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#EGalim : une organisation verticale d’un autre âge
Le gouvernement organise les États généraux de l’alimentation (#EGalim). Noble sujet, qui concerne tous les mangeurs. Mais quelle est la manière dont les associations ont été impliquées dans la construction de ce projet ? Initiateurs, acteurs, figurants : quel va être leur rôle ?
La tenue des États généraux de l’alimentation (#EGalim) est une vraie bonne idée. Le besoin de s’entendre sur les enjeux liés à l’alimentation est indéniable, la crise du secteur agricole et le difficile accès à une alimentation saine, de qualité et respectueuse de l’environnement en sont deux indices. Mais pour que ce débat ait lieu, il est important de mettre préalablement sur la table ce qui, selon les uns et les autres, est à l’origine de cette situation.
L’objectif affiché par le gouvernement est de « …relancer la création de valeur et en assurer l’équitable répartition, permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes, accompagner la transformation des modèles de production afin de répondre davantage aux attentes et aux besoins des consommateurs, et enfin promouvoir les choix de consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable » [1]. Cet objectif est-il partagé par l’ensemble de la société civile ? Est-il issu d’un diagnostic élaboré collectivement ?
Initier un tel chantier nécessite, comme point de départ, une consultation large et équilibrée afin d’établir un diagnostic partagé. Or force est de constater que la société civile (syndicats, associations, ONG, entreprises, etc.) ne partage pas un diagnostic commun. Le choix a pourtant été fait par le gouvernement de convoquer certains acteurs de la société civile à des entretiens individuels avec le ministère, puis de débuter directement par des ateliers où chacun exprimera ses doléances. Ainsi, certains acteurs ont été reçus très en amont par le ministère (le 7 juillet, La France Agricole relatait le positionnement et l’enthousiasme de Michel-Edouard Leclerc [2] pour ces États généraux) tandis que d’autres ont dû mendier pour être auditionnés, et que d’autres encore attendent toujours. En effet, lors de la première réunion de la plate-forme des ONG qui s’est tenue le 10 juillet [3], nombreuses étaient les structures qui n’avaient reçu ni documentation officielle, ni invitation des responsables des ministères à présenter les questions qu’elles aimeraient traiter collectivement.
Cette inégalité de traitement crée un véritable flou sur le diagnostic de départ et donc sur la manière dont les questions ont été choisies. En termes de « co-construction » avec la société civile, le gouvernement a « tout faux ».
Le timing même montre qu’une participation intelligente n’a pas du tout été favorisée : l’urgence d’un démarrage imminent se confronte à un moment où tout le monde part en vacances !
Un débat sur le débat : une nécessité pour Inf’OGM
Au début des OGM, dans les années 90 / 2000, de nombreux débats sur les OGM ont été organisés, entre autres par des entités publiques, comme la première Conférence de citoyens sur les OGM en 1998 organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST).
Mais participer à des débats dont les modalités sont prédéfinies, les questions et les experts déjà choisis, et les modes d’exploitation des conclusions déjà calés, a rapidement frustré les opposants aux OGM et conduit Inf’OGM à se questionner sur la manière dont se construisent des réflexions. « Oui à une participation, disions-nous alors, mais pas dans n’importe quelles conditions ». Nous voulions être partie prenante de la définition même du débat, ce qui nous a conduits à demander systématiquement un « débat sur le débat » pour se mettre d’accord sur le thème (la question posée), mais aussi sur la forme : qui participe ? Comment ? Comment rédige-t-on les conclusions et surtout, qu’en fait-on ?
Pour bien comprendre, quelques exemples.
En 2002, l’Inra a organisé une concertation locale avec de nombreuses associations environnementales [4] sur l’intérêt ou non d’expérimenter en champ des porte-greffes transgéniques à Colmar. Au niveau national, cette concertation a été dénoncée par un collectif d’associations [5] via la rédaction d’une brochure largement diffusée [6] [7], à laquelle Inf’OGM a apporté son expertise technique. Cette dénonciation visait essentiellement la procédure de « co-construction » (choix non représentatif des personnes) et la question initiale posée, dont une partie était : « Dans l’ensemble des besoins de recherche sur les maladies de la vigne, comment définir les priorités et choisir les types d’arbitrage pour mettre en terre les plants transgéniques de Colmar ? ». Question typique qui enfermait les participants sur la solution transgénique dès le départ [8].
Autre débat biaisé, celui du Cirad, en lien avec le ministère de la Recherche, en septembre-octobre 2003. Deux chercheurs de l’institut avaient été chargés « d’identifier, par une approche de recherche participative appliquée au cas français, les intérêts d’une démarche de dialogue et de concertation entre les parties prenantes pour construire une stratégie collective de gestion des OGM » [9]. Dans une lettre rendue publique, Attac et la Confédération paysanne ont expliqué pourquoi ils ne participeraient pas aux tables rondes auxquelles ils étaient invités : « Concernant la question posée, nous nous devons de constater en premier lieu la différence entre la demande qui est faite par le ministère de la Recherche : « quelle recherche vis-à-vis des OGM en France ? » et le document du Cirad où est affichée dès l’introduction la volonté de faire apparaître « les intérêts d’une démarche de dialogue et de concertation entre les parties prenantes pour construire une stratégie collective de gestion des OGM ». La première question est ouverte et correspond aux interrogations de la société sur les OGM, la deuxième affirmation présuppose avant tout débat une réponse favorable puisqu’il s’agit de gérer leur acceptation sociale. Comment et pourquoi débattre dans ces conditions ? ». Ils critiquaient également la surreprésentation institutionnelle, mais concluaient en réaffirmant leur volonté de débattre selon d’autres procédures.
Après négociations avec les organisateurs, et intervention de FNE, les deux organisations ont finalement accepté de se joindre à une table-ronde… que les industriels semenciers avaient entre temps en partie désertée, n’acceptant pas à leur tour de voir s’ouvrir la question initiale en « amont de l’opportunité de faire des OGM ou d’orienter la recherche vers cette finalité » [10] et de voir s’étoffer la représentation des organisations de la société civile… Dure réalité pour les organisateurs de débats, qui, même sincères, ne perçoivent pas toujours les biais qu’ils introduisent parfois eux-mêmes ! D’où la nécessité réitérée de procédures claires négociées avant tout débat [11].
L’Inra a depuis renouvelé les appels au dialogue, à la concertation, et avait même accédé à une demande d’Inf’OGM : rémunérer les participations des salariés associatifs dans ces processus de discussion avec les chercheurs et/ou industriels, qui eux, de toute façon, étaient payés par leur institution.
Une absence totale de co-construction, en marche vers la cogestion ?
Pour l’organisation de ces États généraux de l’alimentation, Inf’OGM ne peut que constater une régression totale des modalités de co-construction du débat, puisque aucune étape ni aucune question n’ont été co-élaborées avec les associations. Pire, on ne sait ce que le gouvernement fera des conclusions de ces #EGalim. S’engage-t-il à les reprendre pour, une à une, les adopter ou les refuser en expliquant le pourquoi de chaque décision ? Car s’il appartient bien au politique de prendre des décisions, il n’a pas le droit en revanche de « balader » les associations avec des simulacres de débat dans lesquels elles n’auraient pas de prise réelle.
En l’absence d’un tel « débat sur le débat » et d’un accord sur le cadre de celui-ci, le risque est pris par les participants de cautionner les conclusions qui sortiront d’un débat tronqué ; et de perdre un temps précieux à œuvrer pour un intérêt loin d’être général. Et surtout, de n’avoir comme marge de manœuvre que le pouvoir de négocier la longueur de la chaîne qui nous lie à nos maîtres…
L’autre avantage d’une négociation en amont, en plus de fixer un cadre accepté par tous, était de fixer clairement les lignes rouges qui déclenchent un arrêt de la participation en dénonçant haut et fort toute violation des conditions négociées préalablement qui pourraient avoir lieu durant la tenue des États généraux.
Et maintenant ?
Une conclusion logique s’impose pour Inf’OGM. La forme donnée aux EGalim devrait pouvoir être redessinée, dans un temps plus long qui permet de poser les questions ensemble et d’en fournir les réponses, au-delà du contexte des négociations tripartites de fin d’année [12] qui semblent dicter l’agenda et auxquelles les autres parties n’ont pas accès.
[2] http://www.lafranceagricole.fr/actualites/etats-generaux-de-lalimentation-leclerc-veut-remettre-chacun-en-responsabilite-1,1,3676862687.html
[3] La plate-forme d’ONG a été créée à l’initiative de CCFD Terre solidaire.
[4] « Co-construction d’un programme de recherche, une expérience pilote sur les vignes transgénique », en ligne sur http://www.inra.fr, dernier accès le 11 juin 2010
[5] Attac, Confédération paysanne, Fnab, Fondation Science Citoyenne, France Nature Environnement, Frapna-07 (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature – section Ardèche), Giet (Groupe International d’études transdisciplinaires), Greenpeace, Mouvement de culture Biodynamique, Nature et Progrès, OGM Dangers
[6] Kastler, G. et Duntz, N., « L’expérience pilote OGM-Vigne : Un programme de manipulation de l’opinion », éd. Inf’OGM, février 2003, à télécharger sur http://www.infogm.org/866
[7] , « FRANCE – Vignes transgéniques : la Confédération paysanne d’Alsace quitte le comité de suivi », Inf’OGM, 30 mars 2004
[8] ce qu’a volontiers reconnu le président du centre Inra de Colmar, Jean Masson, lors de la conférence (filmée) du CNRS « Sciences en Société au XXI° siècle : autres relations, autres pratiques » en novembre 2007.
[9] Vandichèle, S. et Jésus, F. (Département Amis, programme Ecopol), Cirad, « Impact des OGM et choix publics : analyse provisoire de l’ensemble des interviews réalisées auprès des acteurs concernés par le rôle de la recherche vis-à-vis des PGM en France », non publié.
[10] lettre d’Attac et la Confédération paysanne à Franck Jésus du 26 septembre 2003, archive Inf’OGM.
[11] Voir à ce sujet : Chapitre 4 Comment impliquer les citoyens dans ces choix ? OGM : la bataille de l’information, Inf’OGM, 2011, ECLM, à télécharger ici.
[12] La loi de modernisation économique (LME) de 2008 – inspirée du rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française », et en bonne partie rédigée par Emmanuel Macron – instaure la liberté de négociation des prix entre les centrales d’achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs pour « augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs en favorisant des baisses de tarifs ».