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Lettre ouverte à François Fillon
Monsieur le Premier ministre [1],
Le 24 octobre 2007, ouvrant le Grenelle de l’environnement, vous
déclariez : « Solennellement devant vous, je m’engage à ce que toutes
les conclusions précises, concrètes et consensuelles soient mises en
œuvre. »
Le 25 octobre, l’ensemble des négociateurs, y compris les
représentants de la profession agricole et du gouvernement,
concluaient à l’unanimité sur l’« adoption d’une loi sur les
biotechnologies et les OGM avant la fin du printemps 2008 », reposant
notamment « sur les principes suivants : responsabilité ; principe de
précaution ; transparence et participation ; libre choix de produire
(règles de coexistence) et de consommer sans OGM ». Ce même jour
enfin, dans son discours de clôture, le président de la République
affirmait : « La vérité est que nous avons des doutes sur l’intérêt
actuel des OGM pesticides ; la vérité est que nous avons des doutes
sur le contrôle de la dissémination des OGM ; la vérité est que nous
avons des doutes sur les bénéfices sanitaires et environnementaux des
OGM. »
Monsieur le Premier ministre, ces doutes ne sont pas nouveaux, y
compris dans la majorité présidentielle. Le contrat de législature
2007-2012 de l’UMP en faisait déjà état en recommandant de « ne pas
accepter l’utilisation des OGM en l’état des connaissances
scientifiques, mais poursuivre la recherche et associer tous les
partenaires (chercheurs, représentants des agriculteurs, associations
de défense de l’environnement…) à son contrôle et à son évaluation ».
Pourtant, le projet de loi que votre gouvernement va présenter,
aujourd’hui au Sénat en deuxième lecture, n’est conforme ni avec les
décisions du Grenelle, ni avec les doutes du président de la
République et les réserves de votre parti, ni avec votre engagement
solennel. Il légalise un risque de contamination par les OGM de
l’ensemble de l’agriculture française et ne protège pas la grande
majorité des agriculteurs qui veulent continuer à produire sans OGM.
En prétendant organiser la coexistence entre les filières avec et
sans OGM, il condamne ainsi l’avenir de ces dernières, en particulier
les filières de qualité qui ont fait la renommée de notre agriculture.
De plus, vous avez promis d’affaiblir encore davantage ce texte en
faisant supprimer par le sénat l’amendement 252, le seul amendement
adopté par l’Assemblée nationale qui garantit de protéger « les
structures agricoles, les écosystèmes locaux et les filières de
production et commerciales qualifiées sans OGM ». De bon sens évident,
cet amendement répond à la demande d’une écrasante majorité de
Français. Vous semblez de votre côté vouloir le rejeter parce que son
auteur, André Chassaigne, est assis sur les bancs de l’opposition,
alors qu’il aurait tout aussi bien pu être adopté à l’initiative de
Louis Giscard d’Estaing, député UMP, qui avait proposé un amendement
similaire avant de le retirer à la demande de la commission des
Affaires économiques.
La politique a parfois ses raisons que la raison ignore, et qu’en
tout cas nous ignorons. Cependant, nous n’acceptons pas que des
logiques politiciennes viennent polluer l’intérêt général, la
protection de l’environnement et la sérénité des consommateurs. Nous,
signataires de cette lettre, défendons une agriculture de qualité,
biologique et d’appellation d’origine contrôlée, la compétitivité de
ce secteur d’exportation, une alimentation saine et de plaisir, une
gastronomie mondialement réputée, une biodiversité riche et
préservée, une science active et indépendante. Bref, face à des
risques inconnus et potentiellement graves, nous défendons la liberté
de produire et de consommer sans OGM.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, non seulement de
défendre au nom du gouvernement l’article 252, tout autant que
l’amendement 112 du député UMP Grosdidier, adopté à l’unanimité, mais
aussi d’en décliner les principes au cœur même des dispositions de la
loi, qu’il s’agisse du seuil de contamination, qui ne doit pas
dépasser le seuil de détectabilité (0,1 %), ou du régime de
responsabilité, qui doit effectivement et pleinement protéger les
victimes. Mesdames et messieurs les sénateurs, nous vous demandons la
sagesse. La sagesse de ne pas engager un processus de contamination
irréversible de notre environnement et de la chaîne alimentaire. La
sagesse de vous en remettre au principe de précaution inscrit dans
notre Constitution. Votre responsabilité est immense. Nous serons
vigilants.
[1] Publiée dans Libération, le mercredi 16 avril 2008 http://www.liberation.fr/rebonds/32…