L’inventaire (transgénique) à la Prévert
Au-delà des agrocarburants, les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont utilisés pour de nombreux autres usages non alimentaires : textile, encres végétales, bioplastiques, feux d’artifices… et armes biologiques.
Si des OGM sont utilisés à des fins non alimentaires, ce n’est pas pour des raisons liées à la modification génétique, mais parce que le soja, le maïs, le colza et le coton, utilisés pour ces usages, sont des cultures où dominent les OGM.
Textile – Le coton est omniprésent dans nos vies. Tous nos habits et textiles, s’ils ne sont pas issus de coton labellisé bio, sont issus majoritairement de coton transgénique (80 % du coton mondial est OGM). On retrouve aussi ce coton dans le domaine médical et hygiénique. En 2001, le Comité scientifique directeur (CSD), qui conseille la Commission européenne, a rendu un avis qui établit que les produits issus de coton GM ne semblent pas présenter de risques accrus, par rapport à ceux en coton non GM. Il estime cependant nécessaire de procéder à des évaluations de risques réalisées « au cas par cas en y incluant notamment (…) [les] effets sur le métabolisme et la structure des fibres, l’analyse du contenu protéique des fibres brutes ou transformées, la preuve de l’équivalence substantielle… ». Évaluation qui à ce jour, à notre connaissance, n’a pas été faite…
Les billets libellés en euros sont fabriqués à partir de coton génétiquement modifié. La Banque centrale européenne se fournit en coton aux États-Unis où aucune ségrégation n’est faite entre coton transgénique et coton conventionnel. Ce produit ne requiert pas d’étiquetage particulier.
Des greens au Roundup – L’entreprise étasunienne Scott a mené des essais en champs de gazon (Agrostis stolonifera) génétiquement modifié pour tolérer des pulvérisations de Roundup. Ce gazon est destiné principalement aux golfs et autres terrains de sport. Or, en 2006, un des services du ministère de l’Environnement (EPA) a mis en évidence que ce gazon transgénique s’était “échappé” et répandu jusqu’à 3,8 km du site de culture expérimentale avant même qu’il soit commercialisé. L’entreprise a été condamnée en 2007 à payer une amende de 340 000 euros par le ministère de l’Agriculture. Une étude menée par l’EPA, en 2004, estimait que le pollen du gazon transgénique peut se retrouver jusqu’à 21 km de son lieu d’origine [1].
Encre végétale – Les encres végétales sont présentées comme une alternative aux encres minérales. Pourtant peu de consommateurs savent qu’elles sont en grande majorité dérivés du soja… et donc de soja transgénique (75 % du soja mondial est GM). Inf’OGM a écrit à de nombreux producteurs d’encre végétale en France pour savoir s’il existait une filière « sans OGM ». Sans réponse à ce jour.
Bioplastique – Le plastique de maïs est censé remplacé avantageusement le plastique issu de la pétrochimie. Or, étant donné que le maïs est à 30 % transgénique, ce plastique végétal aura les mêmes conséquences agro-écologiques et socio-économiques que les agrocarburants que nous avons déjà évoqués…
Des plantes pour déminer ? – En 2009, l’entreprise Aresa annonçait avoir testé, grandeur nature, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, au Danemark, des Arabidopsis thaliana, crucifères souvent modèles en laboratoire, génétiquement modifiées pour détecter les mines explosives. Mais l’entreprise reconnaît l’échec de ses tests : « aucune des plantes n’est devenue rouge quand elles grandissaient à proximité de sols pollués avec du TNT ». Le journal Science et Vie prévenait quand même : « Cette méthode de détection devra d’abord prouver qu’elle est fiable à 100 %. (…) Quel démineur irait marcher dans un champ de tabac s’il n’est pas sûr que tous les explosifs ont été marqués d’un feuillage aux belles couleurs d’automne ? ». L’entreprise propose aussi d’autres outils de biodétection comme la mise en évidence (voire la suppression) de métaux lourds. Ceci dit, dans le meilleur des cas, une fois stockés dans la plante, que faire des plantes ainsi enrichies ? L’entreprise semble ne plus exister, du moins sous ce nom.
Plus récemment, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont implanté des nanotubes de carbone dans des feuilles d’épinard. Il ne s’agit pas d’une modification génétique en tant que telle mais d’une insertion par infusion d’un matériel synthétique. Ces nanotubes devraient permettre de détecter, par fluorescence, différents composés chimiques – comme ceux présents dans les mines ou les explosifs – absorbés par les racines des épinards. Cette discipline, appelée nanobionique, produit-elle des OGM ? La question est ouverte. Ces épinards n’ont pas encore quitté le laboratoire et aucune demande officielle n’a été faite. Cette équipe avait déjà présenté d’autres utilisations des nanoparticules pour transformer des Arabidopsis thaliana en capteurs de molécules issues de la pollution industrielle. Les chercheurs ont créé une start-up pour commercialiser leur innovation [2].
Feu d’artifice – On peut utiliser dans un feu d’artifice des graines de colza. Broder Breckling, du Centre pour la Recherche environnementale et les Technologies durables à l’Université de Bremen, affirmait que l’utilisation des feux d’artifice ne détruit pas entièrement les graines de colza [3]. Environ 5 % de ces graines sortent intactes de la combustion et près de 10 millions de graines de colza viables se diffuseraient chaque année par ce biais en Allemagne. Suite à cette information, la Suisse a étudié en 2014 cette présence de colza dans les feux d’artifice. Résultat : « cela fait plusieurs années que le colza n’est plus utilisé dans les feux d’artifice. (…) Même si une minorité des graines de colza ne brûlait pas lors de l’explosion, celles-ci ne pourraient pas germer à cause de l’enrobage avec des substances chimiques. C’est pourquoi nous n’avons pas poursuivi cette approche dans le cadre du monitoring annuel ».
Des OGM pour la déco ? – Le marché des fleurs coupées ou des animaux d’apparat est un marché plutôt luxuriant. Et ce n’est donc pas surprenant que les entreprises de biotechnologies aient cherché, elles aussi, à vivre de ce marché. Actuellement, il existe plusieurs fleurs génétiquement modifiées. Principalement des œillets dont la modification consiste à en changer la couleur (bleu, violet, mauve…). Des variétés transgéniques ont été mises au point à la fin des années 90 et des variétés mutées avant 1940… L’entreprise Florigene / Suntory propose plusieurs variétés : Moondust, Moonshadow, Moonlite, etc. Ces plantes transgéniques sont autorisées dans l’Union européenne à l’importation et sont produites principalement en Équateur, en Colombie et, en moindre nombre, en Australie. Entre 1997 et 2000, ce serait plus de 200 millions d’oeillets transgéniques qui auraient été cultivés en Amérique latine et exportés en Europe, Canada, États-Unis, Japon, etc. En 2009, Florigene commercialisait une rose génétiquement modifiée pour être, elle aussi, bleu, la « Suntory blue rose Applause » [4].
Autre OGM destiné à égayer nos salons : les poissons fluorescents. Dotés d’un gène de méduse ou d’anémone de mer, ils ont été initialement réalisés en laboratoire dans un but de recherche. Plusieurs entreprises à Taïwan commercialisent dans le monde entier de tels poissons. GloFish est une marque commerciale qui propose plusieurs espèces de poissons (poisson-zèbre, barbeau, Tétra, etc.), disponibles dans plusieurs couleurs (orange, bleu, vert, rouge, violet, etc.). Ces poissons transgéniques sont interdits dans l’Union européenne mais ont été saisis par les douanes de plusieurs États membres [5].
Évoquons aussi ces cochons de chercheurs chinois, génétiquement modifiés pour rester nains, en utilisant une des nouvelles biotechnologies, les Talen… Le cochon nain est devenu un animal de compagnie fort prisé, mais ce dernier, sans mutation, finit par grandir… Ce cochon OGM était vendu, en 2015, 1400 euros.
Les OGM au service de l’environnement ? – En France, la start-up WatchFrog s’intéresse à la détection des polluants dans les eaux. Elle a mis au point des têtards transgéniques qui sont utilisés dans des tests « qui quantifient l’ensemble des micro-polluants : perturbateurs endocriniens, pesticides, plastifiants, résidus de médicaments et de cosmétiques… ». D’autres méthodes existent et un des responsables d’une station d’épuration qui a utilisé ce test nous affirme que l’outil est fonctionnel, les résultats cohérents avec ceux réalisés par d’autres moyens techniques, mais que « le coût risque d’être conséquent »… et que « ce test est en plus des tests chimiques obligatoires » [6].
Des moustiques contre le paludisme – Oxytec, une entreprise de la constellation Intrexon [7], a expérimenté des moustiques transgéniques stériles dans plusieurs pays et a obtenu une autorisation au Brésil. Des milliers de moustiques ont donc été lâchés dans la nature avec des résultats plus que limités. Un consortium, Target Malaria, espère, lui, créer un moustique génétiquement modifié par forçage génétique [8], espérant réussir là où les moustiques stériles ont échoué. La différence est que le moustique génétiquement forcé pourrait réduire la population des moustiques femelles sauvages sans avoir à réintroduire régulièrement dans l’environnement de nouveaux mâles stériles.
Armes biologiques – Les OGM, qu’ils soient transgéniques ou crispérisés, deviennent de plus en plus faciles à concevoir. Les nouvelles techniques de modification génétique inquiètent les autorités politiques. Ainsi, en France, le Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB), mis en place en 2015, a publié en 2017 un rapport dans lequel il estime que ces nouveaux outils sont une menace réelle pour la sécurité nationale.
Aux États-Unis, en décembre 2016, dans son rapport d’évaluation des menaces mondiales, le directeur du Renseignement national classait ces techniques dans la catégorie « Armes de destruction massive ». Six mois plus tard, en mai 2017, son successeur, Dan Coats, les classe parmi les technologies « émergentes et de rupture »… et en fait la promotion. Rien d’étonnant quand on apprend, grâce au travail de l’ONG ETC Group, que l’armée étasunienne a d’ores et déjà débloqué 100 millions de dollars pour soutenir des recherches liées au forçage génétique. Un de ces projets, mené par l’ONG Island Conservation, consiste à modifier génétiquement des rongeurs pour supprimer ces animaux devenus fortement invasifs dans certaines îles comme en Australie.
Le département étasunien de la Défense a aussi dédié 45 millions de dollars au projet « Insect Allies » pour tenter de créer des insectes capables de transporter des virus génétiquement modifiés vers certaines cultures afin de les modifier. Ces virus pourraient, par exemple, rendre les cultures résistantes à certains agents pathogènes. Mais ils pourraient tout aussi bien servir comme armes biologiques… Et qui pourrait contrôler la propagation de ces insectes porteurs de virus ?
Dans le domaine des micro-organismes, les usages de la transgenèse et autres modifications génétiques sont encore plus nombreux. En voici juste quelques exemples…
Médicaments – Depuis plusieurs dizaines d’années, la production de médicaments par des micro-organismes transgéniques en milieu confiné est devenue la norme. Il est devenu extrêmement difficile de trouver de l’insuline, vaccins, hormone de croissance non produites par des OGM. Depuis quelques années, des molécules thérapeutiques produites par des animaux transgéniques arrivent sur le marché. Aux États-Unis, l’entreprise Alexion Pharmaceuticals a été autorisée fin 2015 à commercialiser des poules génétiquement modifiées qui produisent, dans leurs œufs, une enzyme humaine, la sebelipase alfa. En 2006, l’Union européenne validait la première autorisation de commercialisation d’un médicament issu de lait de chèvres transgéniques, l’Atryn [9].
Salmonella typhimurium est une bactérie capable naturellement de survivre dans un milieu contaminé par de l’or. Elle a été modifiée génétiquement dans un laboratoire argentin afin d’émettre une lumière fluorescente en présence d’or. Or, les salmonelles sont réputées pour leur pouvoir pathogène. Les chercheurs espèrent donc maintenant transférer ces propriétés à Escherichia coli, afin de détecter des quantités d’or infinitésimales.
Parmi ces innovations certaines ont du mal à émerger alors que d’autres sont présentes dans notre quotidien à notre insu. Le droit européen (directive 2001/18) définit un « organisme » génétiquement modifié comme « toute entité biologique capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique ». Ainsi, les encres et autres textiles ont peu de chance de se reproduire donc ne sont pas des OGM au sens de la directive 2001/18. Et comme ces produits ne sont pas destinés à l’alimentation, ils échappent à l’étiquetage obligatoire (règlement 1829/2003).
[1] sur le même sujet, voir aussi : , « ETATS-UNIS – Pourquoi de nombreux OGM échappent à toute régulation aux Etats-Unis ? », Inf’OGM, 12 décembre 2011
[2] , « DANEMARK – Les PGM jouent mal aux démineurs », Inf’OGM, janvier 2009
[3] , « Allemagne – Les feux d’artifice participent à la diffusion des graines de colza : dont certaines GM ? », Inf’OGM, 18 janvier 2011
[4] En 1990, Suntory s’était associée à Calgene Pacific pour mener à bien ce projet. Rachetée en 2003 par Suntory, elle était rebaptisée Florigene.
[5] sur le même sujet, voir aussi : , « Commercialisation d’un poisson transgénique », Inf’OGM, 2 février 2004
[6] , « Des OGM pour détecter les pollutions aquatiques : mythe ou réalité ? », Inf’OGM, 2 juillet 2015
[7] , « Intrexon, l’entreprise qui modifie tout le vivant », Inf’OGM, 23 août 2017
[8] , « Les moustiques OGM relâchés au Burkina Faso vont franchir les frontières », Inf’OGM, 5 octobre 2018
[9] , « UE – Des médicaments issus de chèvres transgéniques refusés puis autorisés », Inf’OGM, 28 juillet 2006