n°140 - juillet / août 2016

Les nouveaux OGM doivent être évalués

Par Eric MEUNIER

Publié le 22/08/2016

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Si les plantes issues des nouvelles techniques de modification génétique ne sont pas soumises à la législation sur les OGM, elles ne seront pas évaluées. Pourtant ces modifications génétiques ne sont pas aussi « précises » qu’annoncées par leurs promoteurs.

Les plantes transgéniques doivent être évaluées afin, en théorie, de s’assurer de l’absence d’effet non désiré et d’impact négatif sur la santé humaine et animale ou l’environnement. Cette évaluation n’est pas la panacée, et a fait l’objet de plusieurs demandes de réformes pour être consolidée. Mais elle a le mérite d’exister. Si les plantes et animaux issus des nouvelles techniques de modification génétique ne sont pas soumis à la législation sur les OGM, ils se retrouveront dans les champs et dans les assiettes sans avoir été évalués. Pourtant, ce sont bien des OGM. 

De nombreux effets hors-cibles

Pour la « plateforme sur les nouvelles techniques d’amélioration » [1], les nouvelles techniques « peuvent être utilisées pour apporter de nouvelles caractéristiques de manière plus précise et efficace » que la transgenèse, laquelle avait été « vendue » à la fin des années 1990 comme d’une précision quasi absolue. Or, on a bien vu au cours des quinze dernières années que cette précision était toute relative : plusieurs transgènes peuvent s’insérer dans des lieux non prévus. Ces nouvelles techniques n’échappent pas à la règle et d’ores et déjà certains scientifiques alertent sur les effets hors-cibles qu’elles induisent. Même les industriels, à l’instar de Philippe Horvath de l’entreprise DuPont qui travaille sur un maïs modifié à l’aide de Crispr/Cas9, concèdent que « pour la précision, il y a des effets secondaires, des coupures indésirables, probablement, et la technique mérite d’être développée encore ».

Par effet hors-cibles, on entend les modifications non souhaitées qui peuvent apparaître ailleurs dans le génome. Ces effets sont de deux natures : des coupures peuvent avoir lieu à d’autres endroits de la séquence d’ADN et conduire à des recombinaisons génétiques (changement de la séquence de l’ADN) et des molécules peuvent être ajoutées ou retirées sur les bases constituant l’ADN et conduire à des épimutations (sans changement de séquence de l’ADN). Ces mutations peuvent potentiellement être sources d’effets toxicologiques, allergiques, nutritionnels ou autres. Toutes les étapes de mise en route d’une technique (culture de cellules in vitro, introduction de matériel dans la cellule, modification en elle-même) sont, comme le rappelle Yves Bertheau, ex-membre du Comité scientifique (CS) du Haut Conseil sur les Biotechnologies (HCB), génératrices de « stress cellulaires et donc de mutations et épimutations ».

Ce même Comité scientifique reconnaît aussi de tels effets hors-cibles mais considère que « ‘comme les techniques s’améliorent », ces effets se réduiront et leur nombre « ne sera pas différent de celui des variations naturelles de séquence, il ne sera alors pas possible de faire une différence avec ces variations naturelles »… Un discours qu’on nous avait déjà servi au moment du lancement des plantes transgéniques. Mais qui achèterait du pain de mauvaise qualité pour permettre à son boulanger de s’améliorer ?

Les effets hors-cibles peuvent aussi tracer les techniques

Mais l’affirmation du Comité scientifique du HCB quant à l’impossibilité de faire la différence entre mutations apparues spontanément dans la nature et mutations induites en laboratoire n’est pas scientifiquement fondée. Car ces mutations sont aussi fondamentalement différentes : les mutations naturelles se produisent sur plusieurs générations, donc une échelle de temps longue. Le laboratoire supprime de fait cette co-évolution entre la plante et l’environnement et fait fi des régulations naturelles.

Enfin, la fréquence de mutations naturelles est radicalement différente de celle des mutations provoquées, comme le confirmait, lors d’une récente audition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), Jean-Christophe Gouache, de l’entreprise Limagrain, et aussi l’un des vice-Présidents du Comité Économique, Éthique et Social (CEES) du HCB. Il précisait qu’afin de rendre un blé résistant à l’oïdium (un champignon), trois gènes avaient été modifiés par deux de ces nouvelles techniques (Talen et Crispr/Cas9). Or, annonce-t-il, « il aurait fallu observer tous les plants de blé cultivés sur la planète pendant quatre millions d’années pour avoir une chance de trouver une seule plante présentant spontanément les trois bonnes versions du gène ».

Ces effets hors-cibles et ces lésions non désirées pourraient servir de signature de l’utilisation des nouvelles techniques et permettre d’établir si une mutation est apparue naturellement ou artificiellement. Une telle signature serait un outil efficace pour limiter les revendications des entreprises liées à leurs brevets. En effet, sans signature, une entreprise ayant un brevet sur une technique, ou une séquence génétique, est en droit de réclamer un usage exclusif de tout organisme ayant cette séquence, qu’elle soit présente naturellement ou non [2]… Avec une signature, cela n’est plus possible !

Renforcer l’évaluation des OGM et des nouveaux OGM

Les mouvements bio examinent attentivement si ces nouvelles techniques sont acceptables ou non dans leur cahier des charges. Et plusieurs organisations se sont déjà prononcées pour les exclure comme elles ont exclu les plantes transgéniques pour des raisons proches [3]. Dans ce cas, quid de l’intégrité de la filière bio et de sa coexistence avec ces nouveaux OGM ? La modification génétique apportée et le brevet associé seront présents dans les graines et le pollen. Ils se dissémineront et pourront alors contaminer les champs de ceux qui veulent s’en prémunir. Qui sera responsable ?

Enfin, comme les plantes transgéniques, ces nouveaux OGM seront en majorité modifiés pour produire des insecticides ou tolérer des herbicides. Il est donc d’ores et déjà acquis qu’adventices ou insectes visés développeront plus ou moins rapidement une résistance.

Le calendrier européen n’est pas le fruit du hasard. Alors qu’on a évoqué la faiblesse de l’évaluation des plantes transgéniques, il se pourrait bien que cette évaluation soit encore affaiblie. Un programme controversé consacré aux risques des OGM, le programme GRACE, a en effet conclu que les études de toxicologie ne sont pas toujours nécessaires. Ceux qui se battent pour une protection réelle de la santé humaine et animale et de l’environnement devront donc se battre sur deux fronts : obtenir que les nouveaux OGM soient évalués a minima comme des OGM et que l’évaluation des OGM, anciens et nouveaux, soit renforcée… ou au moins pas trop amputée.

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[1la « plateforme sur les nouvelles techniques d’amélioration » regroupe des entreprises (comme Syngenta ou KeyGene) et des instituts de recherche (comme Rothamsted Research),Eric MEUNIER, « Quel encadrement juridique dans l’Union européenne ? », Inf’OGM, 22 août 2016

[3voir encadré Christophe NOISETTE, « Les paysans bio disent non aux nouveaux OGM », Inf’OGM, 22 août 2016

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