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OGM et rendements : pas de lien de cause à effet
La question des rendements des plantes génétiquement modifiées est importante. Elle est en effet au cœur des promesses des biotechnologies végétales, notamment de celle d’en finir avec la faim dans le monde. Inf’OGM évoque ici cette question selon deux angles : d’un point de vue théorique, en rendant compte d’un article scientifique, et d’un point de vue « terrain », avec l’évolution des rendements du maïs Bt en Afrique du Sud.
Les plantes transgéniques ont été très souvent promues avec l’argument humanitaire que celles-ci, du fait de meilleurs rendements, sont un allié de important pour lutter contre la faim dans le monde. Inf’OGM a souvent critiqué ce récit en montrant clairement que la faim n’est pas liée à une question agricole mais à des réalités économiques, voire politiques. Récemment, Inf’OGM relatait par exemple comment la malnutrition (dont la faim) augmente aux États-Unis, pourtant premier pays producteur d’OGM au monde1.
Affirmer que les OGM augmentent les rendements est « trompeur »
En septembre 2023, Merritt Khaipho-Burch, chercheuse en sélection végétale à l’Université de Cornell (États-Unis)2, a critiqué les affirmations concernant les gains supposés de rendement des cultures génétiquement modifiées. Elle ne nie pas la possibilité technique que les modifications génétiques puissent participer à ce gain, mais montre, dans un article récemment publié dans Nature3, les biais des articles scientifiques qui évoquent de tels gains de rendements. Elle avait, en amont, commenté plusieurs articles, qu’elle avait qualifié de « trompeurs », qui faisaient état d’augmentation de rendements très importants grâce aux modifications génétiques appliquées à un riz et à un soja4. Sa dernière publication va plus loin et cherche à systématiser sa critique de ces études que le média grand public reprend, à lire la scientifique, sans esprit critique.
Merritt Khaipho-Burch et ses co-auteurs commencent par analyser la littérature scientifique des deux dernières décennies. De très nombreux articles décrivent comment la modification d’un ou de quelques gènes entraîne des augmentations substantielles des rendements des cultures, avec des augmentations signalées allant de 10 % à 68 %. Or, les auteurs expliquent que ces résultats ne sont pas des observations réalisées dans les champs des agriculteurs. Ils détaillent qu’il s’agit uniquement de données issues d’expérimentations menées dans des serres ou d’essais en plein champ à petite échelle. Ces résultats sont des potentiels, dans des conditions extrêmement surveillées et optimisées, qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe dans la champs des agriculteurs. C’est un biais important.
La question des rendements n’est pas une question simple.
Ainsi, les auteurs expliquent que le rendement dépend de multiples facteurs (la plupart extérieurs à la plante elle même), sur lesquels les manipulations génétiques n’ont pas de prise. Les gains de rendement sont associés à des pratiques agricoles et agronomiques (rotations, gestion de la biodiversité, etc.). Ils citent, par exemple, dans le cas du maïs, qu’environ 8,5 à 8,7 % de la croissance observée du rendement peut être attribuée à une augmentation de la densité de plantation. D’autres facteurs influent sur le rendement : la qualité du sol, la richesse de la biodiversité autour des parcelles, etc.
Ensuite, sur le seul plan génétique, le rendement est un caractère dépendant de plusieurs séquences génétiques. Aussi, tenter d’augmenter le rendement d’une plante en modifiant son génome est très complexe. C’est pour cela que les croisements conventionnels, qui eux mobilisent des réseaux de gènes, sont plus efficaces pour les auteurs. Ces derniers soulignent que le rendement des cultures a évolué sous l’effet d’une sélection intense, « de sorte que toute variante génétique qui augmente de manière significative le rendement dans la plupart des environnements et des variétés d’une culture existant aujourd’hui a déjà été incorporée dans les lignées de sélection » par le biais de la sélection conventionnelle.
Cet article n’est pas un cas isolé. Dès 2009, le Dr Doug Gurian-Sherman a publié un rapport sur l’échec des rendements5 qui, déjà, concluait que, lorsqu’il s’agit d’augmenter les rendements, « la sélection traditionnelle l’emporte haut la main sur le génie génétique ». Autrement dit, on n’a pas besoin d’OGM pour améliorer les rendements…
M. Khaipho-Burch et ses co-auteurs notent qu’ « il n’est pas surprenant qu’aucune des études publiées affirmant qu’un seul gène ou quelques gènes affectent le rendement n’ait été validée dans des conditions ressemblant à celles des exploitations agricoles ». Mais, demandent-ils, « pourquoi de telles affirmations sont-elles publiées en premier lieu » ? Pour eux, une partie de la réponse est que les équipes qui publient de tels articles n’ont pas intégré de sélectionneurs de plantes, ni d’agronomes. Ainsi, ajoutent-ils, ces équipes ne sont pas en mesure de s’assurer que les évaluations de rendement sont effectuées à l’aide de modèles expérimentaux appropriés (cf. encadré). Si certains articles sont rédigés par des personnes liées à l’industrie, ce n’est pas toujours le cas. Les conflits d’intérêt n’expliquent pas tout et la foi dans le progrès et la génétique peut aussi créer des biais de ce genre.
Quels critères devraient être pris en compte pour évaluer correctement les rendements ?
L’article de Nature énumère cinq critères que les chercheurs et les rédacteurs en chef de revues devraient vérifier quand il s’agit d’évoquer des augmentations de rendements :
1) Les études doivent utiliser des définitions standard du rendement, telles que le poids du grain sec récolté par unité de surface, ou la teneur en matière sèche des racines et tubercules récoltés par unité de surface, et non une autre mesure telle que la longueur ou la largeur du grain.
2) Les essais doivent être répétés sur l’ensemble des parcelles, des lieux géographiques et des années. Il semble que « dans certains cas, les chercheurs enregistrent des données sur plusieurs parcelles dans le cadre d’études de terrain à petite échelle, mais ne rapportent ensuite que les rendements des parcelles ou des plantes les plus performantes. Plus souvent, les chercheurs mesurent le rendement dans des essais non répétés, sans tenir compte des conditions environnementales variables (y compris celles prévues par la modélisation climatique), ni des pratiques de récolte et autres pratiques typiques pour cette culture dans les exploitations agricoles réelles ».
3) Les variétés, les densités de plantation et les autres conditions, telles que l’irrigation et l’application d’engrais, doivent correspondre étroitement à celles des exploitations agricoles.
4) Des contrôles appropriés doivent être utilisés. Les mesures de rendement des cultures modifiées doivent être comparées au rendement local ou national de la culture étudiée, et non à une ancienne variété qui n’est plus utilisée. Les rendements des anciennes variétés peuvent être 4 à 17 fois inférieurs à ceux des variétés commerciales actuelles.
5) Les chercheurs devraient donner la priorité aux gènes que la sélection végétale pourrait avoir manqués : « Avant d’investir beaucoup de temps et d’argent dans la recherche d’un gène particulier, les chercheurs doivent s’assurer que des allèles comparables [variantes de gènes] ne sont pas déjà présents ou fixés dans des variétés de cultures commerciales. Si les sélectionneurs ont déjà travaillé avec un gène pendant des décennies, il est extrêmement improbable qu’il permette soudainement d’obtenir des gains de rendement importants ».
GM Watch, qui évoque cet article de Nature sur son site Internet6, est perplexe que de tels critères doivent être rappelés : « Nous aurions pu penser que la plupart de ces points, sinon tous, étaient évidents pour toute personne capable de pensée logique, mais apparemment ce n’est pas le cas. La preuve en est l’abondance d’affirmations absurdes d’augmentations miraculeuses des rendements des cultures génétiquement modifiées, publiées dans des revues par ailleurs respectables ». Comme le notent Kaipho-Burch et son équipe, « peu d’articles, voire aucun, n’ont utilisé les modèles expérimentaux nécessaires pour évaluer les performances des cultures dans des environnements réels ».
Afrique du Sud : les rendements du maïs OGM baissent
Après la théorie et l’analyse des articles scientifiques trompeurs, qui lient augmentation des rendements et modification génétique, nous allons voir que, sur le terrain, en Afrique du Sud précisément, les rendements des OGM sont bel et bien corrélés à l’environnement local et aux conditions de cultures. Les rendements théoriques, obtenus dans une serre expérimentale sous contrôle, peuvent rapidement décevoir une fois la plante OGM cultivée. La nature est faite d’un grand nombre d’interactions, qui font que les rendements sont une donnée évolutive. Le maïs Bt, génétiquement modifié pour produire un insecticide, a été vendu aux agriculteurs comme un outil de gestion de parasites qui ferait gagner du temps et permettrait d’améliorer les rendements. C’était sans compter sur la fabuleuse capacité de la nature à s’adapter. Les parasites du maïs ont, petit à petit, développé une tolérance à l’insecticide produit par ces différents maïs transgéniques7.
L’Afrique du Sud a autorisé la culture commerciale de maïs Bt en 1999. Depuis, ce type de maïs OGM est cultivé sur environ 84 % de la sole de maïs de ce pays, soit plus de 2,59 millions d’hectares en 20238. Lors de la « Réunion annuelle de l’Association d’économie agricole et appliquée », qui s’est tenue en juillet 2024 à la Nouvelle-Orléans (États-Unis)9, plusieurs chercheurs10 ont présenté une comparaison des rendements de plusieurs cultivars de maïs OGM et non-OGM cultivés en Afrique du Sud. Selon ces chercheurs, « les cultivars génétiquement modifiés ont […] un avantage en termes de rendement par rapport aux cultivars conventionnels, mais [que] cet avantage a commencé à s’éroder ». Pendant six ans après l’introduction du maïs Bt en Afrique du Sud, soit jusqu’en 2004, les cultivars ayant cette modification génétique étaient alors associés à un gain de rendement de 0,45 MT/ha. Or, cette même année, la résistance au Bt par les insectes a été signalée pour la première fois en Afrique du Sud11. Après cette date, les gains de rendement diminuent régulièrement jusqu’en 2014. Ils remontent légèrement ensuite, du fait de l’introduction de cultivars empilés, c’est-à-dire avec plusieurs transgènes qui codent à la fois pour la production d’insecticides et pour la tolérance aux herbicides. Ils remontent, certes, mais ne retrouvent pas leurs niveaux de 2004. L’empilement permet de contourner la résistance acquise par les parasites, mais c’est un jeu de course poursuite sans fin. La nature aura toujours le dernier mot et, pendant ce temps, comme Inf’OGM l’a souvent renseigné, avec les évolutions techniques, le prix des semences augmente aussi12. Finalement, les auteurs concluent que « ces résultats suggèrent que les rendements du maïs Bt ont diminué, par rapport aux cultivars de maïs conventionnels, en raison soit de la résistance, soit d’un changement dans les priorités de sélection ».
1 Christophe Noisette, « Aux États-Unis, la faim ne justifie vraiment pas les moyens biotechnologiques », Inf’OGM, 24 septembre 2024.
2 Elle est, depuis avril 2024, salariée de Corteva. Voir son profil LinkedIn.
3 Merritt Khaipho-Burch et al., « Genetic modification can improve crop yields — but stop overselling it », Nature, 20 septembre 2023.
4 Jonathan Matthews and Claire Robinson, « Claims that “supercharged biotech rice” yields massively more grain debunked », GMWatch, 14 août 2022.
5 Union of Concerned Scientists, Doug Gurian-Sherman, « Failure to Yield – Evaluating the Performance of Genetically Engineered Crops », 14 avril 2009.
6 Claire Robinson, « Stop overselling GM on yield, warns plant breeding researcher », GMWatch, 26 septembre 2023.
7 Eric Meunier, « 25 ans plus tard, les OGM insecticides face à la résistance des insectes », Inf’OGM, 15 octobre 2024.
8 Business France, « Les forts rendements du maïs sud-africain font grimper les chiffres de la production », 6 juillet 2023.
9 Lawton Nalley et al., « The Devolution of Bt Maize Yields in South Africa: A Case Study of Potential Resistance and its Yield Implications », AgEcon Search, 2024.
10 Lawton Nalley et Courtney Cooper de l’Université d’Arkansas, Jesse Tack de l’Université du Kansas et Petronella Chaminuka du South African Agricultural Research Council.
11 Les premières données scientifiques publiées dans des journaux à comité de lecture datent elles de 2007 :
« First report of field resistance by the stem borer, Busseola fusca (Fuller) to Bt-transgenic maize », Van Rensburg, J.B.J., 2007, South African Journal of Plant Soil, 24(3) : 147-151.
12 Christophe Noisette, « ETATS-UNIS – Maïs OGM : des rendements décevants », Inf’OGM, 19 juin 2012.