L’Office européen des brevets en circuit fermé
Si l’utilité des brevets est souvent remise en cause, sa gestion en Europe par l’Office européen des brevets est source d’interminables conflits. Une expertise de l’ONG allemande No patents on seeds ! nous en donne les raisons.
L’objectif du système des brevets est de favoriser l’innovation technique en permettant aux inventeurs de récupérer le coût de leurs travaux de recherche et développement grâce à des droits de propriété intellectuelle. Les produits ou procédés peuvent être brevetables s’ils répondent à trois critères : la nouveauté, l’inventivité et l’applicabilité industrielle.
Initialement conçu pour des produits et procédés (chimiques, mécaniques…), le système des brevets a été étendu au cours des dernières années à la vie : humaine, animale et végétale. Depuis lors, les brevets sur les plantes et les animaux sont au centre d’un large débat public et d’une controverse juridique. L’idée de traiter les plantes et les animaux comme des inventions de l’industrie va à l’encontre des principes éthiques et des valeurs fondamentales des sociétés européennes. Le droit européen des brevets interdit explicitement les brevets sur les variétés végétales et les races animales. Néanmoins, l’Office européen des brevets (OEB) continue de délivrer des milliers de brevets qui peuvent englober plantes et animaux [1].
L’OEB, une institution non démocratique
L’Office européen des brevets (OEB) fait partie de l’Organisation européenne des brevets, qui a été créée en tant qu’organisation intergouvernementale sur la base de la Convention sur le brevet européen (CBE), signée en 1973. L’Organisation européenne des brevets compte actuellement 38 États contractants, comprenant tous les États membres de l’Union européenne ainsi que l’Albanie, l’ancienne République yougoslave de Macédoine, l’Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, la Serbie, la Suisse et la Turquie.
L’OEB ne fait pas partie des organismes de l’Union européenne (UE), ce qui signifie que les décisions de l’OEB ne relèvent pas de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’OEB dispose de trois niveaux de décision en interne concernant l’octroi de brevets :
• les divisions d’examen / d’opposition sont responsables de la délivrance des brevets et des oppositions en premier lieu ;
• la chambre de recours technique est responsable des cas non résolus en première instance ;
• la Grande Chambre de recours est le plus haut organe de décision juridique de l’OEB.
Les chambres de recours sont censées être, au moins partiellement, indépendantes de l’OEB dans leurs décisions. Cependant, tous les membres des chambres et divisions sont employés ou nommés par l’Organisation européenne des brevets, y compris certains membres externes qui font partie de la Grande Chambre de recours. Cette dernière ne peut pas s’auto-saisir, ni en qualité d’opposante ni en tant que requérante. La décision de savoir si une affaire peut être renvoyée et quelles questions doivent être transmises à la Grande Chambre de recours est prise par les institutions de l’OEB telles que les Chambres de recours technique et le Président. La structure de l’OEB n’est pas conçue pour prévoir un véritable contrôle juridique indépendant et n’est pas contrôlée par les tribunaux internationaux.
L’OEB : juge et partie
L’OEB tire son budget des redevances des titulaires de brevets. Par conséquent, l’Office des brevets a tout intérêt à recevoir des demandes et à octroyer des brevets. Les demandeurs de brevets – et non la société en général – sont les vrais clients de l’OEB. L’industrie et l’OEB sont tous deux du même côté, sans contrôle judiciaire indépendant.
Le Conseil d’administration agit dans une certaine mesure comme organe législatif de l’OEB, ses statuts accordant un certain contrôle politique. Le Conseil est composé des membres représentant les États contractants de l’OEB, le président de l’OEB, et d’autres membres du personnel de l’OEB. L’OEB admet quelques observateurs d’organisations intergouvernementales : l’Union européenne (UE), l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) et l’Institut nordique des brevets (NPI). En outre, il y a deux organisations non gouvernementales qui participent aux réunions du Conseil d’administration en tant qu’observateurs également. Il s’agit de BusinessEurope et de l’Institut des mandataires agréés de l’Office européen des brevets (Epi). BusinessEurope est une organisation regroupant les fédérations nationales d’entre-
prises et de l’industrie dans 35 pays. L’Institut des mandataires agréés de l’Office européen des brevets représente les conseils en brevets européens. Il existe des milliers de conseils en brevets européens enregistrés en Allemagne ainsi qu’au Royaume-Uni (des recherches antérieures en 2014 ont montré environ 4000 conseils en brevets en Allemagne et 2000 au Royaume-Uni). Les conseils en brevets, les cabinets d’avocats, les experts juridiques et les consultants gagnent tous de l’argent avec les demandes de brevet, la délivrance et l’opposition aux brevets et autres services juridiques. Cela peut être considéré comme une « in
dustrie des brevets » très rentable en soi.
Alors que les parties prenantes participant aux réunions du Conseil d’administration telles que BusinessEurope ou Epi ont des intérêts dans l’obtention des brevets, les autres organisations de la société civile ne sont pas du tout représentées. Dans le même temps, les délégués des États contractants font pour la plupart partie du « système des brevets », de sorte qu’on ne peut guère s’attendre à un contrôle politique efficace et à une représentation des intérêts du grand public.
Brevet unitaire : pour rester entre soi ?
À l’avenir, l’OEB accordera des brevets à « effet unitaire » dans le cadre du nouveau système de « brevet unitaire » destiné à assurer une protection supranatinale dans les États membres de l’UE (voir encadré ci-dessous). Pour la première fois, il y aura une « juridiction unifiée des brevets ». Cependant, ce tribunal des brevets ne résoudra probablement pas les difficultés actuelles. Pendant de nombreuses années, on s’attendait à ce que l’Union européenne élabore un système de brevet européen qui permettrait un contrôle juridique indépendant des brevets européens par le biais de la Cour de justice de l’Union européenne. Il semble cependant que la nouvelle juridiction unifiée des brevets ne sera pas placée sous le contrôle de la CJUE comme cela avait été initialement prévu. Selon certains compte rendus de réunions internes, c’est le gouvernement britannique avec BusinessEurope qui a empêché la CJUE de devenir la juridiction de dernière instance lors d’une réunion de dernière minute en octobre 2012. En conséquence, l’influence de « l’industrie des brevets » sur la compétence du nouveau tribunal est susceptible de devenir très similaire à l’influence qu’elle a sur les institutions de l’OEB. De plus, aucune réglementation spécifique n’est prévue dans le cadre de la juridiction unifiée qui permettrait aux organisations à but non lucratif d’agir. Ainsi, les coûts potentiellement exorbitants pour porter une affaire devant le tribunal des brevets rendront très peu probable la prise en compte d’intérêts autres que ceux commerciaux.
Le système du brevet unitaire posera également des problèmes à plusieurs États membres : par exemple, en ce qui concerne les brevets sur les semences, dans de nombreux pays, comme l’Autriche, les brevets délivrés par l’OEB n’ont pas été validés. Par conséquent, les brevets n’ont eu aucun effet sur les obtenteurs exerçant dans ces pays. Mais dans le cadre du système de brevet unitaire, tous les brevets délivrés par l’OEB seront automatiquement validés au niveau national. Parallèlement, les coûts d’invalidation de ces brevets devant la juridiction unifiée des brevets seront très élevés. Le système de brevet unitaire deviendrait alors un énorme fond de commerce pour les avocats et certaines entreprises. Combiné au risque de brevetage excessif, le brevet unitaire européen, pour l’instant bloqué (voir encadré ci-dessous) pourrait nuire à l’innovation et au développement futur de nombreux secteurs techniques dans de nombreux États membres.
Un brevet unitaire européen bloqué
Le brevet unitaire européen (BUE) a été promu au sein de l’Union européenne afin de proposer une protection identique dans tous les États membres grâce à une seule demande. Proposé et signé par 25 États en 2013, son entrée en vigueur n’a pas encore eu lieu. En cause, un recours pendant devant la Cour fédérale constitutionnelle allemande qui empêche sa ratification, nécessaire pour l’entrée en vigueur de l’accord. De plus, avec l’effectivité récente du Brexit, le BUE ne semble pas être au bout de ses peines. Malgré l’impatience de l’OEB et la France dans les starting block…
[1] voir aussi , « Protection des inventions biotechnologiques ou biopiraterie débridée ? », Inf’OGM, 26 mars 2020