Fauchages d’OGM : des avocats qui font avancer le droit
Des faucheurs qui veulent absolument passer au Tribunal, voire aller en prison ; qui se dénoncent volontairement à la police ; des faucheurs non incriminés qui font tout pour comparaître… : on n’avait pas vu ça depuis Gandhi et sa lutte non violente pour libérer l’Inde. Fils de Ludd et de Gandhi [1], les faucheurs ont su aussi s’entourer d’avocats « de choc », pour qui le droit s’écrit aussi dans les prétoires, sur des thèmes comme le principe de précaution, les comparants volontaires, l’état de nécessité, les empreintes génétiques… Voici les témoignages, recueillis par Inf’OGM, de quatre des avocats des faucheurs ces vingt dernières années.
Témoignage de François ROUX – Comparants volontaires, état de nécessité : encore deux victoires des faucheurs
Rendons justice aux Faucheurs volontaires, et savourons les succès obtenus pour entreprendre d’autres combats. Et rendons justice aussi à certains juges qui ont été à l’écoute. Loin d’être majoritaires, leurs décisions n’en sont que plus appréciables. D’abord, les juges de Toulouse qui acceptèrent de reconnaître les comparants volontaires. Souvenons-nous de cette audience historique, où le Procureur en colère quitta la salle d’audience au prononcé du verdict acceptant les comparants volontaires, ces faucheurs qui demandaient à comparaître aux côtés de ceux poursuivis.
Quelques jours plus tard, les juges de Riom faisaient de même. La Chancellerie, voyant le danger de citoyens qui se dénonçaient par centaines, adressa alors une circulaire à ses Procureurs en leur demandant de s’y opposer avec énergie. Ce qui ne nous empêcha pas de continuer, jusqu’à cette décision du Tribunal de Carcassonne qui admit les comparants volontaires… sans que le Parquet ne fasse appel, devenant ainsi une décision définitive, en mesure de faire jurisprudence.
Autre victoire : la relaxe au nom de l’état de nécessité reconnue par les Tribunaux d’Orléans, Versailles et Chartres… Ces trois relaxes, même si elles ont été ensuite réformées par les Cours d’Appel, resteront comme une victoire qui a ouvert la voie aux décisions politiques nécessaires.
Cette notion a été créée par les juges eux-mêmes alors qu’elle n’existait pas encore dans notre droit. Je crois en la capacité des juges de faire évoluer le droit. Il est de la responsabilité des avocats de leur suggérer des pistes. Et ça marchera encore tant qu’il y aura des militants pour engager leur personne de manière non violente et à visage découvert. Par leur démarche, les faucheurs ont réussi à convaincre les juges de la justesse, de la légitimité de leurs combats. Les juristes l’ont traduit en droit : c’est l’état de nécessité face à l’abus de droit.
Témoignage de Marie-Christine ÉTELIN – Procès « OGM » : la reconnaissance du principe de précaution
Le 8 janvier 1998, le procureur d’Agen me somme de venir d’urgence assurer la défense de quatre paysans qui ont « détruit » quelques centaines de sacs de semences de maïs GM dans une usine à Nérac. À la demande des quatre, je dois plaider pour qu’ils partent en prison, seule solution selon eux pour mobiliser l’opinion publique. Une toute nouvelle notion de droit international, le principe de précaution, tourne déjà suffisamment dans ma tête pour que je ne leur obéisse pas.Le 3 février, le premier procès contre les OGM fait comprendre aux Français que si des paysans n’ont pas hésité à mettre en jeu leur liberté et leurs biens, il faut alors que toute la population s’implique pour interdire ces cultures. Les paysans aveyronnais venaient de mettre en application le principe de précaution pour la première fois en Europe.
Ce principe est issu de la déclaration de Rio de 1992 : « En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».
Mais cette législation doit être mise en œuvre essentiellement par l’État. Le défaut d’application de ce principe, dirent les juges répressifs, ne peut justifier son application directe par les citoyens. Pendant les 15 années de procès, ce texte n’a servi qu’à faire renoncer aux poursuites quand l’interdiction de culture de plants OGM était avérée, mais c’est déjà beaucoup !
On n’avait pas vu depuis bien longtemps une telle victoire de tous les secteurs de l’opinion française, entraînés par les paysans. Sur le terrain pénal, paradoxalement, les peines sont de plus en plus légères et les juges recherchent tous les contournements juridiques possibles pour faire bénéficier les faucheurs de la compréhension judiciaire.
Témoignage de Nicolas GALLON- Faucheurs et ADN : non aux empreintes génétiques
Les Faucheurs volontaires ont été parmi les premiers militants à être confrontés au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Ce fichier de police, destiné initialement aux seuls auteurs d’infractions sexuelles, a peu à peu été étendu pour se généraliser en 2003 à la plupart des délits de droit commun. Les Faucheurs volontaires, à qui la Police a exigé un prélèvement ADN, ont très vite pressenti le danger induit par la généralisation de ce recueil. Après débats, ils sont entrés en désobéissance contre ce fichage, ce qui a donné lieu à la poursuite de certains pour « refus de prélèvement ADN ». À la fin des années 2000, les procès se sont enchaînés sur tout le territoire.
Les juges (notamment ceux de la Cour d’Appel de Montpellier) qui, pour la plupart, ont découvert avec nous l’existence et la gravité du FNAEG, ont généralement réservé un accueil favorable aux arguments de la défense. Les relaxes et les condamnations d’ordre symbolique se sont multipliées jusqu’à l’adoption par le parlement de la loi française de juin 2008 relative aux OGM. Cette loi allait en effet modifier le régime des poursuites contre les faucheurs. Car jusqu’en 2008, la neutralisation de parcelles OGM était poursuivie sur le fondement du délit de « destruction du bien d’autrui ». La loi de 2008 crée une incrimination spécifique visant la destruction de parcelles OGM. Or, le législateur n’a pas intégré (volontairement ou non ?) cette nouvelle infraction dans celles permettant de procéder à un prélèvement biologique, rendant impossible toute demande de prélèvement ADN aux Faucheurs volontaires, ce qui mettra un terme aux poursuites et aux procès contre les faucheurs.
Que reste-t-il de ce combat ? De nombreuses (et bonnes) décisions de justice, des arguments de défense mûrement développés, et surtout une sensibilisation de l’ensemble de la société à cette problématique. Ces éléments sont aujourd’hui extrêmement utiles à d’autres militants encore confrontés à une demande de prélèvement de leur ADN.
Témoignage de Guillaume TUMERELLE – Fauchages : principe de précaution et saisine de la Cour de Justice
Le procès des Faucheurs volontaires de vignes transgéniques de l’Inra de Colmar présentait un caractère symbolique fort : il touchait d’une part à la vigne, patrimoine français d’excellence ; et mettait en cause d’autre part l’Inra, organisme de recherche publique chargé d’œuvrer dans l’intérêt collectif. Nous avons choisi d’attaquer la légitimité et la légalité même de l’essai réalisé par l’Inra en pointant l’insuffisance de la prise en compte des risques liés à ce type d’essais en plein air, et les conséquences désastreuses (la contamination) qu’aurait eu l’implantation de vignes transgéniques au sein d’un vignoble réputé pour sa qualité. La Cour d’appel de Colmar a décidé de prononcer la relaxe des faucheurs en déclarant illégal l’essai de l’Inra. Malgré une cassation et l’attente d’un nouveau procès, cette décision constitue une première relaxe des Faucheurs volontaires par une Cour d’appel et une grande victoire à la portée considérable : les scientifiques doivent désormais tenir compte du principe de précaution et du contrôle du juge.
Depuis 2009, des variétés de tournesol et de colza modifiées génétiquement pour être rendues tolérantes à des herbicides ont été mises en culture. Les industriels tentent de contourner la réglementation OGM par le développement de nouvelles techniques qu’ils qualifient de « mutagénèse » pour échapper au champ d’application de la directive européenne. Les Faucheurs ont engagé de nombreuses actions afin de dénoncer ces « OGM cachés ». À l’initiative d’un collectif d’associations, regroupées sous le nom d’« Appel de Poitiers », nous avons déposé un recours devant le Conseil d’État pour dénoncer l’absence de réglementation de ces nouvelles techniques de modification du vivant. Le Conseil d’État, par une décision du 2 octobre 2016, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne afin de l’interroger sur la légalité de la directive européenne concernant ces nouvelles techniques au regard du principe de précaution. Cela constitue une grande victoire et l’arrêt de la Cour de justice produira effet dans toute l’Union européenne. Enfin, les derniers procès ont concerné les actions visant au retrait des herbicides à base de glyphosate.
[1] voir , « Faucheurs d’OGM : un renouveau du luddisme ? », Inf’OGM, 21 juin 2017