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OGM : la Chine fait un pas vers les États-Unis
Le 13 janvier 2023, la Chine a autorisé l’importation de huit OGM. Pour certains d’entre eux, la demande d’autorisation était en cours d’examen depuis plus de dix ans. Ces autorisations d’importation semblent, au premier abord, être motivées par la conclusion d’un accord commercial bilatéral avec les États-Unis, en 2020. Mais ce n’est pas la seule explication.
Dans l’histoire des rapports complexes que la Chine entretient vis-à-vis des OGM, l’annonce du ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales chinois du 13 janvier dernier pouvait paraître surprenante. Le ministère y faisait en effet part de décisions d’autorisation d’OGM en cascade.
Plus précisément, la Chine a autorisé l’importation de huit OGM (voir tableau ci-dessous) et renouvelé l’autorisation d’importation de deux autres. Elle a également renouvelé les autorisations de culture et de production de 32 OGM et octroyé six nouvelles autorisations de culture et de production (comprenant notamment des maïs et soja transgéniques).
La décision des autorités chinoises est particulièrement notable s’agissant du volet importations. La Chine autorise pour la première fois l’importation de canne à sucre et de luzerne génétiquement modifiées. Il est par ailleurs inhabituel que le pays octroie un nombre aussi conséquent de nouvelles autorisations d’importation d’OGM. Précisons que la Chine est un des plus importants marchés agricoles au monde. En 2019, selon le Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), elle est devenue le premier importateur mondial de produits agricoles, dépassant à la fois l’Union européenne et les États-Unis, avec des importations totalisant 133,1 milliards de dollars [1].
Apaiser les tensions commerciales…
Au premier abord, la décision des autorités chinoises semble trouver une explication dans l’accord commercial conclu en 2020 avec les États-Unis, au terme d’importantes tensions commerciales ne se limitant pas à la question des OGM [2]. En vertu de cet accord, appelé « Phase One Agreement », la Chine s’engage à réformer sa procédure d’autorisation des OGM, jugée trop lente et pas assez transparente et prévisible par les États-Unis [3]. La Chine s’engage aussi à lever les obstacles, tarifaires et non tarifaires, à une longue liste d’exportations étasuniennes, parmi lesquelles les biotechnologies agricoles.
L’administration étasunienne estimait encore, en 2022, que peu de progrès avaient été faits par la Chine sur le volet biotechnologies de l’accord commercial. Un rapport de février 2022 de la représentante au commerce des États-Unis fait ainsi état de « sérieuses inquiétudes quant aux efforts de mise en œuvre de la Chine […] notamment en ce qui concerne les engagements de la Chine en matière de biotechnologie agricole » [4]. C’est plus spécifiquement l’engagement de la Chine à réformer sa procédure d’autorisation des OGM qui est visé. Le rapport considère que cette procédure « crée une incertitude importante parmi les développeurs et les négociants, ralentissant la commercialisation des produits et créant des impacts commerciaux négatifs, en particulier pour les exportations américaines de maïs, de soja et de luzerne ». Un constat partagé par le Ministère de l’Agriculture des États-Unis en novembre 2022 [5].
La décision de la Chine d’autoriser l’importation de huit OGM semble être une réponse destinée à rassurer les États-Unis. Pour trois OGM concernés, la demande d’autorisation avait d’ailleurs été introduite, il y a plus de dix ans, par des entreprises étasuniennes (les luzernes J101 et J163 de Bayer et le colza DP73496 de Corteva) et il y était fait allusion dans le rapport du représentant au commerce de février 2022.
Le lobby des biotechnologies Biotechnology Innovation Organization (BIO), dont sont membres quatre entreprises concernées par les autorisations d’importation d’OGM, « se félicite de ces autorisations et considère qu’il s’agit d’une étape positive vers la résolution des difficultés que rencontrent depuis longtemps les développeurs de biotechnologies pour obtenir des autorisations d’importation en Chine » [6]. BIO va plus loin et « demande instamment au gouvernement américain de continuer à s’engager auprès de la Chine pour qu’elle respecte pleinement les engagements de l’accord “ Phase One Agreement ” […]. ».
… et geste de bonne volonté ?
Pour autant, la décision des autorités chinoises ne signifie pas que la Chine ouvre grand ses portes aux OGM étrangers. En effet, les OGM autorisés à l’importation ne le sont qu’à des fins de transformation, et non pas de culture. Les autorisations de culture et de production d’OGM sont, quant à elles, délivrées exclusivement à des entités chinoises, publiques ou privées. Ainsi, la décision d’autoriser l’importation d’OGM étrangers pourrait se lire comme un geste de bonne volonté permettant à la Chine de justifier que davantage d’OGM soient autorisés à la culture sur son territoire, mais uniquement par des entités nationales. La Chine continue d’ailleurs d’interdire les investissements directs étrangers dans l’agriculture pour les cultures génétiquement modifiées [7]. En décembre 2022, le Président Xi Jinping a encore affirmé que « (d)es efforts seront déployés pour […] conserver fermement les principales variétés entre nos mains » [8]. Il aussi insisté sur la nécessité de s’appuyer sur la science et la technologie pour accélérer la construction d’une agriculture forte. Car, selon Xi Jinping, « un pays doit d’abord renforcer l’agriculture pour se rendre fort, et ce n’est que lorsque l’agriculture est forte que le pays peut être fort. Sans une agriculture forte, il n’y aura pas de grand pays moderne » [9].
L’ensemble de ces mesures s’explique par le fait que la Chine cherche à être autosuffisante sur le plan des technologies dites émergentes, dont les biotechnologies, y compris agricoles [10]. Mais, au-delà de la recherche de l’autosuffisance en matière technologique, c’est l’autosuffisance en matière alimentaire que la Chine cherche à atteindre. Et, depuis 2014, elle semble de plus en plus compter sur les OGM pour y parvenir.
Des OGM pour la sécurité alimentaire ?
À partir du début des années 2000, la Chine et son secteur agricole sont devenus de plus en plus dépendants des importations en raison de l’évolution des habitudes de consommation [11]. Récemment, des facteurs externes ont mis en lumière les risques d’un tel déséquilibre : l’épidémie de coronavirus a perturbé les chaînes d’approvisionnement alimentaire et le différend commercial avec les États-Unis a exposé sa dépendance en importations de soja.
En 2013, le gouvernement chinois reconnaît que le pays devrait compléter son approvisionnement intérieur par des « importations modérées » afin de répondre aux besoins de sécurité alimentaire, considérée comme une composante essentielle de la sécurité nationale dans un pays d’un peu plus de 1,4 milliard d’habitants. Cette affirmation marque aussi le point de départ d’investissements publics accrus dans la recherche pour développer des OGM. Quelques faits illustrent que les OGM font de plus en plus partie intégrante de la stratégie visant à assurer la sécurité alimentaire :
- en 2014, le Président Xi Jinping déclare que la Chine doit « faire preuve d’audace en matière de recherche et d’innovation, [et] dominer les techniques de pointe en matière d’OGM » [12] ;
- deux ans plus tard, l’entreprise d’État ChemChina achète l’entreprise suisse Syngenta [13] ;
- en 2020, la Chine autorise la culture commerciale de trois OGM transgéniques (deux maïs et un soja) [14] ;
- la même année, en pleine épidémie de coronavirus, le gouvernement fixe, parmi les priorités de la politique économique pour 2021, celui de « s’efforcer de réaliser des percées technologiques dans le domaine des semences » [15] ;
- enfin, le 13 janvier 2023, la Chine autorise la culture de deux maïs et d’un soja transgéniques.
Méfiance de l’opinion publique
Malgré la stratégie prévue par le gouvernement, le développement des OGM se heurte toutefois à l’opposition du public. Les multiples scandales sanitaires (lait en poudre contenant de la mélamine, stocks de viande avariée issue de contrebande, dont certains vieux de 40 ans, entre autres) ont rendu une grande partie de la population méfiante à l’égard de la capacité du gouvernement à assurer la sécurité des aliments [16]. Dans un tel contexte, le gouvernement chinois peine à convaincre les consommateurs que les OGM sont sans danger [17].
Il faut enfin souligner que, même si des autorisations de culture ont été délivrées à plusieurs plantes génétiquement modifiées au cours de ces dernières années (soja, maïs, tomate, peuplier…), les seuls OGM effectivement cultivés en Chine sont le coton et la papaye, sur une surface de 3,2 millions d’hectares selon les derniers chiffres fournis par l’ISAAA [18].
Nom de l’OGM | Titulaire de l’autorisation | Période de validité |
---|---|---|
Coton GHB811, tolérant aux herbicides | BASF | Janvier 2028 |
Coton MON88701, tolérant aux herbicides | Bayer CropScience | |
Coton DAS-81910-7 tolérant aux herbicides | Corteva | |
Colza DP73496 tolérant aux herbicides | Corteva (demande initialement introduite par DuPont Pioneer) |
|
Canne à sucre (gène de production d’insecticide) H7-1 CTC175-A | Brazilian Sugar Cane Technology Center | |
Canne à sucre (gène de production d’insecticide) CTC91087-6 | Brazilian Sugar Cane Technology Center | |
Luzerne tolérante aux herbicides J101 | Bayer CropScience (demande initialement introduite par Monsanto) |
|
Luzerne tolérante aux herbicides J163 | Bayer CropScience (demande initialement introduite par Monsanto) |
[1] USDA, « China : Evolving Demand in the World’s Largest Agricultural Import Market », 29 septembre 2020.
[2] , « La Chine ne veut pas se faire envahir par les OGM », Inf’OGM, 22 janvier 2014.
, « États-Unis – Des agrocarburants OGM dans l’alimentation humaine », Inf’OGM, 2 juin 2017.
[3] United States Trade Representative, « Economic and trade agreement between the government of the United States of America and the government of the People’s Republic of China ».
[4] United States Trade Representative, « 2021 Report to Congress on China’s WTO Compliance », février 2022 (consulté le 23 janvier 2023).
[5] United States Department of Agriculture, « Agricultural Biotechnology Annual – China », 30 novembre 2022 (consulté le 16 janvier 2023).
[6] Biotechnology Innovation Organization, « Good Day BIO : Bivalent boosters and biotech crops », 26 janvier 2023 (consulté le 26 janvier 2023).
[7] The State Council Information Office of the People’s Republic of China, « Food Security in China », octobre 2019 (consulté le 25 janvier 2023).
Les entreprises étrangères ne peuvent pas mener des recherches, ni produire des semences, ni cultiver des OGM en Chine.
[8] « Xi Jinping delivers speech at central rural work conference », China.org.cn, 26 décembre 2022 (consulté le 18 janvier 2022).
[9] Ibid.
[10] Jiaxing Li, « China embarks on state-led search for ‘disruptive’ innovations as it seeks to take the lead on tech », South China Morning Post, 7 juillet 2022 (consulté le 18 janvier 2023).
[11] Center for strategic & international studies, « How is China Feeding its Population of 1.4 Billion ? », 25 janvier 2017 (consulté le 30 janvier 2023).
[12] Dexter Roberts et Alan Bjerga, « China Does an About-Face on GMOs », Bloomberg, 21 mai 2015 (consulté le 16 janvier 2023).
[13] , « Syngenta – ChemChina : 38 milliards d’euros », Inf’OGM, 12 septembre 2016.
[14] , « Chine – Trois OGM transgéniques proches de la culture commerciale », Inf’OGM, 25 mars 2020.
[15] Orange Wang, « China food security : Beijing calls for biotech breakthrough to improve seed industry », South China Morning Post, 23 décembre 2020 (consulté le 30 janvier 2023).
[16] Center for strategic & international studies, ibid.
[17] Eugene K. Chow, « China’s GMO paradox », The Diplomat, 21 mai 2019 (consulté le 30 janvier 2023).