n°117 - juillet / août 2012Fiche technique / Etat des lieux

Blé transgénique : des recherches tous azimuts (partie 1 de 2)

Par Christophe NOISETTE et Rachel Dujardin (Greenpeace)

Publié le 13/07/2012

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Le retour à l’agenda du blé GM via l’Australie et la Grande-Bretagne nous invite à faire le point sur cette céréale qui a, de par le monde, une forte signification culturelle, culinaire et religieuse : le pain pour les européens, les pâtes pour les italiens, le couscous en Afrique du nord, etc.

Le blé est l’une des céréales les plus consommées dans le monde par les humains (mais aussi par le bétail), avec le maïs et le riz. C’est actuellement la culture la plus semée au monde (cf. tableau ci-dessous), représentant presque 25% des terres agricoles cultivées (soit 217 millions d’hectares selon la FAO, à comparer avec les 162 millions d’ha de maïs et les 154 millions d’ha de riz). Selon les projections du Conseil International des Céréales, la production mondiale annuelle a dépassé les 683 millions de tonnes en 2011, soit trois fois plus que pour la campagne 1960 / 1961. Cette hausse est liée plus à une augmentation constante des rendements à l’hectare (multipliés par 2,8 pour les cinquante dernières années) qu’à une augmentation des surfaces mondiales de blé.

Le Canada, Monsanto, et le blé GM

La première offensive de Monsanto pour faire autoriser le blé GM commence au Canada en 2002, avec un blé tolérant au Roundup. Mais deux ans plus tard, face à la résistance des agriculteurs et au rejet du marché, le géant semencier retire sa demande d’autorisation [1] promettant de réessayer plus tard. Le 14 mai 2009, un accord trilatéral est conclu entre les industries du blé canadiennes, australiennes et américaines afin que le blé transgénique soit introduit de manière synchronisée dans les trois pays pour « minimiser les perturbations du marché et réduire la période d’ajustement » [2].

L’opposition ne faiblit pourtant pas, bien au contraire. Dans un communiqué de presse daté du 9 février 2010, Canadian Biotechnology Action Network (CBAN) annonce la signature d’une déclaration commune pour le « rejet définitif et global du blé GM » par 233 groupes de protection de consommateurs et d’agriculteurs de 26 pays [3].

Nouveau coup de théâtre, en décembre 2011, le nouveau gouvernement canadien, conservateur, abolit le monopole de la Commission canadienne du blé. Cette organisation, financée et contrôlée par les agriculteurs, leur permettait de vendre collectivement leur blé au meilleur prix sur les marchés internationaux. Elle avait également joué un rôle clé dans le refus de l’introduction du blé OGM au début des années 2000. Maintenant que la situation semble lui être plus favorable, Monsanto va-t-il retenter prochainement de faire autoriser son blé transgénique au Canada [4] ?

L’importance du blé GM pour les entreprises de biotechnologies

En 2009, Monsanto a décidé d’acquérir, pour 45 millions de dollars, WestBred LLC, une entreprise semencière du Montana (États-Unis), spécialisée dans le patrimoine génétique du blé.

En parallèle, dans l’Union européenne, les entreprises s’organisent aussi. Ainsi, Bayer CropScience a signé un accord de coopération avec l’entreprise française RAGT sur un programme d’« amélioration » du blé. En vertu de cet accord, RAGT accorde à Bayer CropScience un accès à sa collection de germoplasmes de blé d’hiver et aux marqueurs moléculaires associés, l’une des plus importantes d’Europe. Bayer apportera, elle, son important portefeuille de brevets sur des gènes et ses compétences en biotechnologie. Bayer avait déjà signé un accord de collaboration avec le CSIRO en Australie, l’Université du Nebraska au États-Unis et Evogene en Israël. En 2010, Bayer CropScience avait aussi acquis deux programmes de sélections sur le blé en Ukraine (Sort et Eurosort), mais pas les entreprises. Bayer nous précise que « l’accord prévoit à Bayer un accès aux lignées de blé de printemps et d’hiver ainsi qu’aux lignées de triticale. Toutes ces lignées montrent une excellente tolérance aux stress abiotiques comme la sécheresse ». Bayer espère désormais proposer son premier blé transgénique d’ici cinq ans.

Des essais en champs en Europe

En Europe, plusieurs essais en champs de blé GM ont déjà eu lieu. En Suisse a été expérimenté en champs un blé génétiquement modifiés pour résister à l’oïdium (gène Pm3b). Cet essai avait été largement contesté et ensuite détruit partiellement. Cependant, il avait permis de montrer quelques inconvénients (nous reviendrons dessus dans notre seconde partie consacrée aux risques dans le numéro 118). En Allemagne, à Gatersleben, l’institut public IPK a prêté ses terres à des entreprises privées pour qu’elles expérimentent différentes variétés de blé génétiquement modifié en 2006 sur 1200 m2. L’IPK possède aussi l’une des plus importantes banques de gène de blé. Or, pour les besoins de la préservation, l’IPK doit replanter régulièrement les variétés conservées, d’où la possibilité qu’elles se croisent avec des variétés GM, expérimentées non loin. L’un des essais a été détruit en 2008. Dans cette même « genetik valley », Nordsaat a testé en 2009, en plein champ sous un simple filet de protection contre les insectes, de nombreuses variétés de blé tendre OGM enrichies en protéines, dont certaines, d’après Ralf Schachtschneider, directeur de Nordsaat, atteignent un taux de protéines de 16%, soit 5 points de plus que la moyenne française sur le blé tendre en 2000. « Le marché allemand n’est pas encore disposé à accepter la culture du blé OGM, mais sur le plan technique, nous sommes prêts », précise le chercheur [5].

Actuellement, un seul essai de blé GM est implanté dans l’UE. Il s’agit d’un essai mené par l’Institut Rothamsted, en Grande-Bretagne. Le blé a été modifié génétiquement pour produire un insecticide contre les pucerons. Cet essai a été dénoncé récemment par les militants [6].

Mais l’institut a d’autres projets en tête. Dans un document qui présente sa stratégie, il se donne en effet comme objectif d’accroître le rendement du blé de 8,4 tonnes / hectares à 20 tonnes / hectares en 20 ans, en « remodelant » le génome [7]. Pour cela, il envisage de modifier radicalement la biochimie photosynthétique du blé, c’est-à-dire de modifier la façon dont la plante utilise l’énergie solaire pour fabriquer des hydrates de carbone.

Vilmorin veut conquérir le marché du blé…

Par ailleurs, Vilmorin, une filiale de Limagrain, le 4ème semencier mondial, a annoncé en 2010 qu’elle mettrait au point sa propre variété de blé GM en 2016, avec des essais en champs à l’horizon. Concrètement, « le semencier français Vilmorin ambitionne d’être d’ici à une quinzaine d’années le numéro un mondial des semences de blé, en développant la version OGM de cette céréale », a annoncé en octobre 2011 Emmanuel Rougier, directeur général délégué du groupe [8]. Vilmorin est actuellement le premier fournisseur de semences de blé en Europe et souhaite conquérir le marché des États-Unis, « son premier marché cible ». Et il a réalisé plus de 10% de son chiffre d’affaires avec des semences GM en 2009 / 2010. « Le blé a été longtemps délaissé et n’a pas bénéficié des efforts de recherche OGM dont ont profité d’autres cultures comme le soja ou le maïs pour optimiser leur production », a expliqué Emmanuel Rougier. L’objectif de Vilmorin est de « contribuer à la conversion d’un marché de semences de ferme peu performant et faiblement valorisé, en un marché de semences commerciales OGM puis hybrides à haut rendement » [9]. Pour ce faire, Vilmorin signe de nombreux accords de coopération. En février 2011, l’entreprise a ainsi décidé de collaborer avec Arcadia Bioscience, en vue de mettre au point plusieurs blés GM, l’un « optimisant la consommation en eau », l’autre « optimisant la consommation d’azote ». Ce nouveau contrat dont les modalités financières ne sont pas divulguées, octroie à Vilmorin l’accès exclusif à cette technologie hors Amérique du Nord. Limagrain Cereal Seeds, entreprise de Vilmorin et Arcadia Biosciences, la distribuera en Amérique du Nord.

Un autre partenariat concerne le semencier argentin Don Mario et l’objectif est de développer du blé pour quatre pays d’Amérique latine : l’Uruguay, le Brésil, le Paraguay et la Bolivie. D’après un article d’avril 2010, publié sur World Grain [10], « le partenariat se concentrera sur l’efficacité de l’utilisation de l’azote comme hypothèse transgénique. Une autre importante activité […] sera également de travailler sur la diminution du stress du blé provoqué par la sécheresse, des températures extrêmes, des épidémies et les insectes ». Ce partenariat est très intéressant pour Vilmorin. En effet Don Mario est le premier producteur de semences de soja en Argentine. Et il commence à s’implanter en Bolivie, grâce à un accord de partenariat de recherche, de développement et de commercialisation de variétés de soja avec la multinationale Dow Agrosciences. Dow sera en charge de la commercialisation des produits et des nouveaux matériaux développés par Don Mario. Enfin, Don Mario a acquis, en janvier 2010, « le solde des 24% d’actions de sa filiale brésilienne, Drasmax, et devient ainsi seul propriétaire. Grâce à cette filiale, Don Mario est le premier vendeur de semences de soja dans la région sud du Brésil ». La concentration est en marche. En Europe, Vilmorin a conclu un accord avec l’entreprise semencière finnoise Boreal Plant Breeding afin « d’accéder à des fonds génétiques en blé et orge particulièrement bien adaptés à l’Europe du Nord et de l’Est ». Enfin, en août 2008, Vilmorin a acheté 25% du capital d’Australian Grain Technologies, la plus importante entreprise semencière de sélection nationale en blé.

… mais la recherche se focalise sur l’Australie

Depuis 2005, le bureau en charge des autorisations d’essais de PGM en champs en Australie (appelé Office of the Gene Technology Regulator, OGTR) a donné son accord pour treize essais de blé GM, mais également d’orge GM. En juillet 2011, dix d’entre eux étaient encore en cours. Ces essais, officiellement à visée de recherche, n’en sont qu’à leurs débuts selon l’OGTR. Ils sont officiellement menés par l’Agence nationale australienne en charge de la science (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation, CSIRO), l’Université d’Adelaïde, et le Département des ressources primaires de l’État de Victoria ; ils ont pour objectif d’améliorer la tolérance de ces plantes aux sols salins et à la sécheresse, de changer leur teneur en amidon ou encore d’utiliser plus efficacement leurs substances nutritives [11]. Des entreprises semencières privées sont également impliquées dans ces recherches mais les informations sur ces partenariats sont très opaques. Greenpeace a ainsi révélé [12] que deux employés de Nurofarm (distributeur officiel des produits Roundup Ready de Monsanto en Australie) étaient membres du Conseil d’administration du CSIRO au moment où la plupart de ces essais étaient approuvés.

L’un des essais porte sur du blé et de l’orge génétiquement modifiés. Objectif : changer la composition en amidon de leurs grains et ainsi améliorer la composition de leurs fibres en utilisant de l’ARN interférent (ARNi) [13] pour supprimer l’expression de certains gènes spécifiques. De récentes études scientifiques indiquent que les produits associés aux constructions ARNi ainsi modifiées peuvent être absorbés par le corps humain et ainsi affecter l’expression des gènes. Cette possibilité n’a pas été envisagée lors de l’évaluation des risques. Trois autres essais (DIR093) sont menés par ARISTA (une entreprise réunissant CSIRO, Grain Research and Development Corporation et Limagrain Cereal Ingredients). Les tests prévoient de nourrir des rats, des cochons et des êtres humains pendant une période allant de un à 28 jours afin d’évaluer les effets éventuels de l’amidon présent dans ce blé GM. Cependant, ces essais n’ont pas pour objectif de s’assurer de l’absence d’impacts négatifs ou imprévus à plus long terme. Le but réel de ces essais ressemble donc plus à du développement technologique de produit qu’à des tests rigoureux d’innocuité.

D’autres essais autorisés (DIR092), menés conjointement par le CSIRO et Grains Research and Development Corporation utilisent également la technique de l’ARNi pour modifier la composition des grains. Le but est de rendre silencieux ou de réduire l’expression de certains des gènes gliadine (une protéine qui participe à la composition du gluten) présents dans le blé et l’orge. Ces gènes jouent un rôle important dans la qualité de la pâte mais sont également un inducteur majeur de l’intolérance au gluten. Sur son site, le CSIRO explique que si les essais en champ et sur des rats et des cochons sont concluants, les variétés commerciales de ces PGM pourraient être disponibles dès 2015 [14].

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