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Des OGM pour contourner les résistances des insectes
Le vivant mute. Les insectes aussi. Ils s’adaptent en permanence. Ainsi, les insecticides, telles les néonicotinoïdes, deviennent de moins en moins efficaces. Face à ce phénomène, deux solutions : changer nos pratiques agricoles ou modifier génétiquement les insectes pour les rendre à nouveau sensibles à ces molécules. Des chercheurs chinois s’intéressent sérieusement à cette deuxième option.
Les néonicotinoïdes, une famille assez importante de molécules insecticides, font débat en France. Leur action néfaste sur les insectes pollinisateurs a été démontrée par plusieurs publications scientifiques. L’Union européenne en a donc restreint l’usage. La France a accordé des dérogations aux cultivateurs de betteraves. Par ailleurs, les insectes ciblés par ces insecticides sont devenus de plus en plus résistants, comme en témoigne le travail de Chris Bass (Department of Biological Chemistry, Rothamsted Research) [1]. Dans un article publié en 2015, il écrivait : « bien que de nombreuses espèces d’insectes soient encore contrôlées avec succès par les néonicotinoïdes, leur popularité a imposé une pression de sélection croissante pour la résistance, et dans plusieurs espèces, la résistance a maintenant atteint des niveaux qui compromettent l’efficacité de ces insecticides ». Ce constat avait déjà été fait, en 2005, par un chercheur de Bayer, Ralf Nauen, qui estimait alors que « une résistance plus forte a été confirmée chez certaines populations de l’aleurode Bemisia tabaci, et du doryphore de la pomme de terre, Leptinotarsa decemlineata » [2] .
Au lieu de généraliser l’interdiction, d’en finir avec les dérogations, certains chercheurs proposent une solution technique : modifier les insectes pour qu’ils redeviennent « sensibles » aux pulvérisations de néonicotinoïdes. Ainsi, plusieurs universitaires chinois ont modifié génétiquement, en utilisant l’outil moléculaire Crispr/Cas9, une cicadelle, Nilaparvata lugens (famille des hémiptères) [3]. Cet insecte est un fléau pour la riziculture du fait de sa résistance à plusieurs insecticides. La surexpression du gène CYP6ER1 est un mécanisme prévalent de résistance aux néonicotinoïdes chez cet insecte. Ils ont donc désactivé (knock out) cette séquence génétique et ont constaté une sensibilité 100 fois plus élevée à l’imidaclopride et au thiaclopride chez cet insecte muté génétiquement que chez son homologue naturel, et de 10 à 30 fois plus élevée pour quatre autres molécules (acétamipride, nitenpyram, clothianidine et dinotefuran).
Cette recherche, certes, nous renseigne sur les mécanismes à l’œuvre dans le cas de résistance. Mais l’utilisation de cette découverte à des fins agricoles et commerciales est une simple fuite en avant technologique. Le vivant continuera de muter, de s’adapter.
[1] Bass, C. et al., « The global status of insect resistance to neonicotinoid insecticides », Pesticide Biochemistry and Physiology, vol. 121, pp. 78-87, 2015.
[2] Nauen, R. et al., « Resistance of insect pests to neonicotinoid insecticides : current status and future prospects », Arch Insect Biochem Physiol, 58(4):200-15, 2005.
[3] Huihui Zhang et al., « Importance of CYP6ER1 Was Different among Neonicotinoids in Their Susceptibility in Nilaparvata lugens », Journal of Agricultural and Food Chemistry, 71(9):4163-4171, 2023.