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Des micro-organismes modifiés par Crispr déjà commercialisés
La Commission européenne veut-elle déréglementer les micro-organismes OGM modifiés par de nouvelles techniques, comme elle l’a proposé pour les plantes ? Si la réponse n’est pas encore connue, des comités d’experts européens sont en tout cas mobilisés pour produire les documents éventuellement nécessaires à une initiative légale de la Commission. Dans un rapport publié fin 2023, l’Autorité européenne de sécurité des aliments annonce ainsi avoir effectué un tour d’horizon des micro-organismes génétiquement modifiés par de nouvelles techniques existants. Son constat ? Une « adoption généralisée des NTGs pour produire des MGM à destination des secteurs alimentaires » serait en cours…
Il s’agit de onze bactéries, 22 levures, un champignon endophyte (vivant à l’intérieur des plantes en symbiose) et une micro-algue. Ces 35 micro-organismes identifiés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) sont en phase de pré-commercialisation ou, pour une minorité, déjà commercialisés. Ils ont fait l’objet de modifications génétiques via des protocoles utilisant de nouvelles techniques de modification génétique1. Le principal outil utilisé ? Le complexe protéique Crispr/Cas, dans 33 cas sur les 35. Alors que les entreprises exercent un lobbying croissant auprès de la Commission européenne pour obtenir une déréglementation de leurs MGM2, à l’image de ce que propose la Commission pour les plantes, ce tour d’horizon a justement été commandé à l’AESA par la Commission européenne. C’est une étape obligatoire si une telle déréglementation devait être proposée.
Des MGM disséminables dans l’environnement
Pour effectuer sa recherche, l’AESA a choisi de définir les « nouvelles techniques génomiques » comme « les techniques pouvant modifier le matériel génétique d’un organisme, développées après la publication de la directive européenne 2001/18 ». Ainsi, l’AESA n’a, par exemple, pas regardé les micro-organismes obtenus par « mutagénèse classique », selon ses propres termes3. De même, l’AESA n’a pas étudié les cas où les MGM sont utilisés comme usine de fabrication de produits type additifs alimentaires et qui ne devraient pas être présents (sauf accident) dans la préparation finale. Ces MGM là, sur lesquels Inf’OGM a publié une enquête en 2023, peuvent être obtenus par diverses techniques, mais doivent, légalement parlant, être absents du produit final4.
Pour son tour d’horizon, l’AESA ne s’est donc intéressée qu’aux cas où les MGM ont été obtenus par de nouvelles techniques de modification et sont présents, soit en tant que tel, soit leurs séquences génétiquement modifiées, dans le produit commercialisé. Il s’agit, selon les exemples fournis, de cultures de micro-organismes utilisés pour transformer des matières premières avec une inactivation préalable par la chaleur (principalement pour la fermentation alcoolique), de préparations de protéines de biomasse, d’extraits cellulaires, de cultures vivantes…
Après des recherches difficiles du fait du peu d’informations accessibles (cf. encadré), l’instance européenne a donc identifié 35 MGM5. Une partie concernent des MGM utilisés pour fabriquer des additifs en alimentation humaine ou animale mais pour lesquels l’étape de purification peut être incomplète et conduire à la présence de séquences génétiques modifiées dans le produit commercialisé. D’autres MGM sont destinés à être commercialisés directement en tant que tel, que cela soit dans les champs ou via l’alimentation. On trouve ainsi une bactérie GM déjà commercialisée aux États-Unis par Pivot Bio comme fertilisant aux champs6.
Un champignon endophyte GM développé par l’Université du Kentucky (États-Unis) serait en pré-commercialisation. Il serait utilisable via l’alimentation animale ou directement dans l’environnement pour réduire les ergots d’alcaloïdes, des toxines produites par des moisissures.
Sur le plan uniquement alimentaire, on trouve une bactérie GM pour l’alimentation animale, visant à « retirer de manière sélective les bactéries non désirées (Salmonelle) de l’estomac des animaux » qui serait déjà commercialisée par Folium Science. Une levure GM est en développement par l’Université de Caroline du Nord pour augmenter la quantité de Beta-carotène, une levure utilisable comme probiotique dans l’alimentation. Treize MGM sont également en cours de développement ou proches de la commercialisation pour être utilisés dans la production de bière ou de vin (en grande partie de riz, en Asie).
Peu d’évaluation des risques, la détection à l’étude
Sur les 35 MGM listés par l’AESA, huit sont indiqués comme déjà commercialisés et neuf sont en pré-commercialisation. Mais l’AESA explique que seuls trois ont « été soumis à des procédures d’autorisation par des autorités internationales et les études d’évaluation des risques sont peu nombreuses » ! Parmi les rares cas d’évaluation des risques, l’AESA détaille que, selon le site de Folium Science, la bactérie génétiquement modifiée par cette entreprise britannique avec l’outil Crispr/Cas a commencé, en 2023, à être évaluée au Brésil « où la première étape de [cette évaluation] a approuvé la technologie en tant qu’organisme non génétiquement modifié » (sic).
Ces MGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique et destinés à être utilisés en tant que tels font également l’objet d’une certaine attention des experts membres du Réseau européen de laboratoires sur les OGM (ENGL). Si ces experts ont prévu de se pencher sur la question de la détection et traçabilité des ces MGM depuis un moment, la mise en œuvre du travail d’analyse a du mal à avancer. En mars 2023, il fut ainsi rappelé que « à la fin de l’année 2018, l’ENGL a voté la fourniture d’un rapport sur la détection des plantes, micro-organismes et animaux GM obtenus par de nouvelles techniques ». Si le rapport sur les plantes a été finalisé, « celui sur les MGM […] n’avance pas car il est en attente de définitions légales »7. Le propos est étonnant car la réglementation OGM fournit lesdites définitions de manière très claire. La seule explication est le travail en cours de réflexion au sein de la Commission, à la demande des entreprises privées du secteur. En effet, celles-ci œuvrent déjà à une éventuelle déréglementation des MGM obtenus par de nouvelles techniques8. En juin 2023, l’ENGL précisait que le groupe de travail sur les « nouvelles techniques de mutagénèse » avait modifié son mandat pour inclure les micro-organismes et « étudie si son rapport peut s’étendre à ces derniers »9.
L’AESA a collecté peu d’informations
Un marché en développement
Pour l’AESA, le développement de MGM commercialisables connaît « une activité significative ». Si la commercialisation est majoritairement le fait d’entreprises privées, note l’instance européenne, la partie recherche et développement est assurée de son côté par les organismes publics10. En effet, sur les 35 MGM obtenus par de nouvelles techniques et identifiés par l’AESA, huit sont déjà commercialisés, tous le sont par des entreprises privées. L’entreprise étasunienne Berkeley Yeast Company commercialise à elle seule six de ces MGM.
La conclusion tirée par l’AESA de son propre rapport est qu’il existe « une adoption croissante des MGM utilisées pour diverses applications dans le secteur de l’alimentation humaine et animale ». Un constat qui explique la mobilisation croissante des industries du secteur pour obtenir la déréglementation de ces OGM obtenus par de nouvelles techniques, à l’image de ce que la Commission européenne a proposé pour les plantes en juillet 2023.
- EFSA, « Horizon scanning on microorganisms and their products obtained by new developments in biotechnology« , 22 December 2023. ↩︎
- Eric MEUNIER, « Genetically modified microorganisms to be released soon in the EU environment? », Inf’OGM, 8 December 2023. ↩︎
- The notion of classical mutagenesis is vague. Above all, mutagenesis protocols for micro-organisms differ in several aspects from those for plants, but one is of particular importance: micro-organisms multiply as cells in nature, because bacteria and many yeasts are unicellular organisms. In the case of plants, which are multicellular organisms, work on cells requires isolation and multiplication stages that do not occur naturally. ↩︎
- Eric Meunier et Christophe Noisette, « Micro-organismes OGM : l’offensive cachée », Inf’OGM le journal, N°174, janvier-mars 2024. ↩︎
- For a full list of the 35 GMMs, their characteristics and use, see note 1 on pages 44 to 65. ↩︎
- Eric MEUNIER, « Genetically modified microorganisms to be released soon in the EU environment? », Inf’OGM, 8 December 2023. ↩︎
- ENGL, « Report – 44th ENGL Steering Committee Meeting », 9 March 2023. ↩︎
- Eric MEUNIER, « Genetically modified microorganisms to be released soon in the EU environment? », Inf’OGM, 8 December 2023. ↩︎
- ENGL, « Report – 45th ENGL Steering Committee meeting », 20 June 2023. ↩︎
- List of the companies and public research institute identified by EFSA as the source of the 35 GMMs :
In China : University of Jiangnan, Institute of Animal Science, Chinese Academy of Agricultural Sciences, National Natural Science Foundation of China, National Natural Science Foundation of China, University of Hainan.
In South Korea : Kaist Institutes, National Research Foundation of Korea, Catholic University of Korea, Woese Institute for Genomic Biology.
In the USA : University of Kentucky, Proven40®/ Pivot Bio, Berkeley Brewing Science, Inc.
In the United Kingdom : BiomElix Guided Biotics® / FOLIUM Science. ↩︎