Le transhumanisme dévoile le leurre du Progrès
Olivier Rey est un auteur qui a l’heur d’être à la fois scientifique (sans être scientiste) et littéraire (sans être jargonesque). C’est précieux dans des temps de complexité où on risque de s’en rapporter à un expert d’un camp ou d’un autre et donc de perdre son libre-arbitre, sa décence commune ou son sens commun. Surtout quand on aborde le transhumanisme…
Le livre d’Olivier Rey [1] traite du transhumanisme, mais surtout en fait du monde qui lui a donné naissance et du meilleur des mondes vers lequel cette idéologie nous entraîne.
Transhumanisme et OGM : quel parallèle ?
Cet auteur nous a déjà habitués à revenir notamment sur un vrai questionnement de la Science, du Progrès, du monde tel qu’il ne va pas (on recommande vivement la lecture de Une question de taille du même auteur). Le sous-titre d’un précédent essai est « du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine ».
Dans ce livre, l’auteur dénonce le caractère fallacieux des promesses du transhumanisme et fait un parallèle avec les OGM. Dans les deux cas, on a une triple promesse que 1) les techniques de manipulation du génome ouvrent une nouvelle ère, résoudront la faim dans le monde, etc. ; 2) on a fait des OGM depuis le néolithique ; et 3) de toute façon on n’arrête pas le Progrès, et donc nous sommes sommés de nous taire. Il montre ainsi (avec Max Weber) que le « progressisme » fait de nous des êtres plus insatisfaits alors que nous avons plus de solutions… soit à des questions qui ne se posaient pas, soit parce que nous avons de nouveaux désirs, attentes, revendications. Le progressisme induit donc une vision consumériste du vivant, mais aussi de nous par nous-mêmes. Ici on rejoint le discours de Anders sur la honte prométhéenne. Il illustre par plusieurs exemples en quoi des chercheurs envisagent de nous faire accepter ce que nous refusons, pour notre plus grand bien… jusqu’à nous faire accepter chimiquement de rester en couple ou pas puisque ce serait notre désir !
Une pensée globale pour démystifier le transhumanisme
Le transhumanisme ne nous détourne-t-il pas de la toute puissance de la Technique et des outils, déjà en place ou en cours de généralisation comme la « googelification » du monde ? L’auteur soutient qu’il ne faut pas seulement condamner le règne du Marché, ce qui nous condamnerait à l’incohérence, faute de comprendre ce qui, en nous, permet et demande ce règne et cette offre à la Faust ! C’est une de ses fonctions de leurre qui ne doit pas nous détourner de toutes les autres artificialisations du vivant à l’œuvre actuellement dans nos sociétés industrielles (puçage des animaux, numérisation des services sociaux…). Par exemple, sur la santé, Olivier Rey rappelle la dépendance induite par « la pharmacisation tous azimuts de l’existence qui induira une préoccupation permanente, parfaitement contradictoire avec la véritable santé qui est un état où, précisément, celle-ci n’est pas une préoccupation. […] la santé doit être mise sous surveillance constante, afin de devenir l’objet de dépenses toujours plus grandes ».
En deux larges parties abondamment argumentées, l’auteur expose la « situation « diminuée » de l’individu contemporain qui lui rend les perspective d’« augmentation » séduisantes », puis « le cadre de pensée hérité de la modernité, dont le transhumanisme est à sa manière un aboutissement ».
[1] Leurre et malheur du transhumanisme, Olivier Rey, Desclée de Brouwer, 2018, 196 p., 16,90 euros