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États-Unis : un étiquetage des OGM très opaque
Le secrétaire américain à l’agriculture, Sonny Perdue, a annoncé la parution le 20 décembre 2018 du décret d’application [1] de la loi relative à l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés (GM) adoptée par le Congrès étasunien en juillet 2016 [2]. Mais vu les exemptions et les conditions à cet étiquetage, pas sûr que les consommateurs s’y retrouvent…
La loi adoptée en 2016 [3] ordonnait à l’USDA (le département de l’Agriculture des États-Unis) de prendre les mesures nécessaires pour rendre obligatoire l’étiquetage des OGM dans l’alimentation humaine aux États-Unis. Cela peut sembler une révolution dans ce pays qui cultive des millions d’hectares de plantes génétiquement modifiées, cependant le résultat est décevant…
Une définition inconnue du grand public
Quels produits issus d’OGM doivent faire l’objet d’un étiquetage ? Leur définition est complexe car elle regroupe de nombreux éléments. Ainsi, sont considérés comme des aliments « bioengineered » (cf. encadré ci-dessous) soumis à l’obligation d’étiquetage les aliments et autres produits (solides, liquides ou suppléments alimentaires) à destination de la consommation humaine et contenant du matériel génétique détectable qui a été modifié au moyens de techniques de recombinaison in vitro d’ADN, et pour lesquels la modification ne pouvait pas être créée par sélection conventionnelle ou trouvée dans la nature [4].
La loi prévoit que le service de la commercialisation agricole américain (AMS) – qui dépend de l’USDA – élabore une liste [5] des aliments et cultures OGM du monde entier pouvant relever de cette législation pour aider les destinataires de la loi à l’appliquer. Cette liste devra être mise à jour une fois par an et soumise à consultation publique. Il est précisé que cette liste n’est pas exhaustive, elle comporte pour le moment 12 variétés de plantes et un animal génétiquement modifiés.
La date d’entrée en vigueur du décret est le 1er janvier 2020 et la date d’entrée en conformité obligatoire sera le 1er janvier 2022. L’étiquetage s’appliquera autant aux produits fabriqués aux États-Unis qu’à ceux importés.
Bioengineered : un choix sémantique qui en dit long
La loi américaine adoptée en 2016 détermine l’obligation d’étiqueter les aliments bioengineered. Le choix de ce terme n’est pas anodin et a été très critiqué, et sa traduction en français est source de difficultés. Le mot bioengineered est inconnu du grand public et sera source de confusions. À la place des acronymes habituellement usités GMO pour OGM ou GE pour genetically engineered (génétiquement modifié), bioengineered sonne plus proche de biotechnology, ce que les consommateurs américains, selon l’ONG Center for Food Safety, auront plutôt tendance à rapprocher de biomedical technology (technologie biomédicale) [6]. En ce qui concerne son utilisation en français, la traduction la plus proposée est « transgénique ». Mais le fait de parler uniquement d’aliments transgéniques empêche de désigner un certain nombre d’autres techniques de manipulation génétique, comme les nouvelles techniques de mutagénèse ayant recours au génie génétique, bel et bien considérées comme des OGM devant être réglementés et étiquetés depuis juillet 2018 en Europe [7]. Parler d’aliments « biomodifiés » ou « bioingéniés » serait créer des néologismes tout aussi approximatifs.
Les exceptions explicitement mentionnées
Les exceptions sont nombreuses, certaines sont d’ailleurs également présentes au sein de l’Union européenne. Il y a les aliments servis dans un restaurant ou autre lieu de restauration publique. Il y a également les produits issus d’animaux. Cela exclut donc la viande d’animaux nourris aux OGM, les œufs et les produits laitiers. Mais pas les animaux GM en soi, comme le saumon, récemment autorisé à la consommation humaine au Canada [8], ou le tilapia [9].
Les très petits fabricants, étant définis comme les fabricants de produits alimentaires dont les recettes annuelles sont inférieures à 2,5 millions de dollars (soit environ 2,2 millions d’euros) sont eux aussi exemptés.
Les produits ayant une présence non intentionnelle ou techniquement inévitable d’OGM inférieure à 5 % par ingrédient ne sont pas non plus soumis à l’obligation d’étiquetage : soit un seuil de présence fortuite autorisée de 5 % tandis qu’en Europe le seuil est établi à 0,9 %.
Par ailleurs, les produits biologiques certifiés par l’USDA sont exemptés de cette obligation d’étiquetage car ils sont présumés ne pas contenir de produits GM. Cette exception ne s’applique pas aux produits contenant moins de 70 % d’ingrédients biologiques.
Il n’y a pas non plus d’obligation d’étiquetage des OGM pour les produits hautement raffinés dans lesquels il n’est pas possible, selon les méthodes actuelles, de détecter l’ADN et donc d’identifier le matériel génétique modifié. Cela a pour conséquence d’exclure des produits comme les huiles raffinées, les bonbons ou les sodas. Mais cette catégorie ne saurait se limiter à ces quelques exemples et pourra trouver une application extensive pour les industriels de l’agro-alimentaire.
Ces exemptions, permises par la loi, peuvent cependant ne pas s’appliquer : la nature GM d’un produit ou de sa fabrication ou obtention à partir d’aliments OGM, en théorie exemptés, peut faire l’objet d’un étiquetage volontaire (« derived from bioengineering »).
Un étiquetage potentiellement invisible
L’originalité de cette loi réside dans le fait que des options diverses et variées sont à disposition des industriels et fabricants pour étiqueter leurs produits.
L’AMS présente ces options de la manière suivante : « texte, symbole, lien électronique ou numérique et/ou sms. Des options supplémentaires telles qu’un numéro de téléphone ou une adresse web sont disponibles pour les petits fabricants d’aliments ou pour les petits et très petits emballages » [10].
Ainsi, l’information qu’un produit contient des OGM devra se présenter à l’avenir, de manière qui soit suffisamment visible ou lisible pour le consommateur américain, sous la forme : soit d’un libellé « bioengineered food » ; soit d’une pastille mise à disposition par l’AMS ; soit d’un QR code ; soit encore de la mention d’un numéro vert ou de celle d’un simple url (une adresse web).
Les dernières solutions ont été fortement décriées car elles ne contiennent aucune information directement disponible et qu’elles sont sources de discriminations envers certaines catégories sociales comme les personnes âgées et les minorités à faible revenus, ainsi que les personnes demeurant en zones rurales sans réseau ou connexion Internet suffisante, catégories qui ont un accès réduit à un smartphone [11].
Avenir incertain
En conclusion, de nombreuses zones d’ombres demeurent et nombreuses sont les voix à critiquer le dispositif mis en place.
La place des nouveaux OGM issus des nouvelles techniques de mutagénèse tel CRISPR ou Talen n’est pas réglée malgré une formulation large de la modification génétique conduisant un aliment à être « bioengineered ». L’étendue de son périmètre d’application se retrouvera très vite limitée avec la notion de détectabilité. En effet, de nombreux industriels arguent que les nouveaux OGM ne sont pas détectables et par conséquent n’en sont pas. Ce qui est faux, comme Inf’OGM l’a déjà expliqué dans ses colonnes [12].
Par ailleurs, le jour même de l’annonce de la publication du décret d’application, un communiqué de presse émanant de The Sustainable Food Policy Alliance [13](soit littéralement L’alliance pour une politique alimentaire durable), une alliance regroupant des géants de l’industrie agro-alimentaire, faisait part de ses craintes que les normes établies par la loi ne répondent pas aux attentes des consommateurs ni aux pratiques des principales entreprises du secteur alimentaire, notamment en ce qui concerne la transparence sur les ingrédients hautement raffinés et le seuil de divulgation. Ils encouragent à des pratiques plus transparentes spontanées de la part des acteurs du marché [14].
Selon le directeur juridique du Center for Food Safety (cité plus haut), George Kimbrell, « ces réglementations vont très certainement conduire à des litiges ». Il ajoute que l’association explorera toutes les voies légales pour assurer un étiquetage qui ait du sens et qui garantisse le droit du public d’accéder aux informations.
Un autre élément sérieux qui permet de douter de la réelle efficacité qu’aura cette loi est qu’absolument aucune mesure n’a été prévue par le texte en cas de non respect de l’obligation d’étiquetage. Dans ces conditions, l’application du texte risque fortement de rester lettre morte.
[1] Publication au registre fédéral de la Final Bioengineered Food Disclosure Standard le 21/12/2018 du Agricultural Marketing Service.
[2] , « États-Unis – OGM : embûches dans la mise en œuvre de l’étiquetage », Inf’OGM, 16 février 2017
[3] , « États-Unis – Vers un étiquetage obligatoire des OGM a minima », Inf’OGM, 3 août 2016
[6] Long-Awaited Final Regulations for GMO Food Labeling Leave Millions of Americans in the Dark, 20 décembre 2018
[7] Depuis l’arrêt de la Cour européenne de justice du 25 juillet 2018, pour en savoir plus, voir , « Europe – Des citoyens obtiennent un arrêt historique », Inf’OGM, 18 janvier 2019.
[8] , « Canada – Les saumons transgéniques dans les assiettes », Inf’OGM, 10 août 2017
[9] , « Argentine : le premier animal OGM 2.0 bientôt commercialisé », Inf’OGM, 20 décembre 2018
[11] Il est estimé qu’aux États-Unis 100 000 personnes adultes n’ont pas de téléphone (sur 329 millions d’habitants).
[12] , « Nouveaux OGM : la Commission veut-elle leur traçabilité ? », Inf’OGM, 29 novembre 2018
[13] Sustainable Food Policy Alliance dont les membres principaux sont Danone North America, Mars, Nestlé États-Unis et Unilever.