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OGM et information : le citoyen berné
En principe, chaque consommateur, chaque citoyen, devrait être dans la possibilité de savoir à la fois ce qui se cultive autour de chez lui, et ce qu ?il mange dans son assiette.
Pourtant, les consommateurs citoyens se sont souvent éloignés des questions agricoles et alimentaires, principalement pour deux raisons : la mise en place d’instruments gouvernementaux de contrôle de l’innocuité de nos aliments, qu’ils jugeaient a priori fiables ; et l’urbanisation croissante qui a provoqué à la fois un éloignement toujours plus grand entre le rural et l’urbain, et un allongement des filières du champ à l’assiette, avec une absence totale de traçabilité.
Plusieurs scandales alimentaires (veaux aux hormones dans les années 70-80, plus récemment poulets à la dioxine, vache folle et OGM) ont brisé cette confiance. Et lorsque le consommateur scrute le fond de son assiette, ou lorsque le citoyen s’interroge sur les types de cultures pratiquées, il va de surprise en surprise’ et se rend compte surtout qu’on lui a menti. Le cas des OGM, que décrit cet article, est édifiant.
Les premières cultures d’OGM à échelle commerciale datent de 1996 aux Etats-Unis, avec le soja et le maïs. Dès mai 96, l’Union européenne autorise l’importation de soja transgénique de Monsanto, puis la culture du maïs Bt 176 de Novartis en février 97. Il a pourtant fallu une action de la Confédération paysanne à Nérac dans le Lot au siège de Novartis en février 1998 pour que ces autorisations viennent sur la place publique, et qu’un débat s’instaure.
Les OGM : un cas d’école sur les mensonges publics et privés
Mais une fois les OGM sur la place publique, un discours dominant tend à s’imposer : « les OGM sont le futur de l’humanité, ils protégeront l’environnement, nourriront la planète, et résoudront toute sorte de problème, notamment de santé humaine ». Ce discours est orchestré par les multinationales, Monsanto et Novartis en tête, qui n’hésitent pas à placarder de pleines pages de publicité dans les grands quotidiens, notamment au moment de la conférence des citoyens de juin 1998 (Monsanto a d’ailleurs été condamné pour publicité mensongère en Grande Bretagne). Discours orchestré par les multinationales , mais relayé par de nombreux chercheurs du public parfois naïvement, parfois servilement.
Rassurer le citoyen
Les OGM inquiètent le consommateur : qu’en est-il des risques sur la santé ? Ils inquiètent aussi les écologistes : quid des conséquences sur l’environnement ? Mais aussi les agriculteurs : quelles libertés de choix de semences dans le futur ?
Et les chercheurs de nous répondre dans un premier temps : « rassurez-vous, nous contrôlons tout, depuis les techniques de laboratoires, jusqu’aux disséminations en champs. Et puis, vous n’êtes pas obligés d’en manger, ils sont étiquetés ».
Or que constate-t-on ? Peu de recherche sont réellement effectuées sur les conséquences des OGM en santé humaine ou animale. A cet égard, l’essai d’alimentation de bovins avec du maïs transgénique de Novartis dans le Maine et Loire est édifiant : le protocole de l’Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM) sur cet essai ne prévoyait que de mesurer des paramètres zootechniques (engraissement et production de lait), mais rien sur un éventuel passage des transgènes du maïs chez l’animal ? Sous la pression de la Confédération paysanne locale, qui menaçait de castrer ce maïs, l’équipe de recherche a accepté de mesurer d’autres paramètres, et notamment la recherche du transgène dans le sang, les urines, le jus de rumen ou le lait ? Ironie : il a fallu congeler les 200 échantillons avant qu’une méthode d’analyse ne soit mise au point pour fin 2001 nous assurent les spécialistes de l’INRA !
Cette situation est dénoncée par au moins deux membres de la CGB : Gilles Eric Séralini, du laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire de l’Université de Caen ; et Gérard Pascal, directeur de recherche à l’INRA. Ce dernier a avoué aux représentants de la Confédération paysanne du Maine et Loire que « l’on n’a pas encore mis de méthode au point pour tester l’allergénicité et la toxicité de tels OGM ».
Il y a aussi divergence dans les résultats de recherche : « À la suite de la polémique sur la nocivité du maïs transgénique sur le papillon Monarque, une conférence organisée par différents industriels ainsi que par des laboratoires universitaires s’est tenue. La majorité des scientifiques conviés sont tombés d’accord pour dire qu’en l’absence de données suffisantes aucune conclusion ne pouvait être apportée sur l’innocuité des plantes de maïs Bt. Pourtant, un communiqué a été transmis à la presse indiquant que les plantes de maïs Bt ne présentaient pas de danger substantiel pour les papillons Monarque. Cela montre bien que l’information concernant les risques de certains OGM n’a pas été traitée de façon complète. Qu’il s’agisse des opposants ou des défenseurs des OGM, les uns comme les autres manipulent souvent l’information dans le sens qui leur convient » .
Et que dire du gène de résistance aux antibiotiques, actuellement présents dans les variétés autorisés, mais interdits à partir de 2004 par la directive européenne 90/220 révisée ? Tous les scientifiques consultés, même s’ils ne reconnaissent pas forcément les risques, s’accordent au moins à dire que ce montage n’était pas « élégant » !
Sur l’étiquetage, quelle transparence ?
Certes, depuis avril 2000, date d’entrée en vigueur des règlements européens 49 et 50/2000, l’étiquetage des OGM au-dessus du seuil de 1% d’OGM par ingrédient et/ou additif, est obligatoire. Mais dans les faits, cette loi est quasiment inapplicable. En effet, il n’existe que depuis peu (décembre 2000) une méthode homologuée AFNOR pour détecter les OGM, et les laboratoires sont loin d’être en nombre suffisants. De plus, la détection implique que l’industriel veuille bien fournir l’information nécessaire (le promoteur du transgène…) au laboratoire. Faute de quoi, impossible de détecter… D’où le flou lors de certaines contaminations, comme celle par exemple du maïs en France en juin 2000, où l’un des OGM en cause (le Bt11) n’était pas autorisé à la culture ?
A ces problèmes pour appliquer la réglementation, s’ajoutent deux autres cas où l’étiquetage réglementaire n’est pas prévu.
Tout d’abord, pour l’ensemble des produits issus d’animaux ayant consommé des aliments transgéniques. Ce cas, rappelons-le, constitue tout de même la règle majoritaire, puisque l’Europe importe à 70% les protéines animales des Etats Unis et d’Argentine, où le soja est majoritairement transgénique ? On l’a vu, faute de recherches entreprises, personne n’est aujourd’hui capable de nous dire si ces produits animaux contiennent ou non des transgènes et/ou des protéines issues de ces transgènes, ou encore d’autre substances indésirables, tels les produits de dégradation d’herbicides par exemple ?
Mais pas d’étiquetage non plus pour les aliments pour lesquels on applique le principe de l’équivalence substantielle : « si un produit alimentaire composé d’ingrédients issus de plantes transgéniques est chimiquement équivalent au même produit non issu d’ingrédients OGM, alors, d’après le règlement Novel Food 258/97 qui fixe l’autorisation et l’étiquetage de ces produits, les entreprises sont seulement tenues d’informer la Commission lorsqu’elles mettent un produit sur le marché, en joignant soit une justification scientifique, soit un avis du même type délivré par un Etat membre ». Cette procédure simplifiée s’applique dans le cas où les aliments ne contiennent plus d’ADN ou de protéine issues du transgène. Sont ainsi autorisées 7 huiles de colza, ainsi que de la farine, gluten, semoule, amidon, glucose, et huile de maïs, sans aucun étiquetage !
Rappelons tout de même qu’en appliquant ce même principe de l’équivalence en substance au cas de la vache folle, toutes les vaches folles seraient actuellement commercialisées. En effet, on ne trouve que ce que l’on cherche, et le prion était inconnu il y a encore quelque temps… donc introuvable !
La coexistence des filières est-elle possible ?
18 mai 2000 : la société Advanta Seeds, filiale semences du groupe néerlandais Advanta, annonce à Londres que des graines de colza transgéniques mélangées à hauteur de 1% environ avec des semences conventionnelles avaient été semées par erreur en France, Grande-Bretagne, Suède et Allemagne. En France, 600 hectares de colza "précisément déterminés" sont concernés.
La Suède et la France ordonne la destruction. La Grande Bretagne et l’Allemagne non. A cette occasion, l’Américain Jeffrey Smith, vice-président de la société Genetic ID, spécialisée dans la détection des OGM, affirme qu’il y a très fréquemment des mélanges OGM-non OGM dans les lots de semences américaines. Sur vingt échantillons prélevés récemment sur des lots de semences de maïs conventionnelles, douze contenaient du maïs transgénique, au moins à l’état de « traces » (en deçà de 1 %), selon ce biologiste qui estime qu’un incident tel que l’affaire du colza Advanta « arrive tout le temps ».
Juin 2000 : découverte de 4800 hectares de maïs contaminés dans le Sud Ouest, par quatre types différents d’OGM, dont trois sont autorisés à la culture, et un autorisé seulement à l’importation (Bt11). Le ministre français de l’agriculture, Jean Glavany, reconnaît les faits mais se prononce contre l’arrachage, car « il en va de l’économie de la France, on ne peut rien faire…". Dominique Voynet, la ministre de l’environnement, a alors qualifié cette décision de "prudente sur le plan juridique" mais "ne répondant pas complètement à l’attente des consommateurs, très réticents sur les OGM" . Et une couleuvre de plus avalée par les Verts, au nom de la sacro-sainte solidarité gouvernementale !
Août 2000 : nouvelle découverte d’OGM, cette fois de soja, sur 46 hectares. Complètement interdit à la culture, le gouvernement ordonne sa destruction ?
Septembre 2000 : le maïs Starlink aux Etats-Unis entraîne des pertes économiques pour la filière maïs estimées entre 100 millions et un milliard de dollars. En effet, ce maïs s’est retrouvé massivement dans les produits d’alimentation humaine, alors que, potentiellement allergène pour l’homme, il n’était autorisé que pour l’alimentation animale (voir article ci-contre).
Cette liste, loin d’être exhaustive, ne reflète que partiellement les différents cas de contamination connus. Dès lors, que penser de cette soi-disant « séparation des filières » entre OGM et non-OGM ? Partant de l’idée que la contamination est inévitable, la législation, on l’a vu, a défini un seuil de « contamination involontaire » de 1% d’OGM par ingrédient. Mais ce taux est loin d’être neutre. En effet, une récente étude de l’INRA s’est intéressée aux pourcentages de contaminations d’un champ OGM à un autre non OGM, et aboutit, entre autre, à une conclusion qui nous semble importante : à l’évidence, la contamination est d’autant plus forte que les champs sont rapprochés. Corollaire : plus le seuil de contamination fortuite accepté sera bas, plus il faudra éloigner les parcelles OGM des autres non OGM. A tel point qu’avec des seuils d’acceptabilité de 0,1%, les mesures de contamination révèlent que pour avoir du maïs exempt d’OGM, il faudrait carrément réserver des zones spécialisées pour le maïs transgénique ? On imagine d’ici la tête de l’agriculteur bio (dont le cahier des charges lui interdit formellement la production d’OGM), lorsqu’on lui annoncera que le bassin de production dans lequel il se trouve vient d’être réservé à la production d’OGM !
On le voit, produire aujourd’hui sans OGM devient de plus en plus difficile, même dans un contexte européen où les cultures transgéniques sont encore rares (rappelons que l’Espagne a cultivé tout de même entre 10 et 20 000 hectares de maïs transgénique en 2000). Mais la contamination peut intervenir à différents niveaux de la chaîne alimentaire : silos de stockage, camions, bateaux, usines de transformation ? Dans ce contexte, la ségrégation de la filière OGM n’est-elle pas illusoire ?
On est en droit de se demander si, consciemment ou non, les décideurs ne sont pas en train de mettre les citoyens devant le fait accompli : « les OGM ont déjà envahi nos assiettes, nous allons juste tenter de limiter la contamination ». Dès lors, le produit 100% non OGM rejoindra le créneau étroit des produits « haut de gamme », réservé à une clientèle qui pourra se l’offrir. C’est en tout cas la stratégie de Monsanto au Brésil, seul bastion qui lui résiste encore pour le soja transgénique : en inondant le marché argentin avec son soja Round up ready (84% du soja semé en l’espace de deux campagnes), et en bradant son herbicide Round up , Monsanto espère bien intensifier la contrebande de semences entre le Brésil et l’Argentine. Ainsi le Brésil n’aurait plus qu’à accepter les cultures transgéniques.
L’information citoyenne
Seuls des citoyens bien informés pourront faire barrage aux stratégies et à la désinformation des multinationales. En démontant leurs discours bien sûr, mais aussi en prouvant qu’elles mentent, et surtout en pressionnant les politiques qui in fine décident des conditions d’adoption de ces nouvelles technologies.
C’est pourquoi plusieurs associations oeuvrent depuis des années dans la circulation de l’information sur les OGM aux niveaux local, régional, ou international. Citons les deux plus connus : Greenpeace et les Amis de la Terre , qui par leurs publications et leurs actions médiatiques ont largement contribué à la prise de conscience du public.
Côté francophone, l’association Inf’OGM, veille citoyenne d’informations sur les OGM, publie un bulletin mensuel gratuit à destination de l’ensemble du monde francophone . Son objectif est aussi d’obliger les pouvoirs publics à divulguer l’ensemble des informations à leurs dispositions.
Le Forum Economique Social de Porto Alegre (Brésil) de janvier 2001 a aussi été l’occasion de regrouper l’ensemble des mouvements citoyens préoccupés par les OGM. Les débats ont débouché sur une déclaration finale qui insiste essentiellement sur cinq points : la non brevetabilité des êtres vivants et des semences, patrimoine de l’humanité ; une recherche publique indépendante pour une agriculture durable sans OGM ; la ratification du Protocole de Biosécurité de Carthagène par tous les gouvernements ; un moratoire immédiat, comme premier pas vers une production d’aliments libres d’OGM ; et le droit à une information complète pour les agriculteurs et les consommateurs sur tous les aspects liés aux OGM.
Au-delà de la nécessaire information, d’autres actions ont également conduit à un réveil de l’opinion public, tant chez les consommateurs que chez les chercheurs : la destruction de nombreuses parcelles de plantes OGM, dont les plants de riz transgéniques dans les serres du CIRAD, en sont des exemples. Certaines associations plaident aujourd’hui pour un « serment d’Hippocrate » des chercheurs, leur reconnaissant entre autre le droit de ne pas travailler sur certains sujets « éthiquement sensibles ».
La Confédération paysanne, dont certains militants risquent aujourd’hui de fortes peines de prison , est à la pointe de ce combat. Avec le mouvement international de paysans Via campesina , ils appellent à une mobilisation mondiale contre les OGM le 17 avril 2001, jour anniversaire du massacre de paysans brésiliens sans terre.
Mais contester l’introduction des OGM n’est pas suffisant. Le Forum Social Mondial de Porto Alegre nous l’a rappelé : la société civile se mobilise aujourd’hui autour d’alternatives crédibles. En matière d’OGM, ces alternatives ont pour nom « agriculture durable », « filières courtes », « traçabilité totale » ? C’est bien d’ailleurs sur ce dernier point que six pays européens , dont la France, ont annoncé fin février 2001 qu’ils prolongeraient le moratoire sur toute nouvelle autorisation d’OGM, tant que des règles strictes d’étiquetage, de traçabilité, et de responsabilité des firmes ne seraient pas mises en place. Au rythme où s’approuvent les directives, la fin du moratoire n’est pas pour demain !