Mil : une plante d’hier mais surtout de demain
Ode au mil, une plante encore méconnue sous nos latitudes, un nouveau film va bientôt sortir en salle [1] : Mils, céréales du futur [2]. Voilà, en synthèse, pourquoi nous l’avons aimé.
Second opus [3] d’un ardent plaidoyer pour ces plantes robustes, adaptées à des climats plutôt secs, ce film décrit la famille des mils, petit mil (millet) et sorghos, d’où ce pluriel dans son titre. Pour le réaliser, les auteurs ont sillonné trois continents (Afrique, Asie et Europe) et interrogé autant des paysans que des chercheurs ou des agents de « développement » (les guillemets soulignent ici l’ambiguïté de ce terme, très large, englobant depuis un développement endogène jusqu’à un développement des multinationales).
Le film s’ouvre sur un constat : depuis quelques décennies, le mil autochtone en Afrique a été déplacé au profit du blé importé, surtout dans les villes, notamment car la préparation du mil exige du temps. Mais il n’est jamais sain qu’un peuple dépende de nourriture importée pour sa survie.
Et les nombreux atouts du mil, dont sa richesse en différents nutriments, sa facilité de culture et sa résistance à la sécheresse, ont remis cette plante sur le devant de la scène. Des solutions de petite « industrialisation » du mil sont peu à peu mises en place, qui permettent à cette plante de trouver une seconde vie, notamment grâce à des femmes entrepreneuses.
Recherche institutionnelle : vers des hybrides de mils et de sorghos
Par ailleurs, les carences alimentaires constatées en Afrique (la fameuse « faim cachée » [4]), incite les chercheurs à trouver des plantes plus riches en micronutriments, notamment Zinc et Fer, et certaines variétés de mil le sont naturellement, ou après croisements. C’est ce qu’explique dans ce film Claire Mouquet, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), basée au Burkina Faso, qui travaille avec des collègues burkinabés. Mais aussi les chercheurs de l’Icrisat, en Inde. Ces derniers gèrent la plus grande base de ressources génétiques de mils et de sorghos [5] et le plus grand centre expérimental sur ces plantes, installé sur une surface de 1 000 hectares !
Cet institut international de recherches sur les plantes de climat semi-aride a son siège en Inde, où sont allés tourner les auteurs, mais aussi des antennes dans différents pays africains [6], ce qui lui permet à la fois de récupérer des ressources génétiques et de les diffuser.
Comme beaucoup de centres de recherche, l’Icrisat dispose de deux types de banques de ressources génétiques : l’une pour la conservation à court terme, à 4°C, pour les échanges d’échantillons (plus de 1,4 millions ont été fournis aux chercheurs) ; et l’autre, à -20°C, pour des longues conservations, de l’ordre de 50 à 100 ans, veut croire le chercheur responsable de ce centre [7]. À la question de la propriété de ces échantillons, le chercheur de l’Icrisat se veut confiant : ils viennent des paysans et grâce à l’accord type de transfert de matériel (ATTM) imposé par le Traité international sur les semences [8] [9], une partie des bénéfices obtenus par les semenciers est censée retourner aux communautés pourvoyeuses de ces ressources. Mais est-ce bien le cas ? Le chercheur reconnaît qu’il faudrait un suivi plus rigoureux pour s’en assurer… d’autant plus que l’ensemble des données numérisées est mis en libre service sur Internet.
Le Centre de recherche est également doté d’une plateforme dernier cri de phénotypage par scanner (observation des caractères extérieurs de la plante) : 5 000 plantes sont scannées toutes les deux heures, tous les jours, ce qui génère 250 000 données par jour à analyser. Les chercheurs peuvent ainsi détecter les plantes intéressantes parmi leurs collections, pour éventuellement ensuite les croiser et créer des hybrides aux meilleurs rendements « pour remplacer les variétés populations » : point de questionnement semble-t-il de la part de ces chercheurs sur la propriété finale de la variété ou la possibilité pour le paysan de reproduire lui-même ses semences…
Quand on sait que l’Icrisat est financée par les États-Unis, l’Inde, mais aussi par Monsanto et Bill Gates, on comprend mieux la direction pro-multinationales semencières prise par ce Centre de recherches…
Pour une filière paysanne
Les constants allers-retours dans ce film entre les trois continents soulignent bien l’aire géographique de culture de ces plantes. Notamment en France, où un agriculteur près de Toulouse relate le développement récent d’une filière sorgho pour l’alimentation humaine (sans gluten)… Avec en plus, l’avantage de consommer beaucoup moins d’eau que le maïs. La plante est aussi utilisée pour sa grande production de biomasse, dans les méthaniseurs, entre autres en Allemagne (où un agriculteur témoigne sur la facilité de culture du sorgho, insistant lui aussi sur sa moindre exigence en eau) ou dans les pays d’Europe de l’Est.
Populations très diversifiées de mils, millets ou sorghos, reproduction simple des semences de ces populations, richesse en micronutriments, adaptation à la culture locale, itinéraires culturaux connus des paysans… : les mils ont en effet tout d’une plante du futur. Le film se termine par un plaidoyer pour une recherche publique véritablement au service des paysans, et la volonté de créer des réseaux paysans pour travailler uni, entre les trois continents, pour développer ces filières de mils.
[1] Mils, céréales du futur, film de Idriss Diabaté, scénario Robert Ali Brac de la Perrière, 2020, BEDE/DJA-COMM/AAPSI, 1h16’, idmassai@gmail.com
[2] projection publique en Première à l’EHESS, 105 Boulevard Raspail, Paris, le 6 mars 2020.
[3] Un premier film des mêmes auteurs est sorti en 2017, Éloge des mils – L’héritage africain, qui montrait la grande diversité des utilisations et l’importance de ces plantes pour la souveraineté alimentaire des pays.
[4] , « Biofortification : vers la fin des carences alimentaires ? », Inf’OGM, 31 juillet 2018
[5] 40 000 lignées de sorgho, 23 000 de mil et 11 500 de petits mils.
[6] Kenya, Malawi, Zimbabwe, Mozambique, Ethiopie, Mali, Niger, Nigeria.
[7] Pour une description d’un centre de conservation et l’accès aux échantillons, voir notamment : , « Biodiversité cultivée : des champs aux frigos (et vice-versa) », Inf’OGM, 26 septembre 2018 et , « Obtenir d’un clic une variété tropicale », Inf’OGM, 11 avril 2018
[8] , « Le Tirpaa, traité international des semences, en danger », Inf’OGM, 27 novembre 2019
[9] , « Traité international sur les semences : nouvel affrontement pour la défense des droits des paysans », Inf’OGM, 8 novembre 2019