Actualités

25 ans plus tard, les OGM insecticides face à la résistance des insectes

Par Eric MEUNIER

Publié le 15/10/2024, modifié le 16/12/2024

    
Partager

43 détections d’insectes ayant acquis une résistance aux protéines Bt censées les tuer ont été répertoriées, en 2023, dans un article scientifique. 43 cas sur 73 étudiés, soit plus de la moitié. Pour les auteurs de l’article, l’utilisation des OGM insecticides a été couronnée de succès car ayant permis, dans plusieurs cas, de réduire voire éradiquer localement des insectes ravageurs. Mais des échecs du fait des résistances sont également apparues. Les auteurs estiment que l’avenir est à une combinaison de technologie, à l’instar de l’interférence à ARN.

L’article scientifique est paru début 2023 dans la revue Journal of Economic Entomologyi. Les trois chercheurs de l’Université d’Arizona qui en sont les auteurs dressent le bilan de 25 années de cultures de plantes génétiquement modifiées pour produire des protéines insecticides. La question posée est celle de l’effective apparition, ou non, de résistances à ces protéines insecticides dans les populations d’insectes qui y ont été exposées. Une question cruciale car abordant l’efficacité de ces OGM ou, au contraire, leur participation à augmenter un problème qu’ils prétendaient pourtant résoudre.

Des « succès » constatés ou non renseignés ?

Sur la base des informations analysées par les chercheurs, plusieurs cas d’insectes ravageurs qui ont été contenus, voire ont pu disparaître, grâce aux cultures de plantes transgéniques Bt sont rapportés . Ils détaillent ainsi les cas de P. Gossypiella, aux États-Unis, où les cultures de coton Bt commercialisées ont, affirment-ils, permis de « faciliter l’éradication de cette espèce invasive dans les régions où est cultivé du coton et dans le nord du Mexique ». Ils évoquent également le cas moins certain du coton Bt qui « est probablement le facteur clef qui a dramatiquement réduit la densité [de C. Virescens] aux États-Unis et au Mexique ». Concernant la pyrale du maïs, les auteurs évoquent également une réduction de la densité d’insectes à « des niveaux historiquement bas dans plusieurs États du Midwest, dont le Wisconsin ». Sur un autre continent, ils signalent que le coton Bt est « resté efficace » contre les insectes H. armigera et H. punctigera en Australie et les insectes H. armigera et P. gossypiella en Chine.

Pour l’Europe, où le maïs insecticide Mon810 est cultivé depuis la fin des années 90, les auteurs n’indiquent pas une diminution des populations d’insectes ravageurs. Ils se contentent de préciser qu’aucune donnée ne montre une baisse de la susceptibilité de la pyrale du maïs et de la sésamie à la protéine Bt produite par le maïs Mon810. Cette information est étonnante car, en 2021, un cas de dommages sur des cultures de maïs Mon810 par des sésamies a été rapporté. Manifestement, aucun article scientifique n’a été publié sur ce cas, mais, de son côté, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) estime qu’il est possible que cela corresponde à une apparition de résistance. Ils déplorent même que Bayer n’ait pas collecté suffisamment de données solides pour répondre à cette questionii.

Les auteurs de l’article ayant basé leur travail sur une bibliographie scientifique, une limite importante est donc que les cas non renseignés par des chercheurs échapperont à leur revue. Pour le cas de l’Union européenne, ils se sont ainsi basés sur un article scientifique publié très peu de temps avant le leur, début 2023 égalementiii. Cet article ne renseigne pas le cas en Espagne qui inquiète les experts européens, ne serait-ce que pour évoquer son existence. Ce potentiel cas de résistance n’est donc pas dans la revue des auteurs étasuniens, ni même dans leur tableau « alertes précoces ».

Des échecs avec des apparitions de résistance

Sur un total de 73 cas étudiés, les chercheurs listent pas moins de 26 cas de détection de résistance acquises par des insectes à une protéine transgénique Cry produite par une plante OGM. Des cas dont l’apparition est décalée de quelques années dans le temps par rapport au développement des surfaces cultivées avec des OGM insecticides (cf. graphique). Parmi les cas les plus problématiques, P. gossypiella en Inde et D. v. virgifera aux États-Unis sont deux insectes devenus résistants « à toutes les toxines Bt produites par les cultures Bt existantes et ciblant chaque insecte ». Pour H. Zea aux États-Unis, une seule protéine transgénique reste efficace à ce jour, la protéine Vip3Aa.

Courbe d’évolution des surfaces cultivées et courbe du nombre de cas de résistance.
Ce graphique a été réalisé par Inf’OGM via une  » simple  » superposition de deux graphiques issus de l’article scientifique.

Sur les 26 cas de détection de résistances renseignés, 18 concernent des maïs OGM insecticides en Afrique du Sud, Canada, Argentine, Brésil et, surtout, aux États-Unis, où 10 des 18 cas sont renseignés. Les autres plantes OGM insecticides Bt sont le coton et le soja, dans les même pays que pour le maïs, auxquels s’ajoutent l’Inde et le Pakistan. A ces 26 cas répertoriés, les auteurs ajoutent 17 cas pour lesquels « une diminution de la susceptibilité des insectes cibles est observée ». En d’autres termes, les insectes ciblés par les protéines transgéniques insecticides sont de moins en moins sensibles à ces protéines. Si rien n’est fait pour restaurer cette susceptibilité au sein de la population d’insectes cibles, il s’agit d’autant de cas qui deviendront des cas de résistance acquise. Ces 17 cas se retrouvent sur la canne à sucre, le maïs et le coton, tous transgéniques. Les pays concernés sont les mêmes que pour les cas avérés, avec la Chine et les Philippines en plus.

Pas de remise en cause de l’approche adoptée

Même si le nombre de cas de résistances acquises ou naissantes (43, cf. tableau) est supérieur au nombre de cas où les insectes continuent d’être complètement tués par la protéine transgénique (30), les auteurs restent confiants dans un type d’agriculture, où une technologie vient compléter ou remplacer une autre technologie qui se met à échouer. Ils considèrent ainsi que les prochaines voies n’impliqueront pas de nouvelles protéines transgéniques, mais plutôt une combinaison « des toxines Bt avec l’interférence ARN ». Ces ARN interférents sont des molécules venant perturber la production de telle ou telle molécule. Si leur promotion directe et indirecte se fait de plus en plus grande du côté des multinationales, ils ne sont pourtant pas la panacée, comme les chercheurs le soulignent eux-mêmes. Pour eux, les caractéristiques obtenues par la technologie ARNi « ne sont pas aussi puissantes qu’avec les toxines Bt et sont vulnérables à une évolution du spectre de résistance aux ARNi chez les insectes ». Ils rapportent également l’utilisation possible de bactéries du sol non Bt qui montreraient certaines « promesses contre D. v. vivgifera résistant aux Bt ». Loin de questionner, voire remettre en cause l’approche adoptée, ces cas d’apparition de résistances chez les insectes aux OGM insecticides servent donc à nouveau la fuite en avant technologique suivie en agriculture. Une arlésienne qui ne semble pas prêt de s’arrêter.

Tableau : Les 43 insectes résistants ou commençant à l’être, le pays et la plante concernés
(en bleu, les cas non avérés mais pour lesquels des signaux d’alerte sont apparus)

PaysNombrePlantes GMInsectesPaysNombrePlantes GMInsectes
États-Unis16MaïsD. barberiArgentine6MaïsD. saccharalis
États-UnisMaïsD. barberiArgentineMaïsP. gossypiella
États-UnisMaïsD. v. virgiferaArgentineMaïsS. fruiperda
États-UnisMaïsD. v. virgiferaArgentineMaïsS. frugiperda
États-UnisMaïsD. v. virgiferaArgentineMaïsS. frugiperda
États-UnisMaïsD. v. virgiferaArgentineMaïsS. frugiperda
États-UnisMaïsH. zeaCanada4MaïsO. nubilalis
États-UnisMaïsH. zeaCanadaMaïsS. albicosta
États-UnisCotonH. zeaCanadaMaïsO. nubilalis
États-UnisCotonH. zeaCanadaMaïsO. nubilalis
États-UnisCoton & MaïsH. zeaPakistan4CotonP. gossypiella
États-UnisMaïsS. frugiperdaPakistanCotonE. vittella
États-UnisMaïsS. albicostaPakistanCotonH. armigera
États-UnisMaïsD. saccharalisPakistanCotonS. exigua
États-UnisMaïs et CotonH. zeaInde3CotonP. gossypiella
États-UnisMaïsS. frugiperdaIndeCotonP. gossypiella
Brésil7SojaC. aporemaIndeCotonH. armigera
BrésilSojaR. nuAfrique du Sud1MaïsB. fusca
BrésilMaïsS. frugiperdaChine1CotonH. armigera
BrésilMaïsS. frugiperdaPhilippines1MaïsO. furnacalis
BrésilCanne à sucreD. saccharalis



BrésilCanne à sucreD. saccharalis



BrésilMaïsS. frugiperda



i Bruce E Tabashnik et al., « Global Patterns of Insect Resistance to Transgenic Bt Crops: The First 25 Years », Journal of Economic Entomology, Volume 116, Issue 2, Pages 297–309, Avril 2023.

ii Eric Meunier, « En Espagne, des insectes commencent-ils à résister au maïs OGM ? », Inf’OGM, 8 octobre 2024.

iii García, M., C. García-Benítez, F. Ortego, and G. P. Farinós, « Monitoring insect resistance to Bt maize in the European Union: update, challenges and future prospects », Journal of Economic Entomology, Volume 116, Issue 2, Pages 275–288, Avril 2023.

Actualités
Faq
A lire également