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OGM : perte de soutien de la Commission européenne

Par Eric MEUNIER

Publié le 28/03/2023, modifié le 08/07/2024

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En deux ans, la Commission européenne semble avoir perdu plusieurs soutiens à son projet de déréglementer de nombreux OGM. Les réserves de plusieurs États membres ont éclaté au grand jour le 16 mars 2023, lors une réunion des ministres européens de l’Environnement.

Une semaine avant le Conseil européen des ministres de l’Environnement du 16 mars 2023, l’Autriche adressait aux États membres une note intitulée : « Réglementation des plantes obtenus par les nouvelles techniques génomiques – besoin de discussions prolongées sur les aspects environnementaux » [1]. Ce pays a obtenu que cette note soit discutée lors de cette réunion européenne.

L’Autriche reproche à la Commission un manque de sérieux scientifique

Dans sa note, l’Autriche reproche à la Commission européenne d’avoir initié une réflexion pour un éventuel nouvel encadrement des OGM sur la base de « concepts vagues et insuffisamment élaborés ». Dressant un historique du dossier, l’Autriche rappelle qu’en 2021, un éventuel changement de la réglementation des plantes génétiquement modifiées par « mutagénèse et cisgénèse, actuellement couvertes par la réglementation sur les OGM » a fait l’objet d’une analyse d’impact initiale menée par la Commission [2]. Cette dernière a ensuite conduit une consultation publique [3], elle-même suivie d’une nouvelle évaluation d’impact reposant sur des consultations supplémentaires des citoyens, des parties prenantes et des États membres [4].

Ces consultations, vivement critiquées pour leur partialité par de nombreuses organisations environnementales et paysannes, ne satisfont pas non plus l’Autriche, ni la Hongrie et Chypre, qui avaient préalablement annoncé partager le constat autrichien. Ainsi, l’Autriche explique regretter que l’évaluation d’impact ait été conduite « principalement par le biais d’un questionnaire qui reposait, en grande partie, sur des attentes, hypothèses et scénarios plutôt que sur des données et méthodes scientifiques ». L’Autriche souligne que le questionnaire a amené un certain nombre d’États membres à ne pas pouvoir répondre aux questions, voire à refuser de répondre. Elle estime « que le résultat de ce questionnaire ne peut et ne devrait pas servir de base aux futures actions législatives de l’Union européenne sur les plantes obtenues par les nouvelles techniques génomiques ». L’Autriche dénonce aussi une lacune de la Commission européenne quant aux données scientifiques. Elle fait référence à l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA / AESA), publiée en octobre 2022, sur les critères d’évaluation des risques liés aux plantes obtenues par « mutagénèse et cisgénèse ». L’Autriche commente cet avis ainsi : « avant que les critères proposés ne soient mis en œuvre, de nombreux points méritent de plus amples développement et définitions […] notamment sur les aspects environnementaux pour lesquels de nombreuses questions restent ouvertes que l’AESA considèrent trop vagues ».

Dans sa note, l’Autriche demande donc à la Commission européenne de « conduire une évaluation complète des risques basée sur des données solides plutôt que des hypothèses ». Elle souhaite également que la Commission finance concrètement des recherches dans les domaines de la biosécurité, des impacts sur la biodiversité et sur la détection des produits issus de ces nouvelles techniques. Enfin, l’Autriche souhaite que la Présidence suédoise de l’UE convoque un groupe de travail ad hoc « afin de faciliter les discussions impliquant tous les domaines concernés (environnement, santé et agriculture), respectant le cadre de la législation actuelle sur les OGM et en tenant compte des responsabilités des différentes autorités compétentes dans les États membres ».

Huit pays appuient la demande autrichienne

Sur les vingt-six autres États membres représentés au Conseil des ministres de l’Environnement du 16 mars 2023, onze ont réagi à la demande autrichienne [5]. La Hongrie et Chypre ont, en toute logique, réitéré leur soutien. Le Luxembourg a estimé être de « la plus haute importance que le niveau de sécurité de tous les OGM, y compris pour les plantes obtenues par mutagénèse dirigée et cisgénèse, pour les humains et les animaux ainsi que pour l’environnement reste élevé ». Pour ce pays, la « primauté du principe de précaution » doit être maintenue, notamment pour les effets potentiels encore inconnus, qu’ils soient à long terme ou indirectement liés à l’utilisation de ces nouvelles techniques. Le Luxembourg a également insisté, comme il l’avait déjà fait en 2021 [6], sur sa volonté d’avoir « un étiquetage compréhensif permettant aux consommateurs de faire un choix éclairé ».

L’Allemagne a également pris la parole pour soutenir la demande de l’Autriche. Pour ce pays, « la manière dont nous gérons ces nouvelles techniques génomiques dans l’Union européenne est importante pour de nombreux acteurs, à commencer par le monde de la recherche, de la production, du commerce et des consommateurs et bien sur pour l’Environnement et la protection de la Nature ». Souhaitant que « la liberté de choix ainsi que de la coexistence de différents modèles de culture » soient respectées, l’Allemagne a interpellé la Commission européenne pour connaître ses « intentions […] en matière d’étiquetage, de liberté de choix et de coexistence ». Quant aux lacunes scientifiques, l’Allemagne partage le point de vue autrichien. Elle a souhaité en savoir plus sur les notions scientifiques à la base de l’approche de la Commission européenne. Enfin, la Belgique, la Slovénie, l’Estonie et la Slovaquie se sont également positionnées plus ou moins clairement en appui de la demande autrichienne.

Seuls trois autres pays ont pris la parole pour soutenir la Commission européenne : les Pays-Bas, le Danemark et la Lituanie. Ils n’ont pas commenté la demande portée par les huit pays d’une base scientifique plus solide pour avancer. Ces pays ont estimé, à l’instar de la Lituanie, que « le règlement existant ne suffit plus vu l’échelle de la crise climatique et de la biodiversité. Les techniques innovantes pourraient apporter la solution ».

La France silencieuse, la Commission se défend… malgré les faits

Les quinze autres États membres, dont la France, ne se sont pas exprimés lors de cette discussion. La France avait pourtant précédemment déclaré soutenir « pleinement, pleinement » la Commission européenne, en mai 2021, lors d’une discussion des ministres de l’Agriculture [7]. Mais, en mars 2023, elle a choisi de ne pas prendre la parole pour réitérer ce soutien. Déjà, le 20 décembre 2021, lors d’un Conseil des ministres de l’Environnement, elle avait relativisé la position énoncée sept mois plus tôt et déclaré souhaiter que le cadre réglementaire respecte « les principes de proportionnalité et de précaution », soit « rigoureux et transparent » et à mène d’assurer l’information du consommateur, la traçabilité, l’étiquetage… La France avait alors conclu que la nécessité même de changer le cadre réglementaire était encore en débat [8]. Les positions défendues à Bruxelles par la France sur le sujet des OGM se décident en interministériel, sous l’arbitrage du Premier Ministre. L’absence de prise de parole le 16 mars dernier jette un flou sur un éventuel soutien de la France à la démarche de la Commission européenne. D’autres États membres, également soutiens en 2021 de la Commission européenne, se sont également tus, comme le Portugal, l’Espagne ou encore la République Tchèque.

Réagissant au tour de table sur la note autrichienne, la Commission européenne a essayé de défendre sa méthode de travail. Elle a ainsi rappelé avoir organisé « des consultations tous azimuts et des questionnaires ciblés, des citoyens, des États membres, des représentants de différents secteurs d’activité économique [via] des interviews structurées, discussions en groupe ». De même, « des experts [des États membres] ont été invités à plusieurs reprises à partager leurs avis en la matière, y compris sur ce que l’Autriche met en avant, à savoir l’approche la plus appropriée d’évaluation du risque » [9]. Mais au cours de cet échange, la Commission s’est contentée de souligner que « l’AESA a également pris en considération les éléments scientifiques les plus récents […]. Nos actions politiques reposeront bien évidemment sur les dernières données scientifiques recueillies, en résonance avec le principe de précaution ». Ces affirmations de la Commission européenne sont pour le moins tendancieuses : les experts européens ont expliqué que la Commission européenne ne leur a pas demandé de produire un avis scientifique aussi exhaustive qu’elle le prétend (voir l’encadré)… Un manque d’exhaustivité justement souligné par l’Autriche qui le lui reproche.

Quelles suites ?

Depuis la réunion des ministres de l’Agriculture, en mai 2021, les soutiens exprimés à la démarche de la Commission européenne ne font donc que baisser. Il faut dire que le contexte a changé durant les deux dernières années. Ainsi, tout récemment, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans un nouvel arrêt que toute technique qui génère des modifications génétiques de nature et à un rythme différents de celles résultant de techniques traditionnelles donne des OGM réglementés. Cependant, ce même arrêt a agrandi les mailles du filet permettant aux multinationales semencières d’espérer rendre le caractère OGM de leurs produits administrativement invisible [10]. Il est dès lors possible que des États membres partagent l’analyse de certains acteurs, estimant qu’un changement de cadre réglementaire pour exempter de nombreux OGM des requis d’analyse de risque ou d’étiquetage n’est plus aussi urgente qu’en 2021.

Un autre changement majeur est la prise de parole d’acteurs que l’on entendait peu jusque maintenant. À l’automne 2022, par exemple, de nombreux distributeurs et chaînes de supermarchés européens, principalement allemands et autrichiens, se sont exprimés pour exiger que tout OGM, qu’ils soient transgéniques ou issus de nouvelles techniques de modifications génétiques, soient correctement étiquetés [11]. En février 2023, dans une tribune publiée par Inf’OGM [12], la Confédération Paysanne dénonçait – à nouveau – le risque qu’en l’absence d’encadrement réglementaire et notamment d’étiquetage et de traçabilité des OGM obtenus par les nouvelles techniques, les brevets associés s’étendent aux plantes issues de sélection paysanne ou traditionnelles. Enfin, quelques entreprises semencières ont aussi pris la parole depuis le début de l’année pour dénoncer que les nouvelles techniques de modification génétique risquent de devenir « le cheval de Troie de la privatisation du vivant » [13].

Reste à savoir si la réunion de la Commission du 7 juin prochain lui permettra d’adopter une proposition finalisée et si la Présidence suédoise de l’UE (qui s’achève fin juin) organisera le groupe de travail ad hoc demandé par l’Autriche. À ce jour, la Suède répond à Inf’OGM avoir simplement « pris bonne note de la demande autrichienne ». Sans réponse de la Suède, cela sera la Présidence suivante, assurée par l’Espagne, qui devra organiser la suite de ces débats.

La Commission européenne restreint la portée scientifique du travail de ses experts


Pour répondre du sérieux scientifique de son travail préparatoire, la Commission européenne a rappelé aux États membres, le 16 mars 2023, que « l’AESA a également pris en considération les éléments scientifiques les plus récents ». Se faisant, la Commission fait référence à un avis que l’AESA a produite, à la demande de la Commission, en octobre 2022, sur les critères pour l’évaluation des risques liés aux OGM obtenus par « mutagénèse dirigée, cisgénèse et intragénèse ». Sur le papier, la Commission peut se targuer d’avoir un avis scientifique récent. Mais cette affirmation est pour le moins exagérée. En effet, un autre document accompagne l’avis de l’AESA, document qui rend compte des commentaires reçus par les experts européens ainsi que les réponses qu’ils y ont apporté [14].

Sa lecture est informative, car elle montre que la Commission européenne a limité le mandat de l’AESA et exclu plusieurs sujets qui auraient mérités d’être renseignés pour aboutir à un avis plus exhaustif scientifiquement. Dans le détail, les experts de l’AESA expliquent ainsi « ne pas avoir reçu mandat pour… » :

 « conduire une revue exhaustive de la littérature scientifique sur les techniques [dirigées par nucléase] et leurs effets inattendus » ;

 « décrire les risques liés aux différentes méthodes d’apport du matériel destiné à opérer la modification génétique » ;

 « comparer les plantes obtenues par [les nouvelles techniques de modification génétique] et les procédés naturels » ;

 « conduire une recherche bibliographique complète sur la cisgénèse et l’intragénèse » ;

 « évaluer la spécificité des outils [nucléase] » ;

 « fournir une liste complète de tous les requis et critères d’une évaluation des risques des plantes cisgéniques et intragéniques » ;

 « exprimer un avis quant à savoir comment devraient être évalués les risques des plantes cisgéniques / intragéniques » ;

 « discuter des effets non-intentionnels causés par les procédés [dits] dirigés sur site ».

Ce tout dernier point est d’ailleurs enrichi d’un commentaire de l’AESA. L’agence ne nie pas l’existence d’effets non-intentionnels liés à l’utilisation de techniques utilisant des protéines coupant l’ADN en des endroits supposés « précis » (les « site-directed nucleases » (SDN) en anglais). Au contraire, elle rappelle que « la caractérisation des effets non-intentionnels liés aux procédés SDN (nucléases), qui fait partie de l’étape de caractérisation moléculaire de l’évaluation des risques, est un requis du règlement européen 503/2013 et des lignes directrices de l’AESA ». Un requis que l’AESA justement « considère toujours nécessaire pour les plantes obtenues par des méthodes utilisant les SDN ».

[7ibid.

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