Actualités
Lobby pro-OGM : le parcours des salariés de Emerging Ag Inc.
Emerging Ag Inc. est une société de lobbying au service de l’industrie des biotechnologies. Discrète, elle a pourtant d’ores et déjà plusieurs « victoires » à son actif, grâce à des salariés venant de cette industrie.
Emerging AG a été créée en 2010. Elle a participé activement, lors de la Conférence des Parties (COP) de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) en Égypte en 2017, à faire échouer le projet de moratoire international sur les organismes vivants issus du forçage génétique. Cette action a été dénoncée par un appel soutenu par 170 organisations de la société civile internationale.
Ce rôle d’Emerging AG a été mis en évidence par la publication de très nombreux courriels. Edward Hammond et Third World Network avaient en effet fait une demande au nom de la liberté d’information. Ces courriels révèlent que Emerging AG a coordonné plus de 65 chercheurs (dont Kent Redford de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Luke Alphey [1], ex-employé d’Oxitec [2] et désormais chercheur au The Pirbright Institute [3] pour faire la promotion du forçage génétique. Ces chercheurs ont aussi été instrumentalisés dans d’autres groupes d’experts au niveau international. Ce que conteste la rédaction du journal Nature. En effet dans un édito [4], elle écrit : « Il s’agit d’une tentative déloyale de créer une image préjudiciable et polarisante. Les courriels révèlent des discussions essentiellement banales sur la recherche et les réunions. Lorsqu’ils évoquent le processus des Nations unies, ils expliquent comment les scientifiques peuvent partager leur expertise sur la technologie et ses impacts potentiels. (…) Mais présenter ces échanges comme infâmes, comme l’ont fait les militants, ne fait que polariser les discussions. Et cela pourrait délégitimer le rôle des scientifiques dans les discussions des Nations unies – l’un des rares mécanismes actuellement disponibles pour examiner les implications de la technologie d’un point de vue mondial ».
La Fondation Bill et Melinda Gates en embuscade
Cette action de lobbying d’Emerging AG a été financé par la Fondation Bill et Melinda Gates. Concrètement, Emerging AG a reçu 4,1 millions de dollars (une première aide de 1,6 millions de dollars en 2017 [5] et une seconde de 2,5 millions en 2020 [6]) de cette fondation pour aider et promouvoir la biologie de synthèse et le forçage génétique.
Autre « victoire »… Emerging AG est l’entreprise qui a orchestré les discussions sur le forçage génétique au sein de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et a donc réussi à placer des experts favorables à cette technologie, comme Luke Alphey, évoqué précédemment. Le premier rapport de l’UICN et la motion qui en découlait était très laxiste et mentionnait précisément que le forçage génétique était un outil pertinent dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité. On notera que le forçage génétique permettant d’éradiquer une espèce, il est fort d’arriver à présenter cette technique pour la « conservation de la biodiversité ». En août 2019, cette entreprise a étroitement contrôlé un webinaire de l’UICN, notamment lors des séances de questions / réponses en évitant que certains acteurs s’expriment.
Interrogée sur ce projet de motion, qui doit être adoptée en septembre 2021, Ana Di Pangracio de FARN en Argentine (une ONG membre de l’UICN) a déclaré : « Le projet actuel de motion sur la biologie synthétique est maintenant fortement crocheté, après de nombreuses contributions des membres de l’UICN. Cela montre que de nombreux membres sont préoccupés par le fait que le projet initial n’était pas strictement conforme à l’approche de précaution requise« . Le débat au sein de l’UICN reste donc vif et de nombreux membres demandent que l’UICN procède à une nouvelle évaluation, cette fois avec des experts indépendants plutôt qu’avec des acteurs industriels et des chercheurs ayant des contrats pour développer les technologies.
Emerging AG très proche des Nations unies
Plusieurs membres de Emerging AG ont été très proches des agences des Nations unies. Ils en connaissent parfaitement bien les rouages. Ainsi, la présidente et fondatrice d’Emerging AG, Robynne Anderson [7], selon le site d’Emerging AG, a participé à des processus à l’Assemblée générale des Nations unies, à Rio+20, au Comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale, aux négociations des Nations unies sur les objectifs de développement durable. Robynne Anderson représentait des organisations accréditées auprès des Nations unies, faisant entendre la voix de l’agriculture dans les processus multigouvernementaux. Elle a aussi été directrice de la Communication de CropLife [8]. Et elle a aussi coordonné le réseau Agri Food international (dont les membres sont notamment des entreprises agro-alimentaires (Cargill), semencières (Bayer) et dont un des buts est de faire valoir les biotechnologies agricoles. Ainsi ce réseau a, par exemple, coordonné une délégation pour participer activement à la conférence sur les biotechnologies agricoles organisées par la FAO en 2017 en Éthiopie [9]. Robynne Anderson est aussi très impliquée dans le réseau TechnoServe dont certains membres viennent de l’industrie comme par exemple Pamela Chitenhe [10] (qui travaillait chez Monsanto).
Bibi Ally [11], lit-on sur leur site, « a fait ses preuves en tant que négociatrice et bâtisseuse de consensus auprès des Nations unies et de diverses organisations internationales à New York, Genève et Rome ». Brian Baldwin [12], lui, a travaillé comme économiste indépendant auprès de l’Usaid, FAO, Unido, etc. Paulette Bethel [13], a été été cheffe de cabinet au bureau du président de la 68e session de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), puis conseillère spéciale pour la coordination et l’engagement au sein du bureau du président de la 70e session de l’AGNU. Rosemary Navarrete [14], quant à elle, a travaillé au sein de la FAO comme conseillère agricole pour le ministre australien à l’agriculture. Ben Robinson [15] a travaillé à la FAO et notamment au Bureau de l’Évaluation [16] de cette agence.
De beaux CV, entre entreprises et entités internationales
Les autres membres d’Emerging AG ont aussi des CV qui permettent de comprendre les positions défendues par cette entreprise de « relations publiques »… Ainsi Morgane Danielou a travaillé pour Target Malaria (un projet de forçage génétique financé notamment par la Fondation Bill et Melinda Gates). Elle a aussi travaillé pour le Comité des Nations unies pour la Sécurité alimentaire, la Banque mondiale, the International Food Policy Research Institute (IFPRI) – une agence de lobby déguisée en centre de recherche et largement financée également par la Fondation Gates [17] – , et The International Fertilizer Association (IFA). Elle a été vice Présidente du Comité sur les questions agricoles au sein du Business and Industry Advisory Committee (BIAC) qui siège à l’OCDE.
Fabio Niespolo a travaillé pour plusieurs structures agricoles européennes et notamment pour Futuragra, un syndicat agricole italien pro OGM. Il est intervenu pour Europabio [18].
Isabelle Coche a travaillé pour CropLife et comme consultante sur les questions entre agriculture et changement climatique. En tant qu’employée d’Emerging AG, elle a cosigné une note d’information publiée par le CGIAR [19] sur les liens entre agriculture et changement climatique dans laquelle est mise en avant la fameuse Climate Smart agriculture.
[1] Luke Alphey a reçu une subvention de 2,66 millions de dollars de la part du gouvernement étasunien (DARPA) pour participer à un projet sur le forçage génétique.
[2] Oxitec a mis au point et diffusé massivement des moustiques transgéniques afin de lutter contre certaines maladies infectieuses comme le paludisme ou la dengue. À l’heure actuelle, ces lâchers n’ont pas eu des résultats très probants : https://www.infogm.org/6935
[3] Le Pirbright Institute est un centre de recherche financé principalement par des subventions publiques, qui travaille sur les virus et autres maladies infectieuses. Ses chercheurs ont ainsi modifié génétiquement des moustiques femelles afin qu’elles ne puissent plus voler, donc se nourrir et se reproduire. « Les chercheurs de Pirbright ont ciblé Act4, le gène responsable de la production d’une protéine appelée actine dans les muscles de vol des moustiques femelles, qui est essentielle à la fonction musculaire ». (https://www.pirbright.ac.uk/press-releases/2020/12/flightless-female-mosquitoes-generated-pirbright-could-aid-disease-control). Ils ont aussi cherché à modifier un gène chez les Anopheles gambiae, gène qu’ils nomment femaless. Ils auraient ainsi démontré que si l’on diminue expérimentalement l’expression de ce gène dans les œufs de moustiques, les femelles se transforment en individus ressemblant davantage aux mâles en apparence et sont incapables de s’accoupler ou de se nourrir de sang, ou leur développement est complètement arrêté. https://www.pirbright.ac.uk/press-releases/2021/01/mosquito-gene-discovery-pirbright-scientists-could-be-harnessed-curb-global
[4] https://www.nature.com/articles/d41586-017-08214-4?utm_medium=affiliate&utm_source=commission_junction&utm_campaign=3_nsn6445_deeplink_PID100041175&utm_content=deeplink
[5] https://www.gatesfoundation.org/How-We-Work/Quick-Links/Grants-Database/Grants/2017/07/OPP1174273
[6] https://www.gatesfoundation.org/How-We-Work/Quick-Links/Grants-Database/Grants/2020/05/INV-005523
[19] consortium de Centre de recherches internationaux.