Traduction : peut mieux faire
Les européens parlent de très nombreuses langues différentes, officielles ou non. Et l’Union européenne fait de réels efforts pour traduire les sites officiels et interpréter les discussions dans les différentes instances. Malheureusement, de nombreux rapports et comptes-rendus de réunions restent encore disponibles uniquement en anglais.
L’Union européenne (UE) est un ensemble linguistique très hétérogène. Il y a 24 langues officielles [1]. À ces 24 langues, on pourrait en ajouter deux, officielles dans un État membre mais non reconnues au niveau européen : le luxembourgeois et le turc (langue officielle à Chypre). Ainsi que les langues non officielles mais pourtant parlées par une communauté importante, comme le catalan, le basque, etc. [2]. Cependant, pour ces dernières, s’il existe une revendication pour leur reconnaissance, leurs locuteurs parlent aussi une des langues officielles.
De nombreux documents sont traduits dans l’ensemble des langues officielles, comme toutes les directives, les règlements, l’interface générale du site de l’UE (europa.eu), les arrêts de la Cour de Justice de l’UE… Il y a réellement un gros effort de la part des services de la Commission et du Parlement pour fournir des traductions précises et des interprétations en direct. Les Conseils de l’UE et les sessions au Parlement sont interprétés en direct dans l’ensemble des langues de l’UE. Il existe même une direction générale (DG) consacrée à la traduction [3]. Mais, et c’est là un paradoxe qui en dit long, les « actualités » de cette DG ne sont accessibles qu’en anglais. Et d’après le site de l’UE, en mai 2020, « la traduction et l’interprétation dans toutes les institutions de l’UE représentent moins de 1 % du budget annuel de l’UE, soit 2 euros par personne et par an » [4].
Malgré tous ces efforts, l’anglais reste quasi incontournable si on souhaite s’informer et participer à la vie politique de l’Union européenne. Concrètement, sur le dossier OGM, l’Autorité européenne de sécurité sanitaire (AESA) publie quasi exclusivement en anglais. Or, l’AESA est une instance très importante : c’est elle qui instruit les dossiers d’autorisation, et c’est sur son site qu’on peut trouver l’ensemble des dossiers d’autorisation d’OGM [5]. Le site de l’AESA a quelques pages traduites en français mais, après quelques clics, on se retrouve vite dans un univers globalement anglophone… Par exemple, les lignes directrices de l’AESA sur l’évaluation des OGM ne sont disponibles qu’en anglais [6]. L’AESA se targue aussi de sa transparence. De fait, elle organise régulièrement des consultations et certaines réunions sont ouvertes à tout le monde (sur inscription préalable). Malheureusement, ces deux espaces de dialogue et de concertation sont réservés aux anglophones [7] [8] [9].
De même, les pages de la Commission européenne consacrées à la sécurité alimentaire, aux OGM, à la « road map » (feuille de route) sur les OGM non transgéniques, ne sont pas systématiquement disponibles en français [10] [11]. Ainsi, la page qui présente « l’initiative [qui] vise à proposer un cadre juridique applicable aux plantes obtenues par mutagénèse ciblée et par cisgénèse » est traduite en français [12]… mais l’étude d’impact [13] qui précise cette initiative n’est disponible qu’en anglais…
Au Parlement, toutes les sessions des séances plénières et en commissions sont interprétées dans toutes les langues de l’UE. Tous les documents « adoptés » sont traduits. Malheureusement, un certain nombre de documents ne sont pas traduits. Par exemple, le Parlement européen a proposé une objection par rapport à l’autorisation du maïs transgénique NK603xT25, mais les explications de vote, dans leur forme écrite, sont disponibles seulement dans la langue de l’orateur [14]. Autre exemple : le 30 janvier 2019, un débat a eu lieu au Parlement sur l’état des négociations entre les États-Unis et l’Union européenne. Là encore, les contributions des parlementaires sont disponibles seulement dans la langue du contributeur [15].
En conclusion, il y a des efforts de traduction indéniables. Mais, concrètement, cela reste finalement restreint aux grandes lignes, aux premières pages, et pas aux rapports plus techniques. Il est donc difficile pour un non anglophone de suivre le dossier OGM. Faut-il donc mettre plus de moyens dans les traductions ? Tout traduire ? Ces questions seraient intéressantes à poser aux citoyens, car ce sont eux, au final, qui sont concernés par les choix politiques en matière de traduction.
[1] L’allemand, l’anglais, le bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais (ou gaélique irlandais), l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois et le tchèque
[2] Dans l’eurobaromètre consacré aux langues et publié en 2012, la Commission européenne évoque une soixantaine de langues régionales et minoritaires.
[4] Vérification des faits sur le budget de l’UE, mai 2020.
[5] voir , « Transparente, la Commission éparpille les informations », Inf’OGM, 5 avril 2022
[6] EFSA guidance on the submission of applications for authorisation of genetically modified plants under Regulation (EC) No 1829/2003.
[7] , « Consultation de l’AESA sur l’évaluation des risques environnementaux : non anglophones s’abstenir ! », Inf’OGM, 18 avril 2010
[8] , « Réaction d’Inf’OGM à la consultation publique de l’AESA sur la transparence », Inf’OGM, 9 octobre 2014
[10] Food Safety.