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Bovins OGM : sans corne mais avec des gènes en plus…
Des chercheurs ont trouvé dans le génome de bovins, modifiés génétiquement afin qu’ils n’aient pas de cornes, plusieurs séquences génétiques qui n’auraient pas dû être présentes. Cette publication, non encore relue par des pairs, montre que l’entreprise Recombinetics, qui avait modifié ces bovins, n’a pas vu ces séquences. Alors que certains clament que les nouvelles techniques de modification génétique ne font qu’imiter la nature et devraient donc échapper à tout encadrement et toute évaluation, cette étude montre au contraire que la modification peut impliquer des effets non désirés.
En juin 2018, l’OCDE organise une conférence pour discuter d’exemples d’utilisation des nouvelles techniques de modification génétique en agriculture [1]. Alison Van Eenennaam, chercheuse à l’université de Californie Davis intervient sur « l’utilisation de l’édition du génome chez les animaux de ferme : les bovins ». Elle explique que « d’un point de vue risque, cela n’a pas de sens de réglementer des [taureaux modifiés] génétiquement sans corne différemment des [taureaux] sans corne obtenus naturellement et portant exactement la même séquence d’ADN » [2]. Pour la scientifique, les règlementations doivent être basées sur les éventuels nouveaux risques plutôt que sur « l’utilisation d’une liste arbitraire de méthodes d’amélioration ».
Des cornes en moins mais des gènes étrangers en plus ?
Une publication scientifique, non encore relue par des pairs, vient pourtant de sortir, fin juillet 2019, montrant que les taureaux modifiés génétiquement par l’entreprise Recombinetics évoqués par Alison Van Eenennaam à l’OCDE ont dans leur génome des séquences étrangères non désirées [3]. En analysant la séquence complète du génome des taureaux génétiquement modifiés par Recombinetics, rendue publique par l’entreprise elle-même, ces chercheurs ont détecté la présence de séquences génétiques non désirées qui proviennent d’étapes préalables à la modification génétique elle-même.
L’entreprise Recombinetics avait pourtant certifié que ses taureaux n’avaient que la modification génétique désirée, celle permettant que les taureaux et leurs descendants n’aient pas de corne. Pour cela, Recombinetics s’était basée sur le fait que la présence de cornes chez les bovins est un caractère codé par une séquence d’ADN présente en double exemplaire. La caractère « pas de corne » est récessif : il faut donc que la séquence génétique le codant soit présente en double exemplaire pour s’exprimer. Recombinetics a donc cherché à remplacer la séquence d’ADN codant pour le caractère « corne » par une séquence pour le caractère « sans corne ». L’entreprise a travaillé avec des cellules bovines en y introduisant deux molécules. La première devait permettre aux cellules de produire une protéine nommée TALEN, capable de couper l’ADN. La seconde était un petit ADN circulaire (plasmide) contenant un exemplaire du gène bovin « sans corne ». La protéine TALEN devait couper l’exemplaire du gène « corne » présent dans la cellule. Puis la cellule insère dans son génome l’exemplaire « sans corne » fourni par le second ADN circulaire. En 2016, une lettre adressée à une revue scientifique par des chercheurs de Recombinetics [4] annonçait le succès de la manipulation génétique. Les chercheurs indiquaient avoir obtenu deux bovins, appelés Spotigy et Buri, en bonne santé, sans corne et pour lesquels les analyses avaient « révélé que [ces] animaux sont exempts d’évènements hors-cible, confirmant à nouveau la grande spécificité des TALEN ».
Mais l’article publié fin juillet 2019 détaille que les taureaux de Recombinetics ne sont justement pas exempts de ces évènements génétiques hors-cible. Les chercheurs ont en effet trouvé deux exemplaires de la séquence génétique « sans corne » et non un seul comme souhaité. Ils ont également trouvé des séquences issues de l’ADN circulaire et conférant une résistance à des antibiotiques [5]. Les taureaux de Recombinetics ont donc des cornes en moins mais des séquences génétiques étrangères en plus. Les chercheurs de la FDA concluent que leurs résultats « soulignent l’importance d’utiliser des méthodes de séquençage propres à détecter de manière fiable » la présence de séquences non souhaitées.
Vers une évolution des lignes directrices sur les animaux GM ?
Les chercheurs qui signent l’article travaillent pour l’Administration étasunienne chargée des aliments et des médicaments (Food and Drug Administration, FDA). Une précision importante car cette administration a proposé en 2017 une modification de ses lignes directrices sur l’encadrement des animaux génétiquement modifiés. Une modification qui mécontente Alison Van Eenennaam car elle repose sur la notion d’ »altération volontaire du génome » des animaux plutôt que celle plus restreinte d’insertion d’ADN [6]. En désaccord avec cette approche législative, la chercheuse s’est alors répandue dans la presse scientifique et jusqu’à l’OCDE (où sont représentés les États-Unis), affirmant la similarité des patrimoines génétiques des animaux sans corne, qu’ils soient mutés ou naturels [7]. Une affirmation commune à celle de nombre d’entreprises : les nouveaux OGM ont le même patrimoine génétique qu’un organisme naturel, ils sont donc indétectables et ne peuvent en conséquence être réglementés. L’article des chercheurs de la FDA vient justement mettre à mal cette position.
Invitée par Inf’OGM à commenter les résultats de l’article, Alison Van Eenennaam ne nous a pas répondu. De son côté, Recombinetics a décalé ses réponses pour après la publication d’un autre article scientifique début octobre. Autre article dont ni le sujet, ni les auteurs et ni les conclusions ne sont encore connus. Cependant, dans un article publié fin août sur le site internet Wired, Tad Sonstegard, PDG de la filiale de Recombinetics ayant modifié génétiquement les taureaux, avait reconnu en réaction à la publication des chercheurs de la FDA, que son entreprise « n’a pas étudié l’intégration d’ADN circulaire […] Nous aurions dû » avait-il conclu…
Cette pré-publication scientifique a eu un effet immédiat. Selon Wired, le Brésil a décidé de retirer une autorisation commerciale de ces taureaux pour féconder des vaches productrices de lait [8]. L’avis favorable avait été délivré en novembre 2018 par la Commission technique nationale sur la biosécurité (CTNBio) qui arguait de l’absence d’effets hors-cible et de l’absence de toute insertion d’ADN recombinant dans l’animal [9]… Après les résultats publiés cet été explique Wired, impossible pour ce pays de considérer comme non OGM un animal qui a dans son génome des séquences non naturellement présentes !
[2] « Application of genome editing in farm animals : cattle », Transgenic Res (2019) 28:93–100. Pour les autres présentations, voir « OECD Conference on Genome Editing : Applications in Agriculture – Implications for Health, Environment and Regulation », Transgenic Research, Volume 28, Issue 2 Supplement, August 2019
[3] « Template plasmid integration in germline genome-edited cattle », BioRXiv, 28 juillet 2019.
[4] « Production of hornless dairy cattle from genome-edited cell lines », Nature Biotechnology, vol. 34, pp. 479–481 (2016)
[5] http://www.independentsciencenews.org/news/fda-finds-unexpected-antibiotic-resistance-genes-in-gene-edited-dehorned-cattle/
[6] Inf’OGM reviendra prochainement sur ce travail législatif en cours.
[7] « Comparison of gene editing versus conventional breeding to introgress the POLLED allele into the US dairy cattle population », Journal of Dairy Science, Vol. 102, Issue 5, May 2019, pp. 4215-4226
[9] Diaro official da uniao, Publicado 05/11/2018, Edição : 212, Seção : 1, Página : 13-14 http://www.in.gov.br/web/guest/materia/-/asset_publisher/Kujrw0TZC2Mb/content/id/48447747/do1-2018-11-05-extrato-de-parecer-tecnico-n-6-125-2018-48447599