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En Espagne, des insectes commencent-ils à résister au maïs OGM ?

Par Eric Meunier

Publié le 08/10/2024

    
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Depuis près de quinze ans, les experts européens et français recommandent à Bayer d’améliorer la surveillance environnementale des cultures commerciales de maïs Mon810 en Espagne et au Portugal. Cette amélioration est nécessaire, estiment-ils, pour éviter que des insectes cibles, comme la pyrale du maïs et la sésamie, ne développent des résistances à l’insecticide produit par ce maïs transgénique. Mais, d’année en année, Bayer ne répond que partiellement à ces demandes. Pourtant, les inquiétudes deviennent de plus en plus sérieuses et concrètes, comme le montre le dernier avis de l’AESA, sorti en août 2024.

Le maïs transgénique Mon810, modifié génétiquement pour produire une protéine insecticide Cry, est autorisé à la culture en Europe depuis 1998. Depuis 2010, ces cultures font l’objet d’une surveillance afin de détecter d’éventuels impacts sur l’environnement qui auraient été méconnus lors de l’évaluation des risques. Monsanto d’abord, puis Bayer depuis le rachat de Monsanto, envoie chaque année son rapport, qui passe donc entre les mains des experts. Ces rapports rendent compte de la mise en place des zones tampons autour des cultures transgéniques ainsi que la surveillance générale effectuée pour détecter d’éventuels impacts non anticipés. Depuis 2010, les experts européens ne cessent de demander des améliorations qui ne sont jamais mises en œuvre par l’entreprisei. L’avis de l’AESA, comme celui de l’Ansesii, sur le rapport des cultures ayant eu lieu en 2022 dans les deux seuls pays où ce maïs est encore cultivé, en Espagne et au Portugal, ne déroge pas à cette règle.

Des zones refuges respectées, sur le papier

C’est principalement sur la base des données fournies par Bayer que les experts européens tentent d’évaluer les impacts des cultures de maïs transgéniques Mon810. Ils ont également tenu compte d’un article scientifique sur l’apparition de téosinte en Espagneiii.

Les experts européensiv constatent que les zones refuges à mettre en place autour ou dans les cultures de maïs Mon810 semblent avoir été mieux respectées en Espagne en comparaison des années précédentes. Dans le détail, il faut noter que la surveillance est sur ce point effectuée via un questionnaire élaboré par Bayer demandant aux agriculteurs s’ils ont bien respecté les obligations d’avoir des zones refuges. L’AESA souligne surtout que Bayer n’a questionné que les agriculteurs espagnols mais aurait dû questionner les portugais également. Elle recommande une surveillance plus poussée pour les années à venir, surveillance qui serait conduite par Bayer, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.

Des débuts d’apparition de résistance chez les insectes

Dans leur rapport, les experts ne constatent pas avec certitude une résistance acquise par la pyrale et la sésamie du maïs, tous deux cibles de la protéine insecticide transgénique Cry du Mon810. Cependant, certaines informations les alertent sur un potentiel début d’apparition. Une inquiétude qui remonte à 2015 et les premiers constats de défaut méthodologique de surveillancev. En 2024, les experts notent ainsi que dans le nord-est de l’Espagne, « une baisse de la susceptibilité de la pyrale du maïs à la toxine Cry1Ab ne peut être exclue ». Un constat renforcé par l’observation aux champs de dommages « inattendus à des plants de maïs Mon810 par des sésamies en 2021 à Gijon », que les experts avaient mentionnés dans leur rapport sur les cultures de 2021. Si l’AESA se réjouit que cette région soit désormais incluse dans la zone géographique surveillée, elle estime néanmoins que la surveillance mise en œuvre par Bayer est insuffisante.

Les experts détaillent en effet que « les activités de surveillance ne devraient pas être limitées à la collecte de sésamie dans des champs de maïs conventionnel à Gijon. Elles devraient inclure la mise en place d’un protocole de collecte de sésamie proches du champ où les dommages inattendus ont été rapportés ». Bayer devrait également faire plus d’efforts pour chercher d’éventuelles sésamies devenues résistantes dans la zone concernée. Les experts demandent également à Bayer de prévenir les agriculteurs locaux de cette éventuelle présence de résistance afin qu’ils inspectent leurs champs plus régulièrement.

Plus étonnant, les experts européens écrivent qu’aucune des mesures prises par Bayer, suite à l’observation des dommages sur des plantes de maïs Mon810 et la potentielle présence de sésamies résistantes à la protéine transgéniques insecticide Cry, n’étaient conçues pour réduire la dissémination de cette résistance. Bayer a en effet considéré qu’il n’y avait pas besoin de réduire cette dissémination car, selon l’entreprise, la résistance ne concernait pas une population dans son ensemble et les champs voisins avaient déjà été récoltés… Une approche qui ne rejoint en effet pas celle de l’AESA, qui estime que les mesures à prendre devraient être l’arrêt de vente et de mise en culture du maïs Mon810 dans la région quand la résistance évolue, l’augmentation de la communication auprès des agriculteurs, la mise en place de mesures de contrôle différentes et l’augmentation de la taille des zones refuges. Ils concluent leur rapport sur ce point en expliquant « se réjouir que le détenteur de l’autorisation de commercialisation (du Mon810) prenne en compte ces recommandations ». Le rapport des cultures 2023 que l’AESA analysera l’année prochaine précisera les réelles mesures prises pour étudier efficacement et tenter de freiner l’apparition de cette résistance chez des insectes.

De potentiels problèmes de contaminations transgéniques de téosintes

En s’appuyant sur les avis des experts européens et français publiés en 2021, Inf’OGM expliquait, début 2024, que de potentiels problèmes agronomiques liés aux cultures de maïs Mon810 risquaient d’apparaître. Ces problèmes agronomiques concernent la téosinte, ancêtre du maïs d’origine mexicaine, qui se trouve être de plus en plus présente en Europe. Retrouvée notamment dans des champs de maïs transgénique Mon810, ces téosintes nécessitent, pour les experts, une surveillance plus précise « pour éviter de perdre le contrôle sur la dissémination des protéines insecticides produites par ce maïs »vi. En effet, le risque premier concerne une possible hybridation de plants de maïs Mon810 avec des plants de téosinte, ces derniers acquérant alors le transgène du maïs de Bayer. Un tel phénomène induirait une augmentation non contrôlée des plants produisant la protéine insecticide, et donc les risques de voir des insectes développer des résistances à cette protéine. Une situation qui pourrait devenir d’autant plus problématique qu’en 2023, en réponse aux experts, Bayer/Monsanto avait expliqué s’opposer à renforcer cette surveillance !

Un an plus tard, les experts européens notent dans leur avis que la situation est toujours… problématique ! Ils avaient demandé à ce que les questions envoyées aux agriculteurs soient complétées par des questions sur la présence éventuelle de téosinte, qu’une revue bibliographique des articles scientifiques soit effectuée, que les informations de Bayer et des autorités espagnoles soient remontées quant à l’observation de téosintes et que les activités de surveillance soient renforcées. Las, les experts écrivent dans leur rapport de cette année que « aucune information sur la présence de téosinte […] ne fut collecté via le questionnaire aux agriculteurs », car Bayer ne l’a tout simplement pas modifié. De même, la recherche bibliographique est considérée comme lacunaire. Quant au travail des autorités espagnoles, les experts notent que leur analyse indique une présence de téosinte dans les seuls champs de maïs conventionnel et une absence d’hybridation entre les plants. Mais, avec les informations reçues, les experts ne sont pas en mesure de savoir si les protocoles de surveillance suivis ont été suffisamment performants pour être fiables. Poliment, les experts européens « encouragent le maintien et l’élargissement des activités » de surveillance. Autant de remarques que les experts n’auront plus l’occasion de formuler pour les OGM qui seraient déréglementés si la Commission européenne aboutit son projet initié en 2023. Car, dans cette déréglementation d’une majeure partie des OGM, la surveillance environnementale comme l’évaluation préalable des risques ne seraient plus conduites.

i Eric Meunier, « Europe – Surveillance post-commercialisation : mal menée », Inf’OGM, le journal, n°150, mai/juin 2018.

ii Anses, « NOTE d’appui scientifique et technique du Groupe de travail (GT) « Biotechnologie » de l’Anses relative à la demande de commentaires sur le rapport annuel (2022) de surveillance environnementale de la culture du maïs génétiquement modifié MON810 en Espagne et au Portugal », 27 décembre 2023.

iii Arias-Martín, M., Escorial Bonet, M. C., & Loureiro Beldarraín, I., « Teosinte introduced into Spain and Bt maize: Hybridisation rate, phenology andCry1Ab toxin quantification in the hybrids », Revista de Ciências Agrárias, 47(1), 297–301, 2024.

iv AESA, « Assessment of the 2022 post‐market environmental monitoring report on the cultivation of genetically modified maize MON 810 in the EU », 22 août 2024.

v Eric Meunier, « UE – Maïs MON810 : des pyrales résistantes peut-être déjà là », Inf’OGM, 3 juillet 2015.

vi Eric Meunier, « Des problèmes à venir dus à la culture de maïs OGM en Europe ? », Inf’OGM, 6 février 2024.

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