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Agriculture européenne : sournoise sollicitude du ministre étasunien
Sonny Perdue, ministre de l’Agriculture des États-Unis et ancien haut responsable chez Monsanto [1], a entrepris une tournée en Europe : il a rencontré les Commissaires à l’Agriculture (Janusz Wojciechowski), la Santé (Stella Kyriakides) et au Commerce (Phil Hogan), s’est entretenu avec les ministres nationaux de l’Agriculture et avec de nombreux journalistes. Son objectif : faire que l’Union européenne change de cap et accepte les produits agricoles américains, comme le bœuf aux hormones, le poulet au chlore ou les OGM, anciens ou nouveaux.
La rhétorique est classique : les décisions européennes qui empêchent ces produits d’arriver sur notre territoire ne sont pas basées sur « des données scientifiques fiables ». Sonny Perdue a défendu l’utilisation de nouvelles techniques de modification génétique qu’il nomme « techniques de sélection des plantes » afin d’en masquer la vraie nature. Il s’agit simplement, explique-t-il, d’une technique de sélection naturelle « accélérée » : « Nous avons la responsabilité de communiquer cela au public : que ce ne sont pas des gènes bizarres du type Frankenstein ». Au contraire, ces nouveaux outils permettent d’obtenir des produits « plus efficaces, plus efficients, plus sains, et plus sûrs ». Il invite donc l’Europe à communiquer ces avantages au public : « Je pense qu’un travail doit être fait au sein de la Commission européenne pour résoudre [les réticences]. Car nous pensons que c’est un outil que les agriculteurs européens peuvent utiliser. Il est sûr et efficace, et il est sain et abordable ». AgraFact mentionne que « M. Perdue a reconnu que les États-Unis avaient encore du travail à faire avec leur propre Food & Drug Administration (FDA) sur le sujet ».
Quand un ministre étasunien conseille « gentiment » l’Union européenne
Euractiv, un journal financé entre autres par Corteva, une entreprise qui vend des OGM et autres pesticides, était présent au point presse et profite de l’occasion pour enfoncer le clou. Ce journal précise que l’arrêt de la CJUE de juillet 2018, « a surpris le secteur et les agriculteurs, qui ont déclaré être privés des outils nécessaires pour les aider à répondre aux préoccupations environnementales et à faire face à la concurrence ». Les avantages environnementaux des nouveaux OGM pour le moment sont loin d’être démontrés.
Quant à la concurrence, ce thème est repris de façon paradoxale par le représentant étasunien. Il souligne dans son intervention que l’opinion publique européenne doit comprendre que si elle choisit d’être une zone sans technologie, ses producteurs seront très désavantagés, non seulement par rapport aux États-Unis, mais aussi par rapport au reste du monde, y compris par rapport à la technologie croissante en Asie. En quoi le porte-parole de l’agriculture étasunien se soucie-t-il de la bonne santé économique des agriculteurs européens ? Dans un monde ultra-libéral, basé sur la compétition et la concurrence, une telle remarque cache sans doute quelque chose. Ne devrait-il pas être « content » que l’agriculture européenne ne soit pas à la hauteur ? Notre « retard technologique » ne permettrait-il pas à son pays d’exporter plus ? La vérité ne serait-elle pas que le principe de précaution et les réticences légitimes sur l’innocuité environnementale et sanitaire de certains produits sont des barrières insupportables à leur expansion ?
Toujours très philanthrope, Sonny Perdue déclare « si l’Europe ne parvenait pas à introduire la technologie dans son agriculture, elle finirait par dépendre du reste du monde pour son approvisionnement alimentaire. Je ne pense pas que les consommateurs européens souhaitent cela ». Les européens n’auraient-ils pas plutôt envie de décider par eux-mêmes ce qui est bon pour eux sans attendre d’un concurrent des leçons sur la façon d’assurer notre sécurité alimentaire ?
Le responsable étasunien a aussi affirmé, lors d’un point presse tenu le 27 janvier 2020, que les responsables politiques de l’UE étaient prêts à ouvrir le débat sur la biotechnologie dans l’agriculture. Pour lui, le problème vient des ONG : il y avait « une certaine anxiété quant à la capacité de contrecarrer certaines des ONG qui répandent la peur d’une approche basée sur les dangers plutôt que sur les risques ». Et pour appuyer son discours pro-OGM, il a utilisé une image simpliste, le sel de table : « Je prends l’exemple du sel de table qui peut être dangereux si vous en consommez en trop grande quantité, mais nous l’utilisons régulièrement. Et c’est pourquoi nous avons la LMR (limite maximale de résidus) pour les pesticides […] il doit y avoir un niveau qui soit sans danger, pas quelque chose qui fait que si vous videz le sel de table à chaque repas, vous allez être malade (sic) ».
Les États-Unis veulent rééquilibrer leurs exportations avec l’UE
Concrètement, pour Sonny Perdue, il faut donc reprendre la discussion sur les échanges commerciaux entre les deux territoires. Il est préoccupé car les discussions en cours sur la prochaine politique agricole commune de l’UE après 2020 ne vont pas dans la bonne direction. Mais il croit savoir que la nouvelle chef de la Commission, Ursula von der Leyen, était impatiente de rétablir les relations. Le secrétaire du département de l’Agriculture (USDA, équivalent de notre ministère de l’Agriculture) s’est montré « optimiste » quant à la possibilité d’inclure un accord bilatéral entre l’UE et les États-Unis dans la durée de vie de l’administration actuelle, même avec une élection présidentielle américaine prévue le 3 novembre 2020. Prêche-t-il le faux pour mieux influencer la politique européenne ? Pour Sonny Perdue, il suffit que l’UE prenne des décisions scientifiques. Il n’y a, affirme-t-il, que des « différences mineures » avec l’Europe qui peuvent être conciliées. La première question commerciale à laquelle Washington voulait s’attaquer était l’effet des règles sanitaires et phytosanitaires et des LMR. D’où l’exemple du sel évoqué plus haut.
La balance commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne est actuellement en faveur de l’UE, notamment sur les produits agricoles (le déficit serait compris neuf et onze milliards d’euros). Déficit que les États-Unis ont bien sûr envie de réduire. Sonny Perdue estime précisément que la relation commerciale transatlantique pourrait s’améliorer si l’UE, qui interdit l’importation de volailles traitées au dioxyde de chlore, « était plus ouverte sur cette méthode de conditionnement ». En effet, la levée de cette interdiction pourrait ainsi contribuer à rééquilibrer le déficit commercial annuel américain sur les produits agricoles. D’ailleurs le secrétaire du département de l’Agriculture étasunien a aussi souligné que l’affirmation selon laquelle les poulets américains sont nettoyés au chlore est une « idée fausse » : « Vous savez ce que c’est ? C’est du vinaigre, essentiellement ». Il a aussi mentionné le bœuf aux hormones comme un autre élément pour améliorer les relations entre l’UE et les États-Unis, insistant sur le fait que les dangers de ces produits pour la sécurité alimentaire étaient exagérés ou non démontrés par la science. Il s’est également plaint que le suif américain n’était pas autorisé dans l’UE, bien qu’il soit destiné à un usage industriel plutôt qu’alimentaire.
Il semble donc acté que les européens préparent une liste de demandes et d’engagements que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pourrait proposer au président américain Donald Trump dans le cadre d’un ensemble de mini-échanges. Mais pour le moment rien n’est transparent et interrogé par Inf’OGM, les trois directions générales de la Commission européenne ne nous ont soit pas répondu, soit envoyé qu’un compte-rendu tellement succinct qu’il en est vide.
La Commission voudra-t-elle répondre aux désirs des États-Unis ?
D’après Les Amis de la Terre, la Commission peut inclure l’agriculture dans un mini-traité avec les États-Unis sans mandat explicite. Ceci dit, expliquent-ils aussi, « Bruxelles ne peut pas réduire les droits de douane agricoles, du moins pas pour les seuls États-Unis, car le mandat pour un accord sur les droits de douane industriels exclut explicitement l’agriculture. L’UE devrait « poursuivre avec les États-Unis un accord plus limité couvrant l’élimination des droits de douane sur les produits industriels uniquement, et excluant les produits agricoles« , peut-on lire dans la décision du Conseil d’avril 2019. La seule façon pour l’UE de réduire les droits de douane sur les produits alimentaires serait d’abaisser le tarif de la nation la plus favorisée. Bruxelles ne peut pas non plus négocier dans le cadre de l’ancien mandat du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) [2]. « Le seul mandat restant est donc le mandat d’évaluation de la conformité : cela permet à la Commission, en théorie, d’inclure des règles sanitaires et phytosanitaires ». Dernière option mentionnée par les Amis de la Terre : « Bruxelles peut également proposer des engagements sans mandat, notamment en ce qui concerne les OGM. (…) La Commission peut accélérer ces autorisations, ce qui se traduirait par des millions de ventes pour les agriculteurs américains. (…) Ou modifier les limites de résidus de pesticides, ce que les États-Unis ont demandé [lors des entretiens précédemment évoqués] ». Et la Commission européenne peut aussi, comme déjà évoqué, faire en sorte de sortir les nouveaux OGM de la législation OGM en proposant un nouveau cadre législatif.
[1] , « États-Unis : Trump nomme des anciens de Monsanto », Inf’OGM, 20 janvier 2017
[2] La décision du Conseil de 2019 stipule en effet que « les directives de négociation du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement sont devenues obsolètes ».