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L’exclusion de la brevetabilité des seuls OGM/NTG serait un leurre

Par Denis MESHAKA

Publié le 29/02/2024, modifié le 14/03/2024

    
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Dans ses amendements adoptés le 7 février 2024, le Parlement européen distingue les produits issus des Nouvelles Techniques Génomiques (NTG), qu’il veut exclure de la brevetabilité, et les NTG permettant d’obtenir ces produits qui, elles, pourraient toujours faire l’objet de brevets dits de procédés. Au delà des blocages législatifs que cette décision susciterait, notamment au niveau de l’Office européen des brevets, elle laisserait toujours les agriculteurs et les petits/moyens obtenteurs à la merci de poursuites en contrefaçon. Contrairement à ce que la proposition « rassurante » du Parlement laisse entendre…

Le 7 février 2024, le Parlement européen a proposé de distinguer les produits issus des NTG, telles que les plantes, leurs parties et les informations génétiques qu’elles contiennent, qui seraient exclues de la brevetabilité, des procédés NTG permettant d’obtenir ces produits, qui n’en seraient pas exclus. Cette décision ne pourrait cependant être adoptée dans le règlement final sans modifier aussi la Directive européenne 98/44 CE et la Convention sur les brevets européen, qui régissent la brevetabilité des inventions biotechnologiques en Europe.

Dans l’hypothèse où ces obstacles administratifs seraient franchis, et que seuls les procédés NTG seraient de ce fait brevetables, le contexte juridique en serait-il pour autant très différent pour les petits/moyens obtenteurs, agriculteurs et paysans ? Sans doute pas, au vu de la portée des revendications des brevets portant sur des procédés.

Différentes catégories de revendications

Un brevet comprend deux parties principales : une « description », qui détaille une invention de manière suffisamment complète pour pouvoir être reproduite, et des « revendications » qui ont pour fonction de définir l’invention de manière claire et concise. Ces revendications délimitent l’invention et doivent mentionner ses caractéristiques essentielles. Par exemple, si on inventait le marteau, la revendication devrait au minimum mentionner une partie qui est tenue et une partie qui percute. L’invention définie doit être nouvelle, impliquer une activité inventive et être susceptible d’application industrielle.

Différentes catégories de revendications sont possibles dans un même brevet, sous réserve que le critère d’unité d’invention soit respecté. Un brevet peut, par exemple, revendiquer une plante (ou du matériel végétal, tel qu’une semence) modifiée portant le transgène X, un procédé d’obtention d’une plante contenant ce transgène X, une revendication de séquence de ce transgène X ou une nouvelle fonction associée au transgène X… L’invention se fonde dans ce cas sur le transgène X. Les brevets du domaine des NTG revendiquent similairement du matériel végétal modifié par des NTG, des procédés d’obtention de ce matériel modifié, des séquences génomiques (séquence modifiée, ARN guide…).

Une revendication de « produit » concerne par exemple une plante ou une semence modifiée. Une revendication de « procédé » couvre une suite d’étapes permettant, par exemple, la production d’une telle plante ou semence ou consistant d’une manière particulière à générer diverses modifications génétiques des plantes. Si l’on se place dans une situation de contrefaçon potentielle – un brevet sert à interdire à un tiers de contrefaire une invention – le titulaire du brevet concerné peut mener son action plus aisément sur la base d’une revendication de produit que d’une revendication de procédé. Une revendication de produit lui permet, en effet, de démontrer la contrefaçon en déclarant simplement qu’un produit identique est disponible dans le commerce. Sur la base d’une revendication de procédé, il devra prouver que les étapes de production qui ont été mises en œuvre pour obtenir ce produit contrefont cette revendication. Ce qui est en théorie moins aisé. Mais le droit européen contient une disposition qui étend la portée de telles revendications de procédés aux produits directement issus du procédé breveté. Véritable renversement de la charge de la preuve, cette disposition contraint les contrefacteurs présumés – des producteurs de semences par exemple – à prouver qu’ils n’ont pas obtenu ces produits directement par ce procédé breveté.

Brevets de procédés et NTG

L’article 4a « Exclusion de la brevetabilité » voté par le Parlement européen dispose que « les végétaux NTG, le matériel végétal, les parties de ceux-ci, les informations génétiques et les caractéristiques des procédés qu’ils contiennent ne sont pas brevetables » 1. L’exclusion concerne donc les « produits » des NTG et pas les procédés NTG, qui restent brevetables. Dans ces conditions, le titulaire d’un brevet de procédé NTG ne pourrait donc pas interdire à un tiers de produire des plantes issues de ce procédé car ces plantes sont exclues de la brevetabilité ?

Comme évoqué ci-dessus, le droit européen contient des dispositions permettant d’étendre la portée d’un brevet de procédé aux produits obtenus directement par ce procédé. L’article 64(2) de la Convention sur le Brevet Européen appliquée par l’Office Européen des Brevets édicte ce principe pour tous les domaines techniques. L’article 8(2) de la Directive 98/44 CE en fait de même pour les inventions biotechnologiques2. Dans ce denier cas, le « produit obtenu » est de la « matière biologique » qui, de par sa nature, est amenée à se reproduire ou se multiplier. L’article 8(2) étend les revendications de production de matériel biologique avec des « caractéristiques spécifiques résultant de l’invention » au matériel biologique obtenu par reproduction ou multiplication de ce matériel initial et ayant les mêmes caractéristiques.

L’article 9 de la Directive 98/44 précise que la protection conférée par un brevet à un produit (par exemple un produit obtenu selon l’article 8(2)) contenant une information génétique (par exemple une séquence d’ADN) ou consistant en une information génétique s’étend à toute matière… « dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce sa fonction. » Par exemple, la protection conférée à une séquence de tomate modifiée par une NTG particulière s’étend à toute tomate (ou autre matière biologique) dont le génome contient cette séquence, sous réserve qu’elle conserve la fonction revendiquée dans le brevet.

Les obtenteurs sont présumés contrefacteurs

Que pourrait-il concrètement se passer en cas de contrefaçon présumée d’un brevet de procédé NTG ? Si, par exemple, Corteva soupçonne un petit obtenteur d’avoir produit des semences directement par son procédé breveté, ceci devra être prouvé. On peut imaginer qu’une multinationale semencière, dotée de moyens importants et d’outils de biotechnologie puissants, pourrait se voir demander d’apporter les preuves appuyant ses allégations. Il n’en est rien. La juridiction unifiée du brevet (JUB), instituée par l’Union européenne, dispose à l’Article 55 (Article 55 (JUB) – Renversement de la charge de la preuve)3 de son « Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet » que, dans le cas d’un brevet de procédé, c’est au contrefacteur présumé de prouver qu’il ne l’est pas. C’est ce que le droit nomme le « renversement de la charge de la preuve »4.

Il suffirait donc, pour se dédouaner, qu’un obtenteur démontre qu’il a produit sa semence par un procédé essentiellement biologique ou qu’elle aurait été susceptible de l’être. Mais comment s’y prendrait-il si on ne peut distinguer – comme le prétendent d’ailleurs eux-mêmes les développeurs de NTG – une semence obtenue par un procédé essentiellement biologique d’une semence obtenue via un procédé NTG breveté ?

C’est pourquoi le texte amendé, voté par le Parlement européen le 7 février, a pris la « précaution » de préciser ceci : « la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique ne s’étend pas au matériel végétal dans lequel le produit est incorporé et dans lequel l’information génétique est contenue et exerce sa fonction, mais qu’il est impossible de distinguer d’un matériel végétal obtenu ou pouvant être obtenu par un procédé essentiellement biologique ».

Cette distinction est tout à fait possible. Yves Bertheau, ancien directeur de recherche à l’Inrae au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, l’a montré dans différentes publications, à l’instar d’autres scientifiques5. L’Union européenne elle-même finance, en outre, des programmes de recherches (Darwin et Detective) visant à étudier le développement des outils permettant de détecter, identifier et tracer les NTG et, à terme, standardiser de telles analyses6. Les contraintes n’étant donc pas techniques, mais uniquement réglementaires, cela ferait donc sens que ce soit à la charge des titulaires de brevets de publier le procédé permettant de distinguer les produits issus de leur invention de tout autre produit susceptible de leur ressembler. Procédé dont la publication est rendue obligatoire par la Directive 2001/18, mais que la Commission européenne propose d’annuler avec la nouvelle réglementation OGM/NTG.

C’est en fait bien en s’appuyant sur le principe de « reversement de la charge de la preuve » que les titulaires de brevets sur les procédés des NTG espèrent mener des actions en justice. Si les contrefacteurs présumés (cf. encadré) ne sont pas en capacité de démontrer que leur produit ne sont pas directement issus d’un procédé NTG breveté, ou de la reproduction de tels produits, ils devront arrêter leur production ou négocier une licence de brevet potentiellement onéreuse. Ils pourront alternativement remettre en cause la validité du brevet. Autant dire que cela n’arrivera quasiment jamais, compte tenu du coût dissuasif de telles procédures.

Dans l’hypothèse où l’Union européenne déciderait finalement d’exclure les produit issus de NTG de la brevetabilité, Corteva, Bayer, BASF, Syngenta et consorts auront donc toujours, via les revendications de procédés, les coudées franches pour agir face aux agriculteurs et aux petits et moyens obtenteurs.

Contrefaçon volontaire ou involontaire de brevet

Différentes situations de contrefaçons d’un brevet de procédé peuvent se produire. Il peut par exemple s’agir d’une contrefaçon volontaire par simple reproduction des étapes d’une revendication de procédé, et dans ce cas la portée du brevet de procédé s’étend au produit directement obtenu par ce procédé.

Il peut alternativement s’agir – notamment dans le cas des végétaux – d’une contamination, c’est-à-dire une copie involontaire et inévitable mais effective, sans autorisation, d’un produit identique à celui issu de l’invention brevetée. La contrefaçon ne serait cependant, dans ce denier cas, pas reconnue en France (l’Allemagne prévoit une protection équivalente), en raison du caractère « fortuit ou accidentel » de cette contamination (Article 613-2-2 du Code de la Propriété Intellectuelle). La Directive 98/44 CE ne prévoit toutefois pas de telle « immunité » en cas de contamination, et les autres pays européens peuvent donc en disposer autrement. On rappellera également qu’a cette extension légale de la portée des brevets de procédé au produit obtenu s’ajoute la question de la portée résultant de la rédaction des revendications qui couvrent abusivement des « traits natifs » de végétaux.
  1. Parlement européen, Textes adoptés, « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques, et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés », 7 février 2024. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0067_FR.pdf ↩︎
  2. Article 8(2) de la Directive 98/44 CE : « La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées s’étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de la matière biologique directement obtenue, par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés ». ↩︎
  3. Article 55 (JUB) – Renversement de la charge de la preuve :
    «  1. … si l’objet d’un brevet est un procédé permettant d’obtenir un nouveau produit, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet est, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme ayant été obtenu par le procédé breveté.
    2. Le principe énoncé au paragraphe 1 s’applique également lorsque la probabilité est grande que le produit identique ait été obtenu par le procédé breveté et que le titulaire du brevet n’ait pas pu, en dépit d’efforts raisonnables, déterminer quel procédé a été en fait utilisé pour le produit identique.
    3. Dans la présentation de la preuve contraire, sont pris en considération les intérêts légitimes du défendeur pour la protection de ses secrets de fabrication et des affaires ». ↩︎
  4. JO de l’Union européenne, « Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet », 20 juin 2013. ↩︎
  5. Bertheau, Y., “Advances in identifying GM plants: current frame of the detection of transgenic GMOs”, Burleigh Dodds, 2022.
    Bertheau, Y., “Advances in identifying GM plants: towards the routine detection of ’hidden’ and ’new’ GMOs”, Burleigh Dodds, 2022.
    Food Standards Agency, « Literature review on analytical methods for the detection of precision bred products« , 14 Septembre 2023 ↩︎
  6. Commission européenne, « Transition to safe & sustainable food systems through new & innovative detection methods & digital solutions for plant-based products derived from new genomic techniques, under a co-creation approach » (projet Darwin) , 8 décembre 2023.
    Commission européenne, « Detection of NGT products to promote innovation in Europe » (projet Detective), 6 décembre 2023. ↩︎
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