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L’apomixie artificielle, une nouvelle biotech pour produire des hybrides F1
Des chercheurs californiens ont réussi à rendre reproductible un riz hybride F1 en mimant artificiellement un processus de reproduction végétatif (apomixie). Les enjeux commerciaux sont colossaux pour l’industrie : baisse des coûts de multiplication des semences hybrides et droits de propriété intellectuelle générant des profits juteux. Avec cette technique, encore plus d’OGM seront cachés dans l’alimentation.
Commercialiser des hybrides F1 est le socle de l’industrie semencière depuis des décennies. Les paysans doivent racheter chaque année leurs semences au prix fort contre la promesse de plantes vigoureuses et à haut rendement. Dans ce laps de temps, et avec la généralisation des hybrides F1, les savoir-faire paysans liés à l’autoproduction semencière se sont drastiquement réduits et la réglementation est devenue moins propice à la circulation des semences fermières. Dans ce contexte de marché quasi-captif, il est donc crucial pour les semenciers de rendre hybride F1 tout ce qui peut l’être.
De nombreuses plantes sont compliquées à hybrider à l’échelle industrielle (organes mâles et femelles dans la même fleur, fruit à petit nombre de graines, sexualité complexe…). L’apomixie artificielle, en rendant potentiellement reproductible un hybride F1, pave la voie à une production industrielle d’hybrides F1 plus rapide et moins coûteuse sur un plus grand nombre d’espèces cultivées.
L’apomixie est une forme de reproduction végétative existant à l’état naturel chez certaines plantes sauvages (400 espèces connues, telles le pissenlit et l’épervière), mais absente des principales plantes cultivées. Des cellules diploïdes (à deux jeux de chromosomes) existent dans l’ovule et peuvent initier chez ces plantes la formation de graines génétiquement identiques à la plante-mère, sans qu’il y ait fécondation. C’est une forme de parthénogénèse.
Une équipe de chercheurs de l’Université Davis (Californie) a réussi, en 2019, a obtenir un riz hybride F1 issu d’apomixie artificielle [1][Brevet n°WO2019104346.]]. Le procédé a été affiné et, en 2022, les chercheurs déclarent avoir obtenu 95% de semences issues d’apomixie synthétique sur du riz sur trois générations. L’équipe de chercheurs est en phase de collecte de fonds pour réaliser des essais au champ [2].
Comment s’obtient ce riz F1 issu d’apomixie artificielle ?
La méthode employée se résume en trois étapes :
- l’inactivation simultanée avec Crispr/Cas9 de trois gènes impliqués dans la méiose [3] qui a pour effet de la transformer en mitose [4] (mutations appelées MiME : Mitosis instead of Meiosis). On obtient ainsi un ovule non-fécondé avec le nombre de chromosomes d’un embryon n’ayant pas subi de recombinaison [5].
- l’insertion par transgénèse d’un promoteur activant un gène nommé BBM1 (Baby Boom1) qui permet le développement embryonnaire de l’ovule sans fécondation (parthénogenèse).
- l’induction du développement de l’albumen (tissus de réserves nutritionnelles de la graine) qui nécessite pour l’instant du pollen.
De nombreux problèmes
Cette technologie pose de nombreux problèmes.
Premièrement, cela implique pour l’instant une viabilité et une fertilité des semences réduites, comme l’admettent trois chercheurs de l’Institut Max Planck à l’issue d’une compilation récente des travaux sur le sujet [6].
Deuxièmement, le procédé requiert Crispr/Cas 9 et la transgénèse. Les plantes qui en sont issues sont donc des OGM. Pour des applications commerciales, le secteur mise donc sur la réussite du projet de déréglementation des OGM proposé par la Commission européenne. Avec l’apomixie artificielle, c’est donc une possibilité de breveter les hybrides F1 qui se dessine. OGM, NGT, quels que soient les choix sémantiques qui résulteront du projet de règlement européen, Crispr/Cas 9 nécessite une transgénèse préalable pour son insertion dans la cellule que ce complexe moléculaire est censé modifier. En outre, cette technique produit en routine de nombreuses mutations génétiques non-intentionnelles hors-cible et même dans la séquence modifiée [7].
Troisièmement, les techniques connexes in vitro mises en œuvre sont tellement mutagènes que les chercheurs de l’Université Davis ont pu constater des mutations visibles à l’œil nu sur certains spécimens (variation somaclonale) [8] [9].
Quatrièmement, ces plantes produisent du pollen. Disséminées en milieu ouvert, il y aura probablement des échanges avec les plantes sauvages sexuellement compatibles avec transmission de l’ADN génétiquement modifié. De même, il est possible que ces OGM contaminent des champs en agriculture biologique ou volontairement « sans OGM », ce qui peut entraîner une perte économique pour les agriculteurs qui ont fait ce choix. En outre, l’ampleur des conséquences de l’introduction de l’apomixie chez des plantes est impossible à anticiper (réduction de la diversité génétique ?).
Toujours plus de manipulations génétiques d’OGM dans les hybrides F1…
Le phénomène d’hétérosis (vigueur hybride) est au cœur du discours commercial de l’industrie semencière pour justifier la nécessité de rachat annuel de semences induites par les hybrides F1. En effet, les hybrides F1 ne peuvent pas être utilisés comme semences du fait d’une dégénérescence d’une génération sur l’autre. De plus, ces semences sont protégées par des droits de propriété intellectuelle comme les COV, qui empêchent juridiquement l’agriculteur de les ressemer. Il y a quelques exemptions mais elles concernent des espèces comme le blé, qui peuvent se ressemer [10].
Plus de 100 ans après les premiers hybrides commerciaux de maïs aux États-Unis et malgré les connaissances actuelles en génomique et biologie cellulaire, l’hétérosis reste inexplicable et controversée. Qu’une partie des hybrides F1 montrent des rendements supérieurs à des variétés-populations peut s’expliquer simplement par le fait que l’immense majorité des moyens techniques, humains et financiers de l’obtention variétale ont été orientés depuis plusieurs décennies vers la création d’hybrides F1 avec le rendement comme critère de sélection principal [11]. A chaque époque ses incantations pour tenter de trouver une légitimité scientifique à cet effet hétérosis. Les chercheurs de l’Université de Davis citent ainsi trois études qui pointeraient un lien entre épigénétique et hétérosis [12].
L’apomixie artificielle est le dernier né d’un groupe de procédés biotechnologiques transgressant la barrière de reproduction des espèces et l’intégrité de la cellule à la seule fin d’exploiter commercialement les hybrides F1.
Concrètement, la fusion de protoplastes (obtention de stérilité mâle cytoplasmique artificielle, ou CMS) est utilisée depuis les années 90 pour la castration génétique des lignées pures parentales (colza, chou et endive F1). Elle consiste à isoler des cellules végétales in vitro provenant de deux individus qui peuvent ne pas être sexuellement compatibles (comme une endive et un tournesol). Il s’agit ensuite de les débarrasser de leur paroi et les exposer à des agents chimiques et radioactifs pour endommager « sélectivement » leur ADN nucléaire ou mitochondrial [13]. Enfin, ont les fait fusionner pour obtenir un organisme chimérique possédant l’ADN nucléaire d’un des parents et l’ADN mitochondrial de l’autre parent (ou une combinaison des deux).
La méthode des haploïdes doubles permet d’accélérer l’obtention des lignées pures parentales depuis les années 2000. Elle consiste à isoler in vitro un gamète (souvent une microspore, grain de pollen immature), qui ne possède que la moitié du génome de la plante, induire son développement embryonnaire, ce qui donne une plante haploïde. Les boutons floraux de cette plante sont exposés à un agent anti-mitotique et les graines qui en résultent seront diploïdes (le nombre normal de chromosomes) et homozygotes à 100 % (cela prend huit à dix ans de faire la même chose par autofécondations successives). Elle est utilisée en routine pour l’obtention d’hybrides F1, y compris en agriculture biologique, sur un nombre croissant d’espèces (notamment aubergine, poivron, maïs, colza, chou et asperge).
Toutes ces méthodes induisent de nombreuses mutations et épimutations non-intentionnelles, et génèrent des OGM réglementés ou non. Les potentiels risques sanitaires et environnementaux ne font pas l’objet d’études avant ou après commercialisation. Il n’y a pas d’étiquetage particulier sur les semences ou les produits qui en sont issus. Or, sans étiquetage, impossible de faire un suivi épidémiologique sérieux.
… et de forts enjeux économiques : le début d’une « nouvelle ère » pour les plantes F1 ?
« L’induction de l’apomixie dans les cultures simplifierait les stratégies de production d’hybrides, raccourcirait le cycle de production et réduirait les coûts de production des semences hybrides, tout en étendant l’application de la vigueur hybride en agriculture ». Telle est la promesse qu’une équipe de chercheurs chinois fait au secteur semencier [14].
Les chercheurs de l’Université de Davis sont enthousiastes : « Une alternative potentiellement révolutionnaire aux systèmes de stérilité mâle est la propagation perpétuelle de semences F1 à travers un mode asexué de reproduction clonale appelé apomixie », déclarent-ils dans Nature Communications [15].
L’industrie semencière est consciente du bouleversement qu’une telle technologie engendrerait dans le métier. L’apomixie artificielle a ainsi été qualifiée de « changement des règles du jeu » par un acteur de la filière [16]. « C’est le début d’une nouvelle ère », lui répondent les chercheurs chinois [17]. Un généticien de KWS, cité par l’article de Science, estime qu’il faudra attendre encore cinq à dix ans pour avoir des hybrides commerciaux issus de cette technique.
Des groupes de travail, en Chine notamment, s’intéressent déjà aux applications sur d’autres espèces (dont sorgho, chou, tomate et luzerne) [18]. Les gènes impliqués dans l’apomixie font l’objet de nombreux travaux sur différentes espèces aux effets comparables à MiMe et BBM1 [19]
Fausses promesses et vrais objectifs
Comme c’est la coutume, de belles promesses écologistes et humanistes sont invoquées pour le développement de cette biotechnologie : adaptation au changement climatique, amélioration de la valeur nutritionnelle [20], augmentation des rendements et sécurité alimentaire [21].
Pourquoi des industriels voudraient rendre un hybride F1 reproductible, alors que c’est un verrou technologique lucratif ?
Les publications, articles de vulgarisation scientifique et autres communications du secteur semencier omettent systématiquement de préciser que les techniques qui vont engendrer de telles plantes vont faire l’objet de dépôt de brevets, eux aussi lucratifs, et constituer un verrou juridique à leur reproductibilité. C’est pourtant une conséquence majeure des applications commerciales de cette technique : l’extension potentielle du système de brevets à davantage de plantes cultivées.
[1] Khanday I., Skinner D., Yang B., Mercier R. & Sundaresan V., « A male-expressed rice embryogenic trigger redirected for asexual propagation through seeds », Nature, 2019. Vol 565, 91:95.
[2] Stokstad E. « Game changer. Scientists are genetically engineering crops to clone themselves », Science (2023) Vol 380. Issue 6646.
[3] Division cellulaire pour la formation des cellules sexuelles chez les plantes et animaux, possédant la moitié du nombre des chromosomes de l’individu-mère.
[4] Division cellulaire pour la formation des cellules somatiques conservant le nombre de chromosomes de l’individu-mère.
[5] Au début de la méiose, les chromosomes homologues qui vont migrer dans chacune des cellules-filles se chevauchent et échangent du matériel génétique (crossing-over). Ce phénomène génère des mutations spontanées d’une génération à l’autre et contribue naturellement au brassage génétique.
[6] Mahlandt A., Singh D.K. & Mercier R., « Engineering apomixis in crops », Theoretical and Applied Genetics (2023) 136:131.
[7] Höijer, I., Emmanouilidou, A., Östlund, R. et al., « CRISPR-Cas9 induces large structural variants at on-target and off-target sites in vivo that segregate across generations », Nature Communications, 2022. 13, 627.
[8] , « Modifier génétiquement une plante est loin d’être anodin », Inf’OGM, 30 juin 2016.
[9] Vernet A., Meynard D., Lian Q., Mieulet D., Gibert O., Bissah M., Rivallan R., Autran D., Leblanc O., Meunier A.C., Frouin J., Taillebois J., Shankle K., Khanday I., Mercier R., Sundaresan V. & Guiderdoni E., « High-frenquency synthetic apomixis in hybrid rice », Nature Communications (2022).13:7963.
[10] Confédération paysanne de l’Indre, « Semences de ferme : le contexte ».
[11] Berlan J.P., « La planète des clones », Editions La Lenteur, 2019.
[12] Vernet A., Meynard D., Lian Q., Mieulet D., Gibert O., Bissah M., Rivallan R., Autran D., Leblanc O., Meunier A.C., Frouin J., Taillebois J., Shankle K., Khanday I., Mercier R., Sundaresan V. & Guiderdoni E., « High-frenquency synthetic apomixis in hybrid rice », Nature Communications, 2022.13:7963.
[13] La mitochondrie est un organite présent dans le cytoplasme de la cellule et possédant environ 1% de l’ADN de la cellule.
[14] Xiong J., Hu F., Ren J., Huang Y. Liu C. & Wang K., « Synthetic apomixis : the beggining of a new era », Current opinion in Biotechnology, 2023. 79:102877
[15] Vernet A., Meynard D., Lian Q., Mieulet D., Gibert O., Bissah M., Rivallan R., Autran D., Leblanc O., Meunier A.C., Frouin J., Taillebois J., Shankle K., Khanday I., Mercier R., Sundaresan V. & Guiderdoni E., « High-frenquency synthetic apomixis in hybrid rice », Nature Communications, 2022.13:7963.
[16] Stokstad E. « Game changer. Scientists are genetically engineering crops to clone themselves », Science (2023) Vol 380. Issue 6646.
[17] Xiong J., Hu F., Ren J., Huang Y. Liu C. & Wang K., « Synthetic apomixis : the beggining of a new era », Current opinion in Biotechnology, 2023. 79:102877
[18] Stokstad E. « Game changer. Scientists are genetically engineering crops to clone themselves », Science (2023) Vol 380. Issue 6646.
[19] Underwood C.J., Vijverberg K., Rigola D., Okamoto S., Oplaat C., Op den Camp R.H.M., Schauer S.E., Fierens J., Jansen K., Mansvelf S., Busscher M., Xiong W., Datema E., Nijbroek K., Blom E.J., Bicknell R., Catanach A., Erasmuson S., Winefield C., Van Tunen A.J., Prins M., Schranz M.E & P.J. Van Dijk. « A Parthenogenesis allele from apomictic dandelion can induce egg cell division without fertilization in lettuce », Nature Genetics, 2022. 54. 84 :93
[20] Merrill Meadow, Whitehead Institute , « Using plant biology to address climate change », MIT News, 19 avril 2022.
[21] Fiaz S., Wang X., Younas A., Alharthi B., Riaz A. & Ali H., « Apomixis and strategies to induce apomixis to preserve hybrid vigor for multiple generations », GM Crops & Food, 2021, 12:1, 57-70.