Élevage de précision et bien-être animal sont-ils conciliables ?

Par Inf'ogm

Publié le 25/01/2023

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L’agriculture de précision, nouvel avatar de l’agro-industrie, investit dans la robotique, le numérique et la génétique [1]. Cette surenchère technologique est présentée comme une solution à de nombreux échecs de l’agriculture industrielle. Dans le secteur de l’élevage, permettra-t-elle, comme cela est souvent mis en avant, d’améliorer les conditions de vie des animaux ?

L’une des promesses de l’agriculture de précision est d’améliorer le bien-être des animaux d’élevage. Ce dernier fait l’objet de normes établies, notamment par la directive européenne 98/58/CE [2]. Cette réglementation prévoit un certain nombre de modalités veillant à préserver le lien éleveur-animal et à limiter le caractère invasif ou perturbateur de certains apports technologiques. Elle demande par exemple la mise à disposition d’un personnel suffisamment nombreux au contact des animaux et une surveillance quotidienne pour détecter d’éventuelles souffrances.

L’élevage de précision se caractérise par l’utilisation de nombreux outils de mesure ou de robots pour prendre en charge les tâches « pénibles ». On trouve ainsi des systèmes de traite automatisée et des capteurs internes mesurant différents paramètres, comme les chaleurs des femelles. C’est l’intelligence artificielle qui traite les données fournies par ces systèmes et signale les situations nécessitant une intervention. Un des principaux objectifs serait de permettre la détection des problèmes de bien-être en temps réel et de se concentrer sur des animaux individuels au sein de grands groupes.

L’élevage de précision peut-il changer ainsi les mœurs agricoles, tout en visant des gains de productivité, sans affecter le bien-être animal ? Un article publié récemment montre qu’on peut en douter et évoque les menaces que l’élevage de précision fait peser sur le bien-être animal [3].

Effets négatifs sur les animaux et les hommes

Les auteurs soulignent d’abord le problème fondamental de l’élevage de précision : ces systèmes peuvent dysfonctionner, et ne s’en remettre qu’à eux peut être lourd de conséquences pour les cheptels. Même lorsqu’ils fonctionnent normalement, ces systèmes peuvent, de par leur nature, générer de l’agressivité au sein d’un groupe d’animaux lors des phases d’alimentation. Certaines technologies sont, en outre, porteuses d’effets négatifs directs sur les cheptels (lorsqu’elles sont vectrices d’agents pathogènes, par exemple). Les divers capteurs implantés sur ou à l’intérieur des animaux peuvent, pour leur part, être sources d’inconforts et de lésions.

Sur le plan informatique, les algorithmes nécessaires au bon fonctionnement de ces outils sont généralement développés via des données d’apprentissage et risquent d’être peu efficaces en conditions réelles. Ils peuvent, en outre, être entraînés de sorte à délivrer un résultat biaisé : un « état moyen » peut être considéré comme « bon » alors qu’il n’est pas optimal pour le bien-être animal.

Les auteurs notent que l’efficacité de ces systèmes dépend aussi de la confiance que l’éleveur leur accorde. Ce qui est paradoxal. Ils précisent, par exemple, que seulement 21 % des alertes de maladie réussiraient à inciter les éleveurs laitiers à un contrôle visuel de la vache [4]. Si l’éleveur peut « gagner du temps » grâce au Precision Livestock Farming (PLF), il ne se rapprocherait peut-être pas pour autant de ses animaux. Les auteurs soulignent que cela peut modifier assez fondamentalement la relation homme-animal et réduire ainsi la connaissance que l’éleveur a des individus du troupeau, et sa capacité à détecter les problèmes et les anomalies.

Si ces systèmes se généralisent, les éleveurs risqueraient, au fil du temps, de recruter des personnes ayant un bagage technologique au détriment de celles disposant de connaissances vétérinaires. Les auteurs rappellent aussi que les élevages les plus favorables au bien-être animal (petite échelle, extensivité…) sont aussi ceux les moins adaptés à ces outils technologiques.

L’élevage de précision peut aussi inciter à l’intensification, notamment pour baisser le coût par animal. Il a, en effet, été constaté que la taille du troupeau est un déterminant majeur de l’adoption de ces nouveaux outils. Or, lorsqu’une relation est établie entre la densité ou la taille du troupeau et le bien-être animal, elle est souvent négative. Il a notamment été signalé que la mortalité [5] et la prévalence des maladies infectieuses [6] augmentent généralement avec la taille du troupeau.

Un marchepied pour le spécisme et l’instrumentalisation ?

Appliquer l’élevage de précision sur un nombre choisi d’espèces reviendrait à leur attribuer un statut moral particulier. Le risque existe, d’autant que la mise en œuvre peut être plus facile pour certaines espèces (bovins laitiers) que d’autres (poulets, poissons, lapins). Marquer de telles différences entre les espèces animales pourraient conduire au spécisme.

La facilitation des systèmes intensifs évoquée plus haut peut aussi dégrader leur image auprès de la société. Les animaux ainsi élevés et parqués seraient alors plus perçus comme des marchandises exploitables pour des intérêts humains que comme des animaux dotés d’une personnalité à part entière.

Les systèmes d’élevage de précision sont axés sur l’augmentation de l’efficacité de production, pour en limiter les coûts et nourrir plus facilement la population mondiale. Or, ceci est loin d’être vérifié, car la question de la faim dans le monde n’est pas strictement agricole et agronomique, mais résolument politique. La première cause de la faim reste les guerres et autres situations politiques extrêmes ; et la seconde, le gaspillage. Les systèmes d’élevage de précision ne modifient pas non plus les pratiques d’élevage et leur impacts négatifs sur l‘environnement, comme les pollutions diverses ou la consommation démesurée d’eau. Par effet rebond, ces systèmes n’auront-ils pas dès lors tendance à accentuer de tels impacts ?

Un autre article récent conclut : « non, améliorer le bien-être des animaux dans les systèmes intensifs n’est pas possible », ces systèmes visant justement « une productivité maximale par unité de surface », exactement le même but poursuivi par l’élevage de précision et les modifications génétiques. Les auteurs affirment, en outre, que « la réduction de la taille des fermes est nécessaire pour concevoir des systèmes respectueux du bien-être des animaux » : « pour que ces systèmes soient viables, il faut réduire le niveau de spécialisation des élevages et des animaux », et « réduire cette spécialisation implique l’utilisation d’animaux génétiquement différents, moins productifs, mais plus résistants et valorisant mieux des aliments peu riches » [7].

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