Du pain aux enzymes OGM
Vous ne lisez pas le journal officiel (JO) tous les jours je suppose. Et en voyant le mot ’’enzymes’’, outre le langage administratif propre au JO, vous risquez vite de décrocher. Or, ce terme, associé aux OGM, peut avoir de profondes répercussions sur un aliment que vous consommez plusieurs fois par jour : le pain.
Un arrêté publié au JO [1] a ajouté l’autorisation de quelques nouvelles enzymes dans la fabrication de certaines denrées alimentaires. Pour le pain, il y a, entre autres, l’enzyme glucose oxydase issue d’une souche génétiquement modifiée (GM) d’Aspergillus niger (ZGL) porteuse du gène codant une glucose oxydase de Penicillium chrysogenum.
Lecteur, vous êtes toujours là ? Un peu largué probablement. Et bien moi aussi alors que je suis boulanger ! C’est seulement après un parcours du combattant – des années de lecture de livres spécialisés et formation – que je peux vous expliquer ce que change ce petit ajout de phrase…
Les étapes de la fabrication du pain
L’oxydation est une phase nécessaire pour faire du pain. La fermentation – phase d’oxydation – permet de mieux préparer la digestion par les dégradations opérées dans la pâte et donne son goût au pain. En auto-fermentation – c’est-à-dire au levain naturel -, cette méthode est très bénéfique pour la santé (épuration des pathogènes par l’acidification, dégradation des phytates, des mycotoxines, des acrylamides, des résidus de pesticides, etc.). Mais c’est cela que change l’apport d’enzymes oxydantes GM.
L’enzyme glucose oxydase issue d’OGM – non présente naturellement dans la farine – provoque une oxydation accélérée en se liant à l’eau, laquelle deviendra une sorte d’ « eau oxygénée ». Cet oxygène transporté par l’eau va permettre d’aller plus vite pour faire le pain : les enzymes issues d’OGM diminuent le temps de la bénéfique fermentation. Un gain de temps donc, mais une perte pour la santé et le goût !
Ah non, pardon ! Ce n’est pas pour tous les pains : pour le pain de tradition française, l’enzyme n’est pas autorisée. Cette exception pose un problème car même pour les experts, il est très difficile de déceler par analyse la présence de l’enzyme gluco-oxydase.
En tant que boulanger responsable, il m’importe avant tout de préserver la compétence professionnelle et d’éviter la standardisation du goût. Mais aujourd’hui, les clients boulangers veulent pour la plupart « une farine infaillible ». L’ajout des enzymes en meunerie ne fait que répondre à cette demande des clients boulangers… Au détriment du goût et de la compétence professionnelle !
Faciliter la vie du boulanger
Depuis bientôt deux décennies, pour les « améliorants » de panification, on est passé du recours à l’additif à celui de l’enzyme. Dans les deux cas, le but est de créer un convenience-product, c’est-à-dire un produit qui facilite la qualité de vie du boulanger, mais n’améliore pas forcément la qualité du pain. L’enjeu de passer de l’additif à l’enzyme est pourtant de taille pour le consommateur : l’additif est soumis à l’obligation d’étiquetage, mais pas l’enzyme. Cette dernière est en effet un auxiliaire technologique et, en tant que tel, elle n’est pas considérée comme un ingrédient [2]. Elle intervient « seulement » dans le processus de fabrication, même si elle peut se retrouver de manière incidente dans le produit final. Ce gommage d’étiquette en somme est voulu et reconnu par l’industrie alimentaire.
Une deuxième enzyme a pourtant été autorisée au début de cette année : l’exo-alpha amylase maltogène (ou 4-D glucan maltohydrolase) d’une souche génétiquement modifiée de Bacillus licheniformis (MDT06-221) contenant le gène synthétique codant une exo-alpha amylase maltogène de Geobacillus stearothermophilus. Cette enzyme, pour votre gouverne d’autocritique, est considérée comme thermorésistante. En tant qu’auxiliaire technologique, sa présence résiduelle dans le produit fini devrait être « non intentionnelle » et cela « à condition que ces résidus ne présentent pas de risque sanitaire et n’aient pas d’effets technologiques sur le produit fini ».
L’enzyme exo-alpha amylase maltogène est censée permettre au pain de garder un aspect fraîcheur en agissant sur l’amidon. Pour comprendre, il faut dissocier l’aspect fraîcheur et le séchage (perte d’humidité) du pain. Ici, c’est l’aspect fraîcheur qui est concerné, celui qu’on retrouve lorsque que l’on repasse le pain dans le four, c’est-à-dire technologiquement le changement de l’état moléculaire de l’amidon.
Auxiliaire ou additif ? La tromperie !
Les entreprises du secteur sont de plus en plus prudentes dans leur communication s’agissant des effets des enzymes thermorésistantes. Dans les années 90, elles déclaraient que l’effet des enzymes intervenait un jour après la fabrication du pain. Désormais, les enzymes sont censées n’agir que durant la panification. Pourtant, l’amylase bactérienne est choisie en fonction de sa thermorésistance allant jusqu’à 95°C dans son optimum d’activité. Dès lors, elle devrait non pas être considérée comme un auxiliaire technologique mais comme un additif, car elle est présente intentionnellement dans le produit final.
Plus grave encore, faute d’étiquetage indiquant la présence de cette seconde enzyme dans le pain, aucun contrôle sanitaire n’est effectué [3]. Dès lors, les effets sur la santé du consommateur sont inconnus. Les enzymes sont pourtant des protéines actives, des matières fortement allergènes (voir encadré).
Allez, pour votre foie gras ou vos crustacés, bon pain brioché – c‘est là, et dans les pains de mie, que vous retrouverez l’amylase bactérienne – et bonne recherche de savoir-faire professionnel, car le Règlement européen sur les enzymes écrit que « parmi les informations fournies par les demandeurs, le traitement confidentiel peut être accordé à l’information dont la divulgation pourrait nuire sensiblement à sa position concurrentielle » [4]. Belle lobbycratie !
Débrouillez-vous messieurs les boulangers et surtout, lors du contrôle sanitaire, n’oubliez pas de faire apparaître la transparence de la fourche à la fourchette que l’on vous demande.
Si vous êtes en bio, n’oubliez pas, il est interdit d’employer des enzymes recombinées issues d’OGM. Or les enzymes non issues d’OGM se font de plus en plus rares sur le marché.
Des enzymes GM allergènes ?
Une récente étude [5] établit le caractère potentiellement allergène des enzymes génétiquement modifiées utilisées dans les produits nettoyants et dans l’alimentation.
[1] Arrêté du 4 janvier 2016 modifiant l’arrêté du 19 octobre 2006 relatif à l’emploi d’auxiliaires technologiques dans la fabrication de certaines denrées alimentaires, JO n°0017 du 21 janvier 2016
[2] , « Additifs, arômes, enzymes… : des substances issues d’OGM, dans la chaîne alimentaire », Inf’OGM, 29 janvier 2013
[3] En Angleterre, pour les produits nettoyants, secteur qui emploie à peu près 40 % du marché de l’industrie enzymatique, les produits de lessive signalent s’ils sont « biological » – c’est-à-dire contenant des enzymes « gloutons » – ou « non biological » – ne contenant pas d’enzymes. Mais dans l’alimentaire, rien de pareil, alors même que chacun d’entre nous est concerné !
[4] Article 12 du Règlement (CE) 1331/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant une procédure d’autorisation uniforme pour les additifs, enzymes et arômes alimentaires
[5] Bundik L. T. et al., « Sensitising effects of genetically modified enzymes used in flavour, fragrance, detergence and pharmaceutical production : cross-sectional study », septembre 2016, Occupational & Environmental Medecine