Actualités
Les Pays-Bas ne veulent pas réglementer les nouveaux OGM
Le 7 septembre 2017, une proposition des Pays-Bas de ne pas encadrer les produits issus des nouvelles techniques de modification génétique était rendue publique. Selon nos informations, cette proposition a été présentée aux États membres de l’Union européenne le même jour.
Les nouvelles techniques de modification génétique donnent-elles des OGM soumis au champ d’application de la législation européenne ? Deux dates sont déjà dans le calendrier : 2018, avec la décision de la Cour de Justice européenne saisie du sujet par le Conseil d’État français ; et le 28 septembre 2017, avec la conférence organisée par la Commission européenne, dans l’optique « d’ouvrir et alimenter un débat ouvert entre les parties prenantes » [1] sur ce point.
Les Pays-Bas veulent élargir l’exemption
Les Pays-Bas ont donc fait le choix de formuler une proposition concrète à ses partenaires européens, rendue publique par les députés verts européens [2]. Cette proposition vise à modifier une annexe de la directive 2001/18 (Annexe 1B) qui définit les techniques de modification génétique dont les produits OGM sont exclus du champ d’application de la législation. À l’heure actuelle et pour des raisons d’« historique d’utilisation sans risque » [3], la législation stipule que sont exemptés les OGM obtenus par « 1) la mutagénèse ; 2) la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles » à condition qu’ils n’aient pas été obtenus par utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM [4].
Dans un premier temps, les Pays-bas souhaitent préciser que les techniques de « mutagénèse » donnant des OGM exemptés de la législation sont les « méthodes conventionnelles de mutagénèse aléatoire utilisant les radiations ionisantes ou des agents chimiques mutagènes ». Mais les Pays-Bas vont plus loin et proposent surtout d’ajouter deux autres exemptions : « 1) si aucun autre matériel génétique n’est introduit dans la plante obtenue, autre que du matériel génétique de la même espèce de plante (technique dite de cisgénèse ou intragénèse) ou d’une espèce avec laquelle du matériel génétique peut être échangé par méthode traditionnelle d’amélioration et 2) si les molécules d’acides nucléiques recombinantes utilisées pour ou pendant la modification ne sont plus présentes dans la plante obtenue destinée à être introduite délibérément dans l’environnement ».
L’objectif ici est clairement formulé : exclure du champ d’application de la directive 2001/18 les plantes génétiquement modifiées (PGM) obtenues par la plupart des nouvelles techniques de modification génétique, y compris la cisgenèse (chère à plusieurs acteurs industriels néerlandais). L’exemption sera d’autant plus large qu’une ruse sémantique s’est glissée dans cette proposition. Les Pays-Bas veulent passer d’une exemption actuelle – les PGM pour lesquelles la technique d’obtention « n’implique pas l’utilisation de » molécules d’ADN recombinant – à une exemption pour les PGM qui « ne contiennent plus de molécules d’acide nucléique recombinant ». Conséquence de ce changement sémantique : toutes les techniques utilisant des acides nucléiques recombinants qui devraient tomber sous le champ d’application de la législation ne le seraient plus pour peu que les entreprises convainquent les experts des agences d’évaluation que leurs produits ne « contiennent plus » de telles molécules.
Ce dernier point est important en ce qu’il concentrerait l’attention du gestionnaire du risque sur une caractéristique du produit final. Une volte-face importante par rapport à la législation existante qui définit et gère les OGM en fonction également de la technique utilisée pour les obtenir ! Sans compter qu’avec leur proposition, les Pays-Bas souhaitent s’affranchir de la notion d’« historique d’utilisation sans risque ». Ce faisant, ils amenderaient une annexe en complète contradiction avec l’intention du législateur, intention exprimée dans les considérants de cette directive.
Et comment on vérifie ?
Concrètement, quelle méthode les Pays-Bas envisagent-ils pour vérifier que des produits commercialisés ne contiennent effectivement plus de telles molécules ? Comment le législateur contrôlera-t-il ces produits mis sur le marché et s’assurera-t-il qu’ils n’auraient pas être soumis aux procédures OGM ? Ou au contraire, qu’ils n’auraient pas dû être exemptés ? Confiants, les Pays-Bas proposent que : « toute personne disséminant volontairement un OGM obtenu par ces techniques [exemptes du champ d’application de la loi] devra, à la demande de la Commission ou de l’autorité compétente d’un État membre, fournir sans délai injustifié une justification écrite qu’il a respecté les requis de l’annexe ». On rappellera ici que pour vérifier cela, le législateur devra obtenir dans la justification écrite une description détaillée de l’OGM exempté. Une description qui sera nécessairement similaire à une partie de la description requise aujourd’hui dans les dossiers de demandes d’autorisation d’OGM, et à laquelle les Pays-Bas souhaitent faire échapper ces produits…
Un vice démocratique ?
Un dernier point de la démarche des Pays-Bas pose question. Ils proposent de fait de donner les pleins pouvoirs à la Commission européenne pour « tous les cinq ans […] revoir l’annexe ». En clair, la Commission européenne aurait la liberté de décider unilatéralement, sans que la Parlement et/ou les États membres aient leur mot à dire, quels OGM sont soumis au champ d’application de la loi et lesquels ne le sont pas, qu’ils s’agisse de plantes comme le proposent les Pays-Bas aujourd’hui, ou d’animaux ou de micro-organismes comme pourrait le décider la Commission européenne demain.
Des réactions immédiates
Présentée aux États membres deux semaines avant la conférence organisée par la Commission européenne sur le sujet, cette proposition a déjà fait réagir. Le syndicat paysan européen ECVC (Coordination européenne Via Campesina) estime que cette proposition concerne des organismes « développés par l’industrie semencière afin de contourner le rejet massif par les consommateurs des « anciens OGM » alors même que les risques sanitaires et environnementaux, eux, sont identiques […] les royalties promises par ces nouveaux brevets sont considérables » [5]. Pour lui, « avec ces nouvelles techniques de manipulation génétique, l’industrie semencière entend bien confisquer toute la diversité cultivée existante ». Le syndicat rappelle que « les paysan-ne-s et les consommateurs et consommatrices européen-ne-s ont déjà fait savoir qu’ils ne veulent pas d’OGM dans les champs ni dans leurs assiettes » et appelle donc « tous les gouvernements de l’Union européenne à s’opposer fermement » à cette proposition.
Des industriels se sont également exprimées via la Fédération Européenne des Semenciers (ESF). Selon Petra Jorasch de l’ESF, « la proposition néerlandaise vise une révision de la directive 2001/18. Nous n’en voyons pas l’intérêt » [6] considérant que « les plantes obtenues par nouvelles techniques et non distinguables de plantes obtenues par amélioration conventionnelle peuvent déjà être exemptées sur les bases de la directive actuelle, sans changement ». Pour l’ESF, « la décision [à venir de la Cour de Justice de l’Union Européenne] doit d’abord être prise en compte avant de demander une initiative législative ».
Alors que la Commission européenne ouvre un débat le 28 septembre, il reste maintenant à savoir quelles suites elle et les États membres souhaitent donner à cette proposition.
[3] Considérant 17 de la directive européenne 2001/18
[4] Annexe 1B de la directive européenne 2001/18
[5] Coordination européenne de la Via Campesina, Communiqué de presse du 11 septembre 2017.