Ministère de l’Agriculture aux préfets et aux maires des communes dans lesquelles doit avoir lieu la dissémination. Un avis au public annonçant le dépôt de cette fiche est exposée en mairie huit jours après sa réception par le maire. Elle contient :
des informations concernant le but de la dissémination
la description synthétique de l’OGM
l’évaluation des effets et des risques pour la santé publique et pour l’environnement
les méthodes et plans de suivi des opérations et d’interventions en cas d’urgence [9].
Depuis 2002, une démarche spécifique d’information préalable du maire est engagée lorsqu’un essai est prévu sur le territoire de sa commune. Le maire peut alors apporter des informations complémentaires sur le contexte local au ministre ou à son représentant.
L’exemple de la commune de Valdivienne (86) illustre cette démarche [10]. En matière d’essai en champ, le public doit impérativement avoir accès à la FIP, or, dans cette commune, il a été prouvé par constat d’huissier [11] que ce document n’était pas affiché.
Concernant les cultures commerciales destinées à être mises sur le marché, le maire n’est pas informé de l’implantation de ces cultures sur sa commune. Un dispositif de “biovigilance” est mis en œuvre qui est assuré par le Service de la Protection des Végétaux du Ministère de l’Agriculture, assisté du Comité de biovigilance. Ce dernier est composé de scientifiques, d’ONG et de professionnels (articles L 251-1 et L 251-2 du code rural). Ce comité est resté provisoire car le décret d’application n’a pas été publié à ce jour. Ce comité est en cours de réforme dans le cadre de la transposition de la directive 2001/18 en droit français. D’autre part, le registre pour recenser toutes les cultures d’OGM sur le territoire national n’a toujours pas été créé.
L’arrêté municipal est donc une mesure visant à combler les lacunes des législations actuelles. En effet, il ne peut s’agir que de mesures transitoires en attendant que le droit français définisse des réponses adaptées aux risques de dommages existant. L’arrêté a surtout vocation à démontrer aux législateurs l’urgence de la situation.
Maire ou Ministre : qui est compétent ?
Le maire est compétent pour réglementer certains domaines sur le territoire de sa commune. L’article L 2212-2-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que le maire doit prévenir “les pollutions de toute nature”. Quant à l’article L-1311-2 du code de la santé publique, il prévoit que le maire peut édicter des mesures particulières en vue d’assurer la protection de la santé publique dans la commune.
Les pouvoirs de police administrative :
une notion qui détermine l’autorité compétente
Le maire est compétent sur le territoire de sa commune au titre de ses pouvoirs de police administrative générale. Le premier ministre ou les ministres ainsi que leur représentant dans les départements, le préfet, peuvent être compétents au titre des pouvoirs de police administrative spéciale.
Le pouvoir de police générale :
Le but des pouvoirs de police générale est la protection de la sécurité (exemple : éclairage des voies publiques, enlèvement des encombrements…), de la tranquillité (exemple : réprimer le tumulte dans les lieux d’assemblée publique…) et de la salubrité publique (exemple : prévention des pollutions de toute nature comme les incendies…). Ce triptyque constitue la notion “d’ordre public”, à laquelle s’est greffée la notion de moralité publique.
Sur le territoire de la commune, le maire exerce seul la police administrative générale, appelée également pouvoir de police municipale. Le maire est ainsi le gardien de l’ordre public local. Il peut prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit maintenu le bon ordre public.
Le pouvoir de police spéciale :
Certaines activités sont considérées comme “spéciales” et doivent être réglementées par une autorité. Ainsi en matière d’installations classées, la compétence revient au préfet, et, à l’échelon national, au gouvernement. L’autorité de police municipale se voit alors privée de sa compétence.
Certains textes prévoient des conditions particulières où seule l’autorité compétente en matière de police spéciale pourra intervenir. Ainsi, dans ce cas, le maire ne pourra pas intervenir même si son territoire est concerné. Il existe toutefois des exceptions qui permettent au titulaire de la police générale d’exercer sa compétence alors même que l’autorité de police spéciale a déjà pris des mesures. Le maire pourra ainsi prendre des mesures plus rigoureuses.
Les OGM relèveraient d’une activité de police spéciale, ce qui exclurait donc la compétence du maire, sauf s’il argumente sa décision en la basant sur des circonstances particulières et sur un péril imminent.
Mais sur les OGM, les préfets défendent une autre solution. Les principaux arguments avancés par les préfets figurent dans l’ordonnance en référé rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 22 septembre 2004 concernant l’arrêté pris par le maire de Bax. Ainsi le préfet “soutient, à titre principal, que dès lors que les disséminations d’OGM font l’objet d’une réglementation, prise dans le cadre d’une politique d’harmonisation communautaire, qui confère aux seules autorités de l’Etat des pouvoirs de police spéciale comportant, notamment, la délivrance d’autorisations préalables accordées après évaluation des risques par des experts scientifiques qualifiés, le maire est incompétent, sauf péril imminent, pour réglementer sur le territoire de sa commune les cultures et essais d’OGM …” et à titre subsidiaire, il soutient “que l’arrêté litigieux constitue une mesure à la fois inutile, en l’absence de culture et de tout essai actuellement réalisé ou envisagé sur le territoire de la commune de Bax, et disproportionnée, en ce qu’il vise toutes les espèces végétales et fixe une distance d’isolement manifestement surévaluée”. Dans ce cas, l’arrêté était limité à un rayon de trois kilomètres.
Le préfet avance donc systématiquement l’argument de l’incompétence du maire en matière d’OGM. Il considère que seules sont compétentes les autorités de l’Etat au titre de leurs pouvoirs de police spéciale en matière de disséminations volontaires d’OGM. Il argumente son propos sur le fait que la réglementation concernant les OGM, à l’origine, adoptée au niveau de l’Union européenne et transposée ensuite selon le texte adopté, attribue une compétence aux instances nationales.
En droit français, les textes relatifs à la dissémination d’OGM sont codifiés aux articles L.531-1 et suivants du code de l’environnement. Les autorités compétentes pour délivrer l’autorisation préalable à une dissémination dans l’environnement sont les ministres de l’agriculture et de l’environnement. En effet, la procédure d’autorisation concernant toute dissémination volontaire dans l’environnement se déroule en plusieurs étapes : la première concerne la réalisation d’une expertise scientifique au cours de laquelle sont évalués les risques pour la santé et l’environnement. En France, l’autorité compétente est la Commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire (dite Commission du génie biomoléculaire). Cette évaluation est également réalisée par l’Agence européenne de sécurité alimentaire. Selon le préfet, le maire n’a aucun pouvoir dans ce domaine. Seules les autorités nationales et européennes sont compétentes. Cet encadrement normatif est l’un des arguments du préfet pour conclure à l’incompétence du maire en ce domaine.
Cependant, le Conseil d’Etat (CE, 29 septembre 2003, Houillères des Bassins de Lorraine) a reconnu que l’autorité municipale pouvait avoir une compétence alors même qu’une police spéciale existe dans le domaine de la protection de l’environnement si l’on se place en cas d’existence d’un péril imminent. Ce point est repris par le préfet puisqu’il justifie l’absence de péril imminent par le fait qu’aucun essai ou culture n’ait été autorisé sur le territoire de la commune. Le préfet conclut donc qu’en l’absence de cultures, il ne peut y avoir danger notamment de contamination. Ce point n’est donc pas évoqué si des cultures sont existantes sur le territoire de la commune.
Le caractère disproportionné est le troisième argument avancé par le préfet et la conclusion de tout ce qui a été dit précédemment puisque dans l’hypothèse où aucune culture n’est implantée sur le territoire de la commune, le maire ne peut prendre une interdiction totale en l’absence de risque. Mais même lorsqu’un essai est en cours, la mesure est disproportionnée, aux yeux du préfet, car le cadre normatif imposé est assez contraignant pour avoir pris en compte le risque potentiel…
Les conditions de la compétence du maire
Jusqu’à présent, tous les arrêtés déférés au tribunal administratif ont été, selon la procédure utilisée, soit suspendus (dans le cas des référés) soit annulés (arrêté pris par les maires de Mouchan et de Coings).
Les décisions rendues par les juges des tribunaux administratifs divergent quant à la légalité des arrêtés anti-OGM, et sur la compétence du maire en matière d’OGM. Il est important de noter que si le maire est déclaré incompétent pour prendre un tel arrêté, ce dernier est automatiquement annulé.
Selon le droit administratif, le maire est incompétent dans un domaine si une autre autorité est désignée au titre de ses pouvoirs de police spéciale. Cependant, il existe une exception, celle concernant la “concurrence des compétences”. Ainsi les deux pouvoirs de police administrative peuvent être exercés si l’autorité municipale justifie sa mesure plus restrictive au regard des circonstances locales particulières. Les arrêtés anti-OGM illustrent cette situation : les circonstances locales telles que la présence de cultures biologiques ou labellisées ne sont pas prises en compte par les ministres de l’agriculture et de l’environnement. En effet, selon leurs cahiers des charges, les produits labellisés ou biologiques ne doivent contenir aucune trace de produit transgénique. La mesure du maire semble ainsi adaptée à la situation particulière de ces types de culture.
Cet argument est pris en compte dans l’ordonnance rendue par le juge du tribunal administratif de Toulouse concernant l’arrêté pris par le maire de Bax. En effet, le juge reconnaît que “compte tenu de la situation particulière de la commune où plusieurs exploitations agricoles sont affectées à l’agriculture biologique et du risque existant de dissémination génétique, de pollution par les produits phytosanitaires dès lors qu’il n’est pas établi ni que les autorisations ministérielles prennent en compte les situations locales particulières, ni que les maires des communes concernées sont informés dans des conditions permettant de soutenir utilement que le risque invoqué de mise en culture serait hypothétique” le maire serait compétent en l’espèce. Cependant, il s’agit d’une ordonnance en référé. Aucune décision n’a encore été rendue sur le fond de l’affaire.
Jusqu’à présent, le juge administratif n’est donc pas catégorique sur l’incompétence du maire en matière d’OGM.
Mais il conditionne à la présence avérée de cultures OGM sur le territoire de la commune ET à l’apport de preuve faisant état de risques de pollution génétique ou pour la santé, la possibilité pour un maire d’adopter une mesure restrictive en matière d’essai et de cultures transgéniques.
Concernant la notion de risque, le juge des référés du TA de Poitiers a notamment suspendu un arrêté au motif que le maire n’établissait pas “l’existence d’un danger potentiel clairement identifié qui menacerait réellement soit les habitants soit les cultures de la commune en cause”.
Le principe de précaution est, on l’a vu, l’un des principaux fondements des arrêtés anti-OGM. Cependant, le juge administratif ne semble pas prendre cet argument en compte et va même jusqu’à le dénier. Ainsi, dans l’ordonnance en référé rendue par le juge du TA de Limoges, le juge déclare que le maire de Coings ne produit “aucun élément de nature à démontrer l’existence d’un risque avéré de pollution génétique des cultures existantes par des cultures d’OGM”. Le juge décide de ne plus se placer dans le contexte de la précaution mais de la prévention qui ne semble pas, dans le domaine des OGM, adapté.
Le sujet est donc complexe car une fois déterminé que l’on se trouve dans l’hypothèse d’un risque potentiel, il faut ensuite connaître l’élément déclencheur qui permettra de dire que le risque est imminent.
La salubrité publique : autre compétence du maire
Un autre argument a motivé l’annulation de l’arrêté de Mouchan : l’absence de l’évocation du risque sanitaire. Il fait référence aux motifs de l’arrêté, qui sont présentés en première partie d’un arrêté pour le justifier. Le juge constate que l’arrêté a été pris dans le but d’éviter une pollution génétique entre les cultures traditionnelles, labellisées et biologiques. Certes il confirme que le maire est compétent pour prévenir les atteintes à la santé publique, mais il constate que les considérations énoncées n’ont pas pour objectif de prévenir ces atteintes, car elles visent à prévenir la contamination des cultures. Par conséquent le juge conclut que le maire n’était pas compétent en l’espèce.
Le juge a donc interprété l’article L 2212-2 du code général des collectivités territoriales de façon restrictive puisque les compétences du maire s’appliquent en matière de sûreté, de sécurité et de salubrité publique. Ce dernier terme concerne différentes activités énoncées dans cet article. Or le maire doit notamment prévenir les “pollutions de toute nature”. Ce point, de par sa nature non clarifiée, reste donc en discussion.
Les procédures administratives
Pourquoi le préfet défère au tribunal administratif ?
Le déféré préfectoral est une procédure particulière qui permet au préfet, et à lui seul, de saisir le juge du tribunal administratif. Le préfet défère un acte, comme un arrêté anti-OGM, au tribunal administratif lorsqu’il met en doute sa légalité. Il dispose d’un délai de deux mois après avoir reçu le document que l’autorité communale (dans l’hypothèse des arrêtés, c’est le maire) doit obligatoirement lui envoyer. Lorsque le préfet décide de déférer cet acte, il doit en informer l’autorité communale et lui communiquer toutes les précisions sur les aspects illégaux invoqués à l’encontre de l’acte concerné. Le préfet peut demander au juge administratif l’annulation de l’acte ou la suspension de l’acte (procédure d’urgence : référé suspension).
Le référé et le jugement sur le fond
Le référé est une procédure rapide qui permet au juge des référés, qui statue en cas d’urgence, d’ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative. Cette décision est obtenue lorsque sa légalité est mise en doute. Le juge rend alors une ordonnance en référé.
Parallèlement, le jugement sur le fond tranche une contestation de manière définitive. Ce jugement a donc l’autorité de la chose jugée. Le jugement sur le fond comme le référé sont susceptibles d’appel.
La juridiction administrative
Le tribunal administratif est l’organe de première instance. C’est le juge de droit commun qui dispose de certaines attributions administratives, consultatives ou décisoires. La Cour administrative d’appel est l’organe d’appel, c’est-à-dire que les juges doivent examiner les appels formés contre les décisions rendues en première instance. Le Conseil d’Etat peut être une juridiction d’appel mais il est aussi l’organe de cassation des juridictions administratives. Dans cette hypothèse, il rend un arrêt en dernier ressort.
De nouveaux arguments à explorer
Le débat juridique est loin d’être clos puisqu’un arrêté peut être affiné en fonction des jugements rendus par le juge administratif. En effet, le droit administratif évolue rapidement en fonction de la jurisprudence. La question de la légalité des arrêtés municipaux n’est pas encore tranchée.
Une réflexion se tient actuellement sur la notion de péril imminent et les moyens de justifier un arrêté sur ce point. En effet, au regard des autorisations qui ont eu lieu avant 1998 et depuis 2004, le maire ne semble absolument pas à l’abri de pollution génétique sur sa commune surtout s’il n’est pas informé de l’existence de cultures d’OGM sur le territoire de sa commune.
Le point sur la santé pourrait aussi apporter de nouvelles pistes. En effet, dans le dernier jugement rendu par le juge de Pau sur l’arrêté de Mouchan, il est question de la compétence du maire en matière de santé publique. Ce sujet est difficile puisque les débats scientifiques ne sont pas encore tranchés. Cependant il pourrait offrir une nouvelle possibilité aux maires pour justifier leurs arrêtés. Il faudrait ainsi détailler quelles atteintes pour la santé pourraient être induites lorsqu’une culture de produits transgéniques est implantée dans une commune.
Les acteurs impliqués dans ces démarches juridiques de prise d’arrêtés anti-OGM se coordonnent pour, à terme, voir reconnus ces arrêtés comme légaux par le juge administratif. Ces joutes juridiques ne doivent pas faire oublier que le maire d’une commune n’est pas uniquement responsable de la protection de sa commune concernant la salubrité publique : il peut également être reconnu coupable de ne pas avoir prévenu ces risques. Verra-t-on demain un maire dont l’arrêté a été annulé, condamné suite à un dommage causé par les OGM ?
Deux arrêtés annulés : pourquoi
Deux arrêtés annulés : pourquoi ?
L’arrêté de Mouchan (jugements en référé et sur le fond)
Le juge administratif s’est prononcé en référé (TA de Pau, 24 décembre 2003 et CAA de Bordeaux, 13 février 2003) sur l’arrêté pris par le maire de Mouchan et il a rendu un jugement sur le fond (TA de Pau, 4 novembre 2004). Concernant le référé, le juge a refusé la requête du préfet car une erreur de procédure avait été commise, le préfet n’ayant pas joint à sa requête en suspension une copie de la requête en annulation. Le juge souligne toutefois que le maire était compétent en l’espèce.
Concernant le fond de l’affaire, le juge administratif a annulé l’arrêté car le maire justifiait la prise de son arrêté par les risques de contaminations génétiques alors qu’il évoquait sa compétence en matière de santé publique. Il devait, par conséquent, faire référence à la protection de la santé dans son arrêté.
L’arrêté de Coings (jugement sur le fond)
Le juge devait se prononcer sur la délibération du Conseil municipal et sur l’arrêté du maire. Concernant l’arrêté du maire, il confirme la compétence du maire pour prendre une mesure d’interdiction d’essais et de cultures transgéniques (TA de Limoges, 27 mars 2003). En effet, il rappelle que le maire peut prendre des mesures de police plus rigoureuses que la réglementation nationale mais il faut qu’elles soient justifiées par “l’existence de risques particuliers” et qu’elles soient “adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte”. Il annule l’arrêté car le maire n’a pas apporté d’éléments suffisants sur :
l’imminence du risque de pollution génétique,
l’importance, l’étendue, la localisation et le type de cultures menacées
la présence d’une culture transgénique sur le territoire de la commune ou une autorisation en cours.
Le juge considère tout d’abord que la charge de la preuve revient au maire. Finalement pour qu’il y ait un risque potentiel il doit de facto y avoir sur le territoire de la commune un essai ou une culture d’OGM.
Jugements :
TA de Limoges, 27 mars 2003, Coings
TA de Pau, 4 novembre 2004, Mouchan
Ordonnances :
TA de Pau, 24 décembre 2003, Mouchan
CAA de Bordeaux, 13 février 2003, Mouchan
TA de Toulouse, 3 août 2004, Bax
CAA de Bordeaux, 22 septembre 2004, Bax
TA de Poitiers, 19 août 2004, Bretignolles
Bibliographie
Collectif CC-OGM, “Société civile contre OGM, arguments pour ouvrir un débat public”, chap.6, éd. Y. Michel, 2004, 318 p, 19 euros
,
, « Plantes OGM et non OGM : quelle cohabitation ? », Inf’OGM, septembre 2004
Collectif Ni essai, ni culture OGM, pour ma commune je m’engage, “Rapport et argumentaires visant à expliciter et soutenir le choix d’un arrêté d’interdiction de cultures et d’essais de plantes génétiquement modifiées”, novembre 2002
Hermon, C., “Police administrative et environnement. Plaidoyer pour une police municipale environnementale”, Droit de l’environnement, n°121, septembre 2004, pp.164-170
Gossement, A., “Sur la légalité des arrêtés municipaux portant interdiction des cultures OGM”, Droit de l’environnement, n°122, octobre 2004, pp.183-187
Sur http://www.legifrance.gouv.fr :
Code de l’environnement, articles L 125-3, L 531-1 et suivants,
Code général des collectivités territoriales, L 2212-2
Code de la santé publique, L-1311-2
[1] Les Etats ont refusé d’examiner toutes nouvelles autorisations d’OGM sur le territoire de l’Union européenne tant qu’un cadre législatif minimum (traçabilité et étiquetage) ne serait pas imposé.
[2] Les règlements diffèrent des directives et sont applicables de droit dans les Etats membres, c’est-à-dire sans transposition.
[3] Brassart, B., “Traçabilité et étiquetage des OGM dans l’alimentation : la nouvelle réglementation”, Inf’OGM n°45
[4] Quatre pays l’ont transposée : Royaume-Uni, Irlande, Portugal, Grèce. Dans d’autres, elle est en cours : Belgique, Espagne ou France.
[5] Quatre pays l’ont transposée : Royaume-Uni, Irlande, Portugal, Grèce. Dans d’autres, elle est en cours : Belgique, Espagne ou France.
[6] En effet, il n’existe pas un code de droit administratif proprement dit comme le code civil. Il faut donc toujours suivre la jurisprudence pour savoir comment évolue le droit.
[7] Le principe de précaution stipule que “l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable”.
[9] article 2 du décret n°93-1177 du 18 octobre 1993
[10] “Eléments concernant les irrégularités de procédure à Valdivienne”, 28 septembre 2004, Coordination régionale vigilance OGM Poitou-Charente
[11] organisé par la Confédération Paysanne, 12 juillet 2004