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OGM – Dérogations sur les étiquetages : la DGCCRF s’explique
Dans la suite des perturbations de la Covid, la guerre russo-ukrainienne et les dérèglements climatiques déstabilisent les marchés agroalimentaires, entraînant certaines pénuries. Au delà des crises alimentaires annoncées dans de nombreux pays « en développement », ces pénuries obligent les industriels à remplacer en dernière minute certains ingrédients par d’autres. Du coup, la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) permet certaines dérogations temporaires sur la liste des ingrédients des étiquettes. Qu’en est-il pour les OGM ?
Le 26 avril 2022, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mis en ligne un document intitulé Modifications temporaires de recette et dérogations d’étiquetage liées à la crise en Ukraine. Cette page explique qu’elle a accepté des dérogations en matière d’étiquetage « afin de permettre la poursuite de la production à condition que cela n’affecte pas la sécurité des consommateurs, notamment en cas d’allergie ». En effet, explique-t-elle, la guerre russo-ukrainienne met en péril l’approvisionnement de l’industrie alimentaire. Cette situation impose à cette dernière de « passer rapidement à d’autre(s) ingrédient(s), dans un laps de temps incompatible avec l’impression de nouveaux emballages ». Cette urgence « empêche dans certains cas les entreprises de se conformer pleinement à toutes les exigences en matière d’étiquetage alimentaire, et en particulier celles concernant la liste des ingrédients ». Ainsi les étiquettes ne correspondraient plus au contenu.
Le droit permet cette flexibilité mais il impose que chaque opérateur formule à la DGCCRF une demande de dérogation dans l’attente de la modification de l’étiquetage de ses produits. Les dérogations acceptées sont accordées pour une durée de six mois maximum à compter de la date de la demande et sont réexaminées au bout de trois mois. Ce qu’impose la DGCCRF n’est pas de changer les étiquettes déjà imprimées sur les emballages, mais un sur-étiquetage pour préciser les modifications dans les recettes. Par exemple, les fournisseurs devront apposer « via jet d’encre sur le pack de la mention : » huile tournesol —> huile colza » », ou marquer « au jet d’encre dans la zone DLC : « DEROG » », etc. Il y a plusieurs possibilités offertes de montrer sur l’emballage précédent qu’il est incorrect du fait d’un changement de recette. Ces dérogations, redisons-le, ne visent qu’à permettre aux fournisseurs de réimprimer des emballages corrects. La réévaluation de la DGCCRF visera notamment à analyser si l’entreprise a fait ou pas les démarches nécessaires pour se mettre en règle.
Les labels « Sans OGM » et « AB » respectés ?
La DGCCRF précise que les produits reformulés avec des ingrédients susceptibles d’être allergènes (dont le soja ou l’arachide) doivent faire « l’objet d’une information directe sur leur étiquetage, de façon visible et lisible ». « Font également l’objet d’une information explicite sur leur étiquetage les produits auxquels un ingrédient issu d’OGM aurait été ajouté ou qui seraient porteurs de l’une des allégations environnementales suivantes qui ne serait plus respectée du fait du changement de recette : « sans huile de palme », « sans OGM », « nourri sans OGM », « issu de l’agriculture biologique » ». Dans leur réponse écrite, la DGCCRF nous redit que « ce qui a trait à la problématique OGM est considéré comme ayant un impact substantiel en matière de loyauté. À ce titre, toute modification de recette conduisant un changement de caractéristique au regard des OGM doit faire l’objet d’une information du consommateur immédiate sur l’étiquetage des produits ».
La DGCCRF a mis en ligne un service pour « les consommateurs qui souhaitent connaître les produits et marques concernés et la nature des variations de recette » [1]. Il y a, au 24 mai 2022, 2481 items dans cette base de données (au 13 mai 2022, ils étaient 1843, soit une augmentation de +25,7%).
La majorité des dérogations concerne la substitution de l’huile de tournesol par de l’huile de colza. Les fabricants vont donc utiliser de l’huile de colza conventionnel, c’est-à-dire qui peut contenir, de façon fortuite et non intentionnelle, jusqu’à 0,9 % d’OGM. La DGCCRF nous précise qu’il n’existe pas sur le marché d’huile de colza étiquetée « sans OGM » (inférieur à 0,1 % d’OGM). Donc les fabricants qui demandent une dérogation ne peuvent pas étiqueter « colza non OGM » sur leur emballage. De même pour les dérogations qui concernent du soja. Par exemple, pour la pâte à tartiner saveur noisette de Carrefour, il est indiqué « remplacement de la lécithine de tournesol par de la lécithine de SOJA (allergène) »… Dans ce cas, le soja sera un soja conventionnel, mais le fabricant ne peut pas écrire « sans OGM » car il faudrait alors qu’il trouve de la lécithine de soja elle-même étiquetée « sans OGM ». Pour le soja, la DGCCRF nous précise encore : « S’agissant de la substitution de lécithine de tournesol par de la lécithine de soja, celle-ci ne conduit pas de facto à un étiquetage de la présence d’ingrédients génétiquement modifiés. En effet, même s’il est vrai que près de 75% des surfaces mondiales de soja sont génétiquement modifiées, il existe des filières dédiées, tracées, de soja conventionnel (par exemple au Brésil et en Argentine). Certains opérateurs, pour s’affranchir de la problématique OGM font également le choix d’un approvisionnement national (aucun soja génétiquement modifié n’est autorisé à la culture en Europe) ».
Au 20 mai 2022, 44 dérogations précisaient que le colza était « sans allergènes, ni OGM ». Les autres fiches, majoritaires, ne précisent pas ces deux éléments. La DGCCRF nous répond qu’ « étant donné que les demandes de dérogation sont individuelles, pour chacun des produits concernés, les éléments apportés pour justifier la demande peuvent varier selon les opérateurs ». Mais au final, toutes ces dérogations sont équivalentes, nous certifie la DGCCRF.
Au 13 mai 2022, les seuls produits explicitement concernés par la question des OGM étaient des œufs de la marque Auchan. Ces œufs étaient initialement issus de poules nourries sans OGM, mais ceci n’est, semble-t-il, plus possible, d’où la dérogation demandée. Auchan doit donc ajouter sur les emballages « dans la zone de réserve, la mention « ALIMENTATION SANS OGM NON GARANTIE » ». Le 20 mai, ces dérogations n’étaient plus présentes sur le site. La DGCCRF nous explique qu’Auchan a donc dû refaire ses emballages, et que donc cette dérogation est devenue caduque. Pourtant on les retrouve le 23 mai. Que s’est-il passé ? La DGCCRF nous a promis de nous répondre très prochainement.
Enfin, interrogée sur des contrôles spécifiques liés à ces dérogations, la DGCCRF nous répond qu’actuellement ils ne sont pas prévus, mais que cette question « est en train de se poser ».
Le colza, un marché sous pression
Le remplacement de l’huile de tournesol par de l’huile de colza ne va-t-il pas engendrer une hausse importante des importations de colza ? Le journal Terre-net évoque que les triturateurs européens vont avoir besoin « d’acheter entre 5 et 5,5 millions de tonnes de colza et de canola sur le marché mondial« [2]. Or, 27% du colza cultivé au niveau mondial était transgénique en 2019, selon l’Isaaa (soit plus de 10 millions d’hectares). Par ailleurs, selon les statistiques de la FAO, en 2020, l’Union européenne arrive en tête des surfaces de colza, suivi du Canada, de l’Inde, de la Chine, de l’Australie. Et au Canada, plus de 95% du colza est transgénique. En Australie, la part du colza transgénique augmente d’année en année pour atteindre près de 20% des surfaces. Dernier élément pour comprendre la problématique et les enjeux actuels, le plus gros exportateur de colza est le Canada. Il expédie surtout du canola vers la Chine, l’Union européenne et le Japon. L’Europe importe surtout des graines de colza d’Ukraine et du Canada. Ses importations augmentent régulièrement et sont passées de 4,2 Mt en 2017-2018 à 6,1 Mt en 2020-2021 [3].
[2] Terre-net, « Les cours du colza peuvent-ils rester à ce niveau en 2022 ? », 7 avril 2022
[3] Terre-net, « Une embellie cette année grâce aux challengers », 19 février 2021