n°132 - janvier / février 2015

OGM : cinq projets européens pour éviter à terme les analyses de toxicologie ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 18/12/2014

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Cinq projets sont en cours dans l’Union européenne pour essayer, officiellement, de répondre à la question de la toxicité des OGM à long terme. Quatre d’entre eux sont menés sous l’égide de la Commission européenne et le dernier sous celle du gouvernement français. Au-delà de leurs différences méthodologiques, que nous allons analyser, pourquoi un tel déploiement d’argent et d’énergie, quinze ans après les premières autorisations d’OGM ?

Au cours des quinze premières années du débat sur les OGM dans l’Union européenne (1996-2012), plusieurs programmes communautaires se sont intéressés aux impacts environnementaux, sanitaires, à la gestion du risque… Mais jamais le risque toxicologique n’avait été autant étudié expérimentalement par les instances européennes qu’au cours des dernières années. Sur quatre programmes en cours, trois vont mettre en œuvre des analyses de toxicologie d’une durée de 90 jours, d’un an ou deux ans, comme nous allons le voir.

En 2012, l’équipe de G.-E. Séralini, de l’Université de Caen, publiait une étude de toxicologie à long terme. Ses résultats ont engendré une polémique sans précédent qui a eu comme intérêt majeur de mettre à jour la faiblesse de l’évaluation toxicologique des plantes transgéniques et des herbicides associés. Sans vouloir revenir sur cette controverse, rappelons juste que les critiques faites à l’étude Séralini pouvaient aussi s’appliquer, toutes choses égales par ailleurs, à l’ensemble des études de toxicologie réalisées par les entreprises pour justifier des autorisations de plantes génétiquement modifiées (PGM). Ainsi, ces programmes européens et l’étude française sont censés mettre à plat ces questions et apporter une réponse ferme, voire définitive. En lien les uns avec les autres, ils affichent par ailleurs la même volonté de « transparence ».

Une législation qui laisse la porte ouverte à la remise en cause des analyses à 90 jours

Fin 2013, l’Union européenne a adopté un nouveau règlement qui précisait les modalités de l’évaluation sanitaire pour l’autorisation des PGM [1]. Inf’OGM avait rapporté à l’époque comment ce règlement, sous couvert de renforcer l’évaluation, en exonérait de fait la soixantaine de demandes déposées avant le 8 décembre 2013 [2]. A l’instar des demandes qui continuent d’être étudiées sans attendre les résultats des programmes européens en cours, si la Commission avait une réelle volonté de renforcer l’évaluation des PGM, elle aurait dû imposer que les anciennes demandes soient présentées à nouveau, en respectant les nouvelles modalités de l’évaluation. Plus inquiétant encore, ce règlement prévoit qu’en 2016 le caractère obligatoire des analyses de toxicologie sera rediscuté. Ainsi, son article 12 stipule précisément que « la Commission réexamine l’obligation de réalisation d’études par administration orale de l’aliment […] génétiquement modifié à des rongeurs pendant 90 jours (annexe II, point 1.4.4.1) sur la base des nouvelles données scientifiques. Les résultats de ce réexamen sont publiés pour le 30 juin 2016 ». Ces fameuses « nouvelles données scientifiques » sont celles qui seront issues des programmes en cours, et notamment du programme GRACE spécifiquement cité dans le règlement. A la lumière de cette échéance, les programmes GRACE, G-TwYST, Marlon, Presto GMO ERA-net et OGM90+ prennent une autre envergure et on peut légitimement s’interroger sur leur réelle raison d’être. Le législateur aurait pu limiter son travail au seul besoin de renforcer les analyses aujourd’hui requises, comme le lui demandait le Conseil européen depuis décembre 2008. Or, tant le règlement que les programmes eux-mêmes utilisent une rhétorique qui laisse la possibilité de déclarer inutiles les analyses de toxicologie…

GRACE : toxicité orale du MON810

Le programme « d’évaluation des risques liés aux OGM et communication des preuves », GRACE (GMO Risk Assessment and Communication of Evidence), lancé le 1er juin 2012 – donc avant la publication de l’étude de Séralini – pour une durée de trois ans et demi (2012-2016) et un budget de 7,8 millions d’euros [3] [4] [5] ne peut être vu comme une suite de ces travaux : il étudie le maïs MON810 produisant un insecticide alors que l’équipe de Caen avait travaillé sur le maïs NK603 qui, lui, a été modifié pour tolérer des herbicides. Le programme GRACE a pour objectif [6] de conduire une analyse de toxicité orale d’un OGM sur rats pendant 90 jours, de conduire le même type d’analyse durant un an ainsi que des expériences in vitro et in silico (par modélisation informatique, donc sans animaux) de manière à pouvoir comparer ces méthodes. Un de ses objectifs est de « reconsidérer la conception, l’exécution et l’interprétation des analyses sur animaux, tout comme celles des approches in vitro et in silico utilisant des aliments, et de déterminer leur valeur ajoutée pour l’évaluation des risques liés aux OGM » [7]. En clair ? Les analyses de toxicologie conduites sur rats et aujourd’hui demandées aux entreprises pourraient être remplacées par des analyses prédictives que constituent les approches in vitro et in silico.

Inf’OGM a déjà souligné que des conflits d’intérêt entachaient ce programme de travail. Ainsi, rappelons seulement que le coordinateur général du projet GRACE, Joachim Schiemann, a travaillé au sein d’un groupe de l’ILSI (en 2007-2008), une organisation regroupant la plupart des entreprises agro-industrielles actives sur le dossier OGM ; il a été membre d’un groupe de travail monté entre autres par l’Association européenne des bioindustries (EuropaBio) ; et il est membre de l’Initiative pour la Recherche Publique et sa Gestion (PRRI), une structure décrite par Corporate Europe Organisation (CEO) comme « un groupe de pression financé par l’industrie qui fait campagne pour affaiblir la législation sur la biosécurité » [8].

G-TwYST : pâle réplique de l’étude Séralini

Ce programme, démarré en avril 2014 avec un budget de 3,8 millions d’euros, devrait se terminer en avril 2018 [9]. Il partage avec le programme GRACE l’objectif commun de « développer des recommandations sur la valeur ajoutée des analyses sur animaux à long terme dans le cadre de la procédure d’évaluation des risques liés aux OGM » [10]. Pour remplir cet objectif, G-TwYST se propose de comparer les résultats de plusieurs études de toxicologie réglementaire sur des rats de race Wistar (comme le programme Grace, mais contrairement à l’étude Séralini qui avait choisi des rats Sprague-Dawley) avec du maïs NK603 : une de 90 jours, une d’un an et une de deux ans. A cela s’ajoute une quatrième étude : une analyse de toxicologie sur deux ans avec des rats nourris avec du maïs MON810. Ce programme va donc conduire une expérience qui se rapproche de celle de Séralini : elle concernera le même maïs (NK603) sur la même période (deux ans) et avec un traitement du maïs par l’herbicide associé, le RoundUp (9). Pour leur mise en oeuvre, les expériences conduites dans GRACE et G-Twyst respecteront les lignes directrices de l’OCDE. Du moins partiellement puisque « seules » deux doses d’OGM seront utilisées par régime alimentaire (11, 22 ou 33% du régime alimentaire) alors que l’OCDE demande trois doses (11, 22 et 33%). Ce projet est coordonné par Pablo Steinberg, de l’université d’Hanovre mais également membre d’un groupe de travail de l’ILSI (10).

MARLON : impacts et facteurs à analyser

Le projet Marlon (2012-2015), financé à hauteur de près d’un million d’euros [11] [12], se propose «  de créer un inventaire des initiatives d’épidémiologie et de gestion, tant dans qu’en dehors de l’Union européenne, qui pourrait fournir des données utiles permettant la gestion des impacts sanitaires des aliments pour animaux, et notamment ceux contenant des OGM, sur le bétail ». Il s’agit de collecter des données existantes concernant les impacts sanitaires potentiels liés aux OGM après qu’ils aient été utilisés comme aliments pour du bétail. Il ne s’agit pas stricto sensu d’une méta-analyse, notamment car Marlon travaillera avec des données de terrain sans qu’elles soient forcément publiées. Il vise également à définir les facteurs qui devront constituer de telles études dans le futur. Là encore, les lobbies industriels sont au cœur de ce programme. Son coordinateur, Gijs Kleter, a été consultant scientifique pour l’ILSI entre 1997 et 2007, il a co-signé un rapport pour eux sur les OGM en 2008 et a été un « observateur non actif des réunions » de l’association néerlandaise des industries de biotechnologies (NIABA) entre 2000 et 2008. Enfin, il a travaillé dans le laboratoire d’Harry Kuiper, l’ancien président du groupe OGM de l’AESA qui fait aujourd’hui l’objet d’une procédure auprès du médiateur de l’Union européenne du fait de ses liens avec l’industrie des biotechnologies [13].

Presto GMO ERA-Net : mise en réseau

Le dernier projet européen – Presto GMO ERA-Net – qui se déroule entre 2013 et 2015 avec un budget de 1,2 millions d’euros [14] [15] est le plus large. Son objectif est de mettre en réseau les « gouvernements, agences et organes de financement avec la communauté scientifique » afin d’anticiper les problématiques scientifiques liées aux OGM. Concrètement, ce projet cherchera à «  identifier les lacunes actuelles quant aux connaissances des risques et bénéfices liés aux OGM en cours de demande d’autorisation et ceux à venir ». Il vise également à « améliorer significativement l’alignement des programmes de recherches en cours et à venir des États membres afin d’éviter tout doublon de travail » en Europe. Un groupe consultatif a été monté pour être associé au travail. Il est composé entre autres d’EuropaBio, PRRI (cf. supra), Greenpeace et l’organisation agricole COPA-COGECA.

Ce projet se distingue par son souhait de travailler de manière prospective sur les OGM qui pourraient arriver sur le marché européen dans le futur. Or la participation, en tant que partenaire, de la Plateforme européenne technologique « plantes pour le futur », qui s’est publiquement positionnée sur le fait que les nouvelles techniques de biotechnologie ne doivent pas être considérées comme donnant des OGM [16], nous incite à penser que ce programme souhaite anticiper les débats scientifiques liés aux nouvelles techniques de biotechnologie, ou pour le moins à celles qui seront actées comme donnant des OGM. La stratégie d’« alignement des programmes de recherche » et le souhait « d’éviter tout doublon de travail » constitue une approche pour le moins étrange : la recherche se construit aussi sur la répétition des expériences.

OGM90+ : à trois ou six mois, mêmes résultats ?

Publié en juillet 2013 dans le cadre du programme de recherche Risk’OGM, ce projet est financé par le ministère français de l’Environnement à hauteur de 2,5 millions d’euros pour trois ans (2014-2017) et vient en complément des programmes européens GRACE et G-TwYST. L’Anses s’est vu confier la mission de coordonner un dispositif associant la société civile au déroulement du projet, dispositif qui a périclité dès sa première réunion [17]. Le programme OGM90+ a deux volets : premièrement, il vise à améliorer la prédictibilité de l’étude de toxicité à trois mois menée chez le rat (en utilisant les techniques dites « omiques »), afin de mieux prévoir les potentiels effets à long terme des plantes génétiquement modifiées sur la santé. Est ainsi prévue une étude de toxicité chez le rat de la variété Wistar d’une durée de six mois, avec du maïs MON810 et du maïs NK603 traité avec du Roundup. En clair, les chercheurs souhaitent étudier si les résultats d’analyses de toxicologie à 90 jours, études à court terme, peuvent être utilisés pour prédire de potentiels impacts sanitaires à long terme. Ce projet est donc conduit en lien avec les programmes GRACE et G-TwYST, les maïs transgéniques utilisés pour les expériences étant issus d’une même production.

GRACE : des premiers résultats scientifiques controversés


Les résultats d’une première étude de toxicologie réglementaire à 90 jours, menée dans le cadre du programme GRACE, ont été publiés en octobre 2014 dans le journal Archives of toxicology.

Les auteurs de l’étude exposent qu’aucun effet lié à la consommation de maïs MON810 n’a été observé sur 160 rats Wistar répartis en dix groupes [18].

Mais pour l’association TestBiotech, les données brutes de cette expérience montrent, au contraire, des effets sur le pancréas et le taux de glucose dans le sang des rats, imputables à la consommation ce maïs MON810 [19]. Sur le plan scientifique, le responsable de GRACE, Joachim Schiemann, a aussitôt réfuté l’analyse de Testbiotech et réaffirmé les premières conclusions scientifiques [20].

Au-delà de la qualité scientifique de l’article, Testbiotech dénonce des conflits d’intérêts : premièrement, les déclarations de conflits d’intérêts faites dans l’article ne sont pas complètes car ne sont pas mentionnés les liens de certains membres de GRACE et signataires de l’article et des groupes d’intérêts des entreprises de biotechnologie comme ILSI ou ISBR (International Society for Biosafety Research). Deuxièmement, le journal qui a publié l’étude emploie comme éditeur le premier auteur de l’article publié. Troisièmement, les liens entre ce journal et l’industrie apparaissent assez forts aux yeux de Testbiotech. L’association explique ainsi que le précédent rédacteur en chef, Hermann Bolt, travaillait en étroite collaboration avec l’industrie du tabac, que Jan G. Hengstler, le rédacteur en chef actuel, a publié un article selon lequel le Bisphénol A ne présentait aucun risque sanitaire, article revu avant publication par des consultants d’industrie. Enfin, plusieurs membres du comité éditorial du journal ont également des liens avec l’industrie : Olavi Pelkonen, de l’Université de Oulu, conseiller de Pfizer et Orion Pharma, Peter J. Kramer, ancien scientifique de Merck et Bennard Van Ravenzwaay, vice-président de… BASF. L’association a donc demandé le retrait de l’article, sans réponse pour l’instant. Elle annonce également avoir écrit à la Commission européenne sur ces différents points.

Schiemann insiste également, dans sa réponse, sur la transparence de GRACE et la consultation de 700 personnes représentant les parties prenantes lors de réunions prévues à cet effet. Un rappel qui sonne comme une critique de Testbiotech, partie prenante du projet, et qui « ose » exprimer ses désaccords publiquement alors que des consultations ont eu lieu.

Et les conflits d’intérêts ? Aucune réponse… Dommage, d’autant que c’est la revue Archives of Toxicology qui doit publier tous les résultats produits comme précisé dans une lettre des responsables des programmes GRACE, G-Twyst et OGM90+ ! [21].

La transparence n’est pas un gage de déontologie

Les trois projets Grace, G-TwYST et OGM90+ ont fait le choix d’une transparence volontaire. Pour chacun des projets, différentes parties prenantes ont été invitées à participer à des réunions internes afin de discuter du déroulé des expériences et des résultats, des réunions d’informations seront organisées, et les résultats seront publiés en accès libre et gratuit. Pour ce dernier point, un partenariat spécial a été mis en place avec la revue Archives of Toxicology afin que les articles scientifiques soient librement accessibles sur Internet. Et les données complètes issues des expériences conduites dans le cadre de ces projets seront intégralement accessibles par le biais de la base de données centrale d’accès pour les évaluations d’impacts des technologies d’amélioration génétique des plantes (CADIMA) [22]. Aussi louable soit-elle, cette transparence ne doit pour autant pas être un argument pour éteindre toute controverse potentielle comme le suggèrent les récents échanges entre GRACE et TestBiotech, une ONG allemande (cf. encadré ci-dessus).

La controverse scientifique autour du travail de G.-E. Séralini aura donc servi à mettre en œuvre des programmes de recherche visant à produire de la connaissance. Mais ces programmes serviront-ils aussi à affaiblir l’évaluation des risques avant autorisation ? Comme on peut le voir, toutes les potentielles controverses scientifiques de toxicologie sont couvertes par ces cinq programmes : analyse à court, moyen et long termes avant autorisation, analyse après autorisation, harmonisation des potentiels programmes de recherche nationaux et anticipation des futurs OGM, transgéniques ou non. Des projets qui pourraient « rassurer » si la coordination de trois d’entre eux n’avait pas été confiée, comme on l’a vu, à des scientifiques controversés.

Concrètement, ces programmes n’ont pas vocation à seulement fournir une connaissance scientifique, mais bien à poser la question du maintien du caractère obligatoire des analyses de toxicologie à 90 jours aujourd’hui requises par la loi. Les partisans des OGM, qui ont défendu l’analyse au cas par cas pour chaque PGM, oseront-ils, à partir de seulement deux PGM, extrapoler les résultats attendus à tous les OGM à venir ?

[6« Ninety day oral toxicity studies on two genetically modified maize MON810 varieties in Wistar Han RCC rats (EU 7th Framework Programme project GRACE) », Zeljenková D. et al., Arch Toxicol. 2014 Oct 2.

[7« Facilitating a transparent and tailored scientific discussion about the added value of animal feeding trials as well as in vitro and in silico approaches with whole food/feed for the risk assessment of genetically modified plants », Schiemann J. et al., Archives of Toxicology, October 2014, http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs00204-014-1375-7).

[8cf. note 3

[18Zeljenkova D. et al., « Ninety day oral toxicity studies on two genetically modified maize MON810 varieties in Wistar Han RCC rats », Archive of Toxicology, 2 octobre 2014

[21Schiemann J. et al., « Facilitating a transparent and tailored scientific discussion about the added value of animal feeding trials as well as in vitro and in silico approaches with whole food/feed for the risk assessment of genetically modified plants », Archives of Toxicology, octobre 2014

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