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« Vaccin » à ARN messager auto-amplificateur : après l’Homme, le Canard

Par Annick BOSSU

Publié le 04/03/2025

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Depuis un an et demi, la France a rendu obligatoire la vaccination des canards d’élevage contre le virus de influenza aviaire en vue de préserver ses filières commerciales (viande et foie gras). Jusqu’à ce jour, la France est le seul pays à s’être engagé dans cette voie vaccinale. Celle-ci suscite des interrogations pour un des deux vaccins utilisés, celui à ARN messager (ARNm) auto-amplificateur.

Dans une publication de novembre 2024 émanant du ministère de l’Agriculturei, nous apprenons que, depuis le 1er octobre 2023, la France a rendu obligatoire la vaccination des canards d’élevage contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). Cette obligation concerne tous les élevages de taille supérieure à 250 oiseaux, à l’exception des élevages de canards reproducteurs dont la production (oiseaux d’un jour ou œufs à couver) est destinée au marché européen ou à l’exportii. Ainsi, entre le 1er octobre 2023 et le 30 septembre 2024, 61 millions de canards ont fait l’objet d’une vaccination obligatoire contre l’IAHP. Le 1er octobre 2024, cette campagne a été reconduite avec deux vaccins différents, dont un d’un nouveau type : le vaccin à ARNm auto-amplificateur (qui n’avait pas été choisi le 1er octobre 2023 à cause de ses conditions de transport à basse température).

Inf’OGM s’est déjà intéressé au « vaccin » à ARNm auto-amplificateur contre la Covid chez l’Homme et à ses potentiels dangers pour la santé humaineiii. Dans le cas des vaccins vétérinaires contre l’influenza aviaire, le ministère affirme que « la consommation de produits issus d’animaux vaccinés ne comporte aucun danger. Les vaccins disposent d’une autorisation délivrée par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) qui garantit leur innocuité »iv. Qu’en est-il vraiment ?

Une gestion dans l’urgence de l’épizootie d’influenza aviaire

Depuis le début des années 2000, l’épizootie d’influenza aviaire s’est propagée des pays asiatiques aux pays européens via le système industriel d’élevage et les voies de communication accélérées. Le responsable de cette épizootie serait un virus à ARN, nommé par l’acronyme A(H5N1), avec A pour aviaire, H pour hémagglutinine (protéine de surface permettant au virus de se fixer sur la cellule qu’il infecte) et N pour neuraminidase (enzyme qui permet au virus de sortir de la cellule, une fois répliqué)v. Ce virus mute et se recombine beaucoup. En conséquence, il en existe de très nombreux sous-types. La fiche 1vi éditée par le ministère de l’Agriculture précise que celui qui circule majoritairement appartient au clade 2.3.4.4b.

Cette même fiche, pour justifier la vaccination des canards, explique que cette épizootie provoque des pertes économiques importantes et fait peser une menace permanente sur les oiseaux sauvages et les mammifères, dont l’espèce humaine.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) précise de son côté que « le virus influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) de sous-type H5N1 est un virus qui circule intensément depuis plusieurs années à l’échelle mondiale, principalement chez les oiseaux sauvages (comme les canards et les oies) et les volailles domestiques (poules, canards, dindes). Il est également capable d’infecter de nombreuses espèces de mammifères sauvages (renard, phoques, otaries, etc.) et domestiques (chats, chiens, porcs). Ce virus a également été détecté pour la première fois chez des vaches laitières aux États-Unis. Le virus peut se transmettre occasionnellement à l’homme, on parle alors de grippe aviaire. A ce titre, la situation internationale est préoccupante, notamment aux États-Unis, mais aucune transmission interhumaine n’a été observée à ce jour. En France, aucun cas humain de grippe aviaire n’a pour lors été détecté »vii.

En mai 2023, l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) a ouvert la voie à la vaccination contre le virus de l’influenza chez les canards, estimant que les mesures de luttes classiques « telles que la biosécurité, l’abattage sanitaire et les restrictions de mouvements » ne suffisaient plusviii.

Cependant, concernant cette vaccination, l’Anses avait préalablement (le 30 mars 2023) donné un avis suite à une saisine de la DGAL (Direction générale de l’alimentation)ix. Cet avis se revèle d’une grande prudence. En effet, à de nombreuses reprises, il est noté que l’expertise est « fondée sur des hypothèses qu’il conviendra de vérifier ».

L’injection à ARNm utilisée sur les canards français

Pour être commercialisé en France, tout médicament ou vaccin fabriqué industriellement doit avoir reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Agence européenne du médicament (EMA en anglais) ou, à défaut, d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Pour les vaccins vétérinaires, cette ATU est délivrée par l’Agence nationale du médicament vétérinairex, ce qui est le cas pour les deux vaccins utilisés contre le virus de l’influenza aviaire. Sur le site de l’Anses, on retrouve les deux ATU concernéesxi.

Le premier vaccin, dénommé VOLVAC B.E.S.T. AI + ND, n’est pas un vaccin « génétique », à savoir à ARN ou ADN. C’est un vaccin à protéine recombinante (ou à sous-unités virales : ici l’hémagglutinine H5 modifiée du virus de l’influenza aviaire). Il a été utilisé lors de la première campagne de vaccination, d’octobre 2023 à septembre 2024, et il est renouvelé pour la vaccination débutée au 1er octobre 2024.

Le deuxième vaccin, à ARNm auto-amplificateur, nommé CEVA RESPONS A1 H5, est utilisé depuis le 1er octobre 2024. Sur le site de l’Anses, en tête sur l’ATU, on lit que « (Compte tenu d’une situation sanitaire nécessitant une vaccination en urgence), la présente autorisation temporaire d’utilisation (ATU) a été attribuée en prenant en compte une balance bénéfice risque jugée positive du vaccin au vu des éléments fournis avec néanmoins un niveau de preuve limité concernant les mentions des informations disponibles ». De plus, la date de validité de cette ATU est le 1er avril 2025, alors que la vaccination avec ce produit a débuté le 1er octobre 2024 pour une durée d’un an. 

Inf’OGM a demandé des précisions à l’Anses. Concernant l’expertise, nous avons questionné sur l’évaluation des risques qui a été conduite et qui permet de dire que la balance bénéfices/risques a été jugée positive. Inf’OGM a demandé à l’Anses l’avis faisant état de ces conclusions. Aucune réponse n’a encore été reçue au moment de publier de cet article.

Quant aux bénéfices, l’efficacité de la vaccination a fait l’objet d’un travail commun Anses/École nationale vétérinaire de Toulousexii. Cette efficacité se révèle relative : l’excrétion digestive et respiratoire du virus par les animaux vaccinés est seulement réduite par rapport à celle des non-vaccinés. Elle n’est pas supprimée. De ce fait, la transmission du virus entre canards vaccinés est possible : l’immunité collective n’est pas établie. Des travaux complémentaires doivent être réalisés. 

L’ATU pour le vaccin à ARNm auto-amplificateur a été délivrée à l’entreprise française CEVA Santé Animalexiii. Son « vaccin » contient une longue molécule d’ARNm artificielle codant pour la protéine anti-génique H contre le virus, mais il contient aussi d’autres séquences codant pour des réplicases (enzymes). Ces réplicases vont augmenter de façon considérable la quantité d’ARNm artificiel produit et donc de protéine anti-géniquexiv sans qu’on sache si cette réplication est susceptible de s’arrêter, ni comment.

Ces risques d’auto-amplification de l’ARNm modifié dans le corps de l’animal (poule et différentes sous-espèces de canards) ont toutes les chances d’être les mêmes que chez l’Hommexv. Mais cet ARNm étant destiné ici à un animal qui doit être abattu pour être mangé, la santé de celui-ci ne semble pas être un problème, si elle permet aux canards de survivre jusqu’à l’abattage. 

Le vaccin contient aussi des excipients : de l’oxyde de fer sous forme de nanoparticules enrobant l’ARNm et du squalène, dont l’innocuité n’est pas prouvée. Mais, là encore, la santé de l’animal vacciné ne compte pas s’il survit jusqu’à l’abattage.

Autre problème : il est avéré en immunologie que les vaccins peuvent exercer une pression de sélection sur les souches virales en circulation. Les souches non-ciblées par le vaccin sont favorisées et, parmi elles, peut émerger un variant ayant un potentiel de pathogénicité accru. C’est l’un des risques majeur des vaccins, que ce soit pour l’espèce vaccinée ou pour d’autres espèces, dont l’Hommexvi.

Quels risques pour la santé humaine ?

Dans l’organisme vacciné avec l’ARNm, celui-ci est excrété des cellules qui l’ont synthétisé, puis distribué dans les tissus du corps. Ceci a été démontré dans le cas des injections à ARNm contre la Covidxvii dans l’espèce humaine.

Dans le cas du « vaccin » CEVA RESPONS A1 H5, l’auto-amplification augmentera aussi cette distribution de l’ARNm modifié (encapsulé ou nu) dans les organes ainsi que celle de la protéine antigénique H synthétisée. Les muscles et le foie seront touchés. Se pose alors la question : a-t-on évalué, dans les études pré-cliniques, la possibilité de transmission à l’Homme de l’ARNm auto-amplificateur lorsque celui-ci mange la chair et le foie gras du canard ? D’autant que ce dernier est souvent consommé mi-cuit.

Il est dit que la « vaccination » est arrêtée, comme pour les autres vaccins, quelques semaines avant l’abattage des canards. Est-ce suffisant dans ce cas ? Un contrôle minutieux et systématique sur la présence résiduelle des ARNm auto-amplificateurs est-il réalisé après abattage ?

Peut-on également garantir que les excipients du vaccin ne se transmettront pas dans l’espèce humaine via la consommation de viande ou de foie gras ? Rappelons que l’innocuité du squalène des vaccins utilisés contre l’épidémie humaine de grippe H1N1 en 2009 a été mis en cause et qu’aucune évaluation concernant les nanoparticules n’a été faitexviii.

Aucune de ces considérations n’est notifiée dans la fiche d’autorisation temporaire de ce « vaccin ». Seule est considéré le danger accidentel du vaccin pour la personne qui réalise l’injection. Dans cette même fiche, ATU n° 90053, les précautions particulières concernant la protection de l’environnement sont énoncées sans objet.

Le site de l’Ansesxix précise que : « Les vaccins destinés aux espèces de rente présentent la particularité d’être utilisés sur des animaux dont les produits (lait, œufs, viande, abats, etc.) sont consommés par l’être humain. Une étape supplémentaire à l’évaluation est ajoutée via une évaluation minutieuse pour garantir l’innocuité du vaccin pour les personnes consommant ces produits. Cela signifie que chaque composant du vaccin, qu’il s’agisse du principe actif ou des éventuels adjuvants et excipients, est soigneusement vérifié pour s’assurer qu’il ne présente aucun risque lorsqu’un produit animal est consommé ».

Où peut-on trouver le déroulé de tous ces travaux minutieux de vérification ? Et, en particulier, où trouver les preuves scientifiques que « lorsqu’un produit issu d’un animal vacciné est consommé [par l’espèce humaine], l’ARNm résiduel éventuel est détruit dans l’estomac par les enzymes digestives et les conditions acides »xx ? Rappelons que, dans le cas de la Covid, de l’ARN vaccinal a été retrouvé chez l’Homme dans tous les organes sans exceptionsxxi. Certes en petite quantité, mais qu’en sera-t-il chez le canard avec l’auto-amplification du processus de réplication de l’ARN messager ?

En l’absence de données concernant la sécurité alimentaire et environnementale de ces vaccins à ARNm auto-amplificateur, ne devrait-on pas appliquer le principe de précaution et lever l’obligation de ce type de vaccination des canards en France, voire interdire ces « vaccins » ?

Il est en tout cas urgent de penser à des stratégies simples pour lutter contre l’influenza aviaire : entretenir la diversité génétique des canards au sein des élevages, alors qu’ils sont actuellement tous issus d’un nombre très réduit de lignées ; réduire la taille et la densité des élevages, ce que suggère justement l’ENVTxxii, les petits élevages (et à l’air libre) étant beaucoup plus aptes à résister contre l’influenza aviairexxiii. Plusieurs petites structures sont plus résilientes qu’une grosse.

Derrière ces questions de vaccins pour les animaux, c’est bien l’agriculture industrielle que nous devons interroger.

i Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, « Influenza aviaire : le plan de vaccination de la France », 13 novembre 2024.

ii Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, « 10 informations à retenir concernant la vaccination contre l’IAHP », octobre 2024.

iii Annick Bossu, « Une deuxième vague de vaccins à ARNm arrive sur le marché », Inf’OGM, 5 novembre 2024.

iv Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, « 10 informations à retenir concernant la vaccination contre l’IAHP », octobre 2024.

v Isabelle do O’Gomes, « Qu’est-ce que la grippe aviaire ? », Sciences et avenir, 20 juin 2022.

vi Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Direction Générale de l’Alimentation, « Fiche 1 – Justification de la vacination », octobre 2024.

vii Anses, « Virus Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) : les autorités sanitaires françaises poursuivent leurs actions et renforcent leur coopération face au risque de circulation d’un virus adapté à l’Homme », 6 février 2025.

viii OMSA, « Projet de résolution n° 28 – Défis stratégiques afférents au contrôle mondial
de l’influenza aviaire de haute pathogénicité »
, mai 2023.

ix Anses, « AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à « l’élaboration d’une stratégie nationale de vaccination au regard de l’influenza aviaire hautement pathogène en France métropolitaine » », 30 mars 2023.

x Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Direction Générale de l’Alimentation, « Fiche 4 – Présentation du vaccin autorisé », octobre 2024.

xi Anses, « Annexe à l’ATU n° 90055 ».
Anses, « Annexe à l’ATU n° 90053 ».

xii Anses et ENVT, « Expérimentation de vaccination des canards mulards en élevage contre un virus influenza aviaire hautement pathogène A(H5N1) clade 2.3.4.4b – Rapport intermédiaire : « Évaluation expérimentale de la protection clinique et de l’excrétion virale » », 7 avril 2023.

xiii Première entreprise française de santé animale, cinquième au niveau mondial, Ceva Santé animale compte 7 000 salariés répartis dans 47 pays. Son siège historique est basé à Libourne (33). Son chiffre d’affaires en 2024 : 1,77 milliard d’euros.
Valérie Deymes, « Ceva Santé animale inaugure un laboratoire génomique pour les crises sanitaires de demain », Sud Ouest, 9 février 2025.

xiv Annick Bossu, « Une deuxième vague de vaccins à ARNm arrive sur le marché », Inf’OGM, 5 novembre 2024.

xv Ibid.

xvi Iwami S, Suzuki T, Takeuchi Y., « Paradox of vaccination: is vaccination really effective against avian flu epidemics? », PLoS One, 2009.

xvii Annick Bossu, « Biotechnologies médicales à ARN : nouveau Graal ? », Inf’OGM, 30 mars 2023.

xviii Mathilde DETCHEVERRY, « Nanotechnologies dans les champs : rien de neuf depuis vingt ans ? », Inf’OGM, 20 février 2025.

xix Anses, « Vaccins vétérinaires : le point sur leur évaluation et leur autorisation », 29 janvier 2025.

xx Ibid.

xxi Annick Bossu, « Une deuxième vague de vaccins à ARNm arrive sur le marché », Inf’OGM, 5 novembre 2024.

xxii ENVT, « Influenza aviaire : nécessité de repenser les stratégies de gestion en élevage », 22 octobre 2024.

xxiii GRAIN, « La grippe aviaire: une aubaine pour ‘Big Chicken’ », 5 avril 2007.

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