Actualités
Evaluation des OGM : agences et gouvernement français s’accordent pour refaire une expérimentation
Les deux instances françaises en charge du dossier « OGM », le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ont rendu le 22 octobre leurs avis sur l’étude de toxicologie à long terme du maïs NK603 (traité ou non à l’herbicide Roundup), et du Roundup lui-même, étude réalisée par le Pr. G.E. Séralini [1] [2] [3]. La conclusion quelque peu lapidaire de ces comités est que l’étude de Séralini ne permet aucune conclusion, mais qu’il est cependant nécessaire de conduire des études à long terme sous l’égide des pouvoirs publics. Une demande que l’Anses lie notamment au très faible nombre de publications (trois dont celle de G.-E. Séralini) sur le sujet…
Tant pour le Comité scientifique (CS) du HCB que pour l’Anses, l’étude du Pr. Séralini ne permet pas de conclure à une toxicité du maïs génétiquement modifié NK603, traité ou non avec l’herbicide Roundup. Pour le CS du HCB, « les données de l’article ne mettent en évidence aucune différence statistiquement significative entre les groupes expérimentaux et le groupe témoin », que ce soit pour la mortalité ou les tumeurs. Le CS souligne que « le dispositif expérimental mis en œuvre est inadapté, […] la présentation des résultats est parcellaire et imprécise […et] les conclusions d’effets délétères de la consommation du maïs NK603 ne sont pas soutenues par l’analyse des résultats présentés ». Cette critique de l’insuffisance de la puissance statistique du travail de G.-E. Séralini se retrouve régulièrement dans les avis que le HCB rend sur les demandes d’autorisation, mais sans pour autant que ces avis ne proposent le rejet des demandes présentées.
De son côté, l’Anses, qui précise avoir reçu du Pr. Séralini une partie des données brutes de son expérience, considère également que « les interprétations des auteurs ne sont pas suffisamment étayées par les données présentées ». L’Anses signale en effet que, dans le protocole suivi par l’équipe de Séralini, le nombre de rats utilisés est insuffisant, et cela autant dans chaque lot expérimental que dans le groupe témoin. L’Anses indique également que « les auteurs de la publication au cours de l’audition ont admis que cette étude n’était pas conclusive à elle seule » mais qu’elle « avait le mérite d’initier une voie intéressante de recherche ». Selon l’avis de l’Anses, les membres de l’équipe de Séralini ont précisé être « intimement convaincus que, en ayant mobilisé toutes les techniques, ce qu’ils ont observé n’est pas aléatoire. Certes, c’est perfectible, mais l’équipe a juste ouvert une voie, et il faut maintenant faire mieux collectivement ». Ce que l’Anses confirme en concluant que le travail du Pr. Séralini est « une étude ambitieuse, conduite en mobilisant de larges moyens et publiée dans une revue internationale reconnue en matière de toxicologie alimentaire ». De cela, le CS du HCB n’en pipe mot.
Quant à savoir pourquoi G.E. Séralini est critiqué sur un nombre de rats trop faible alors que les entreprises utilisent le même nombre, le HCB et l’Anses répondent que les objectifs d’une étude à 90 jours et d’une étude sur vie entière ne sont pas les mêmes et que le nombre de rats requis n’est donc pas le même. Ce qui n’empêche pourtant pas le HCB de souligner régulièrement l’absence d’information sur la puissance statistique des études fournies par les entreprises. Et l’Anses d’avoir constaté une puissance statistique insuffisante sur le dossier du maïs MON810… comme sur 110 de 116 autres dossiers étudiés ! [4]
Réaliser des évaluations à long terme
Si, pour l’Anses, l’étude ne remet pas en cause les évaluations réalisées par les entreprises pour le maïs NK603 et le Roundup, elle lui permet néanmoins de poser la question de l’évaluation à long terme des PGM et des pesticides. L’Anses, mais aussi le Comité Économique, Éthique et Social (CEES) du HCB, demandent donc que des études sur les effets à long terme des OGM soient réalisées, sous l’égide des pouvoirs publics. L’Anses va plus loin encore et demande au gouvernement « d’engager des recherches visant à décrire les effets potentiels sur la santé associés à la consommation sur le long terme d’OGM […]. Ces études devraient être menées dans le cadre de financements publics et sur la base de protocoles d’investigation précis permettant de répondre aux questions posées ». Si le gouvernement suivait cette recommandation de conduite d’études à long terme, outre la composition du comité de pilotage, la question des financements sera un des sujets à trancher. Car le coût sera bien sûr supérieur aux trois millions d’euros qu’a coûté l’étude de Séralini. Mais un coût qui reste « inférieur au coût social et économique du doute des consommateurs sur le dossier OGM » précise Christine Noiville, Présidente du CEES [5]. Cette demande n’intervient que quinze ans après les premières autorisations de PGM dans l’Union européenne. Mieux vaut tard que jamais… Le CS du HCB, lui, n’a pas encore abordé la question des modalités de l’évaluation des risques sanitaires posée dans la saisine reçue. Ce travail est annoncé « dans les prochains mois ».
Pour Marc Mortureux, président de l’Anses, demander aujourd’hui un renforcement des recherches sur les effets à long terme s’explique par le fait que « l’Anses est en permanence attentive aux nouveaux éléments scientifiques » et que dans le cadre du travail bibliographique effectué par l’Anses pour son avis sur le travail de G.-E. Séralini, elle n’a trouvé en tout et pour tout que deux études comparables à ce travail : une étude faite avec du soja sur 270 rats [6] et une avec du soja également, mais sur 20 rats [7]… La Commission européenne, interrogée par Inf’OGM, précise réfléchir actuellement à la pertinence de demander la conduite d’une étude des effets sanitaire d’un OGM (non précisé encore) au-delà de 90 jours.
Rendre toutes les données publiques
La demande d’études à long terme n’est pas la seule avancée liée à la publication de l’étude de G.-E. Séralini. Ce dernier a toujours refusé de communiquer les données brutes de son expérience si Monsanto ne communiquait pas celles liées à sa demande d’autorisation du maïs NK603. Le 22 octobre 2012, l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) déclarait avoir communiqué toutes les données au scientifique français. De son côté, Jean-Christophe Pagès, président du CS du HCB, confirme que « l’accès aux données brutes pour les chercheurs est nécessaire, et une bonne chose pour lever le point de crispation que représente cette question », position partagée par Christine Noiville du CEES. Marc Mortureux, directeur général de l’Anses, a lui indiqué que l’Anses tenait à disposition des chercheurs qui le demanderaient, les données brutes des analyses des entreprises, sous condition de respect des informations confidentielles telles que le nom des laboratoires ou des scientifiques ayant conduit les expériences. Ce point n’est pas anodin puisque à ce jour, les données brutes sont accessibles aux experts membres des comités nationaux mais pas publiques ! Et même pour les experts, recevoir les données n’impliquent pas qu’ils puissent travailler directement avec puisque, comme l’explique Marc Mortureux à Inf’OGM dans un courrier du 8 septembre 2011, l’Anses a eu accès aux données brutes du dossiers du maïs MON810 « sous format papier via le site extranet réservé aux instances d’évaluation ». Ce qui avait amené M. Mortureux à préciser que « le pétitionnaire devrait en effet fournir les données sous forme numérique pour simplifier les vérifications ou analyses complémentaires jugées nécessaires par les experts » [8].
Pas de moratoire sur les importations de NK603
Le gouvernement a réagi immédiatement à ces deux avis en demandant une « remise à plat du dispositif européen d’évaluation, d’autorisation et de contrôle des OGM et des pesticides ». Cette remise à plat est justement en cours du côté de la Commission européenne et des États membres avec un règlement en discussion sur les analyses à conduire par les entreprises en vue d’une demande d’autorisation commerciale. Le règlement proposé maintient malheureusement un flou certain quant au caractère obligatoire des analyses de toxicologie comme Inf’OGM l’a déjà rapporté [9].
In fine, suivant les conclusions de ces deux avis, le gouvernement a confirmé qu’ « il n’y a pas lieu de revenir sur les autorisations accordées au maïs NK603 et à l’herbicide Roundup ». Conclusion paradoxale : il n’y a pas lieu de revenir sur l’autorisation donnée mais il faut remettre à plat le système d’évaluation et conduire des études sur les effets à long terme. Voilà de quoi rassurer le consommateur… Certaines organisations de la société civile ne s’y sont pas trompées et demandent, à l’instar de la Confédération paysanne, « l’interdiction immédiate de tous les OGM pesticides et de l’herbicide Roundup tant que ne sont pas amenées les preuves irréfutables de leur sécurité sanitaire ».
[4] Les calculs faits par l’Anses sur les données fournies par Monsanto dans le dossier du MON810 montrent que : « cent seize tests concernent les variables ne présentant aucune différence significative. Parmi ces 116 tests, 110 présentent un manque de puissance comparativement à l’une des tailles d’effets de référence », voir http://www.infogm.org/spip.php?article5238.
[5] Conférence de presse du 22 octobre 2012
[6] « A 104-week feeding study of genetically modified soybeans in f344 rats », Sakamoto et al., 2008, Shokuhin Eiseigaku Zasshi, 49, 272-282
[7] « A long-term study on female mice fed on genetically modified soybean : effets on liver ageing », Malatesta et al., 2008, Histochemistry and cell biology, 130(5), 967-977.
[8] Courrier de Marc Mortureux, Directeur général de l’Anses à Inf’OGM, 8 septembre 2011.